Sauvez la photographie !
Un collectif de professionnels tire la sonnette d’alarme sur les conséquences économiques et financières de la crise sanitaire pour leur métier.
Monsieur le président de la République, «Chevaucher le tigre»… Quelle magnifique expression ! Le monde de la photographie en fait son quotidien depuis toujours. Les photographes professionnels, par amour de leur métier, ont appris à transcender les difficultés, les errances, les oublis administratifs. Et dans une société où l’image possède une place prépondérante, ils partagent au quotidien la vie des Françaises et des Français qui veulent rêver, s’informer, communiquer, se souvenir. A l’annonce de votre plan pour la culture, le 6 mai dernier, le monde de la photographie a retenu son souffle. L’activité des photographes était à l’arrêt depuis près de deux mois. Et les conséquences économiques et financières de la crise sanitaire pour les photographes professionnels sont dévastatrices. A l’approche de l’été, époque des grands événements, des festivals et des expositions, les modalités de déconfinement progressif ne permettent pas aux photographes de diffuser leurs oeuvres. Et les publics, qu’il s’agisse des particuliers, des acheteurs d’art, des services communication et marketing des entreprises, des organes de presse ou d’édition, subissent également de plein fouet la crise.
Déjà dangereusement fragilisée par les évolutions sociétales, la population des photographes professionnels est aujourd’hui menacée.
Et à travers elle, c’est tout un pan de la culture française, cette diversité, cette richesse dans la vision de la vie, qui risque de se trouver anéantie, faute de moyens pour la soutenir.
Les mesures proposées par le gouvernement ne répondent pas aujourd’hui aux besoins des photographes. Quel accompagnement l’Etat, garant de la politique culturelle et de la création, va-t-il mettre en place pour aider les auteurs ? Les fonds sectoriels tels qu’ils sont organisés actuellement sont largement déficients.
Monsieur le président de la République,
il est essentiel que l’Etat joue aujourd’hui pleinement son rôle. Il doit décider et mettre en oeuvre un vrai plan de financement et de subventions pour le monde de la photographie, afin que ses acteurs puissent envisager de manière moins sombre les mois à venir. Il lui revient de défendre sans concession le droit d’auteur et la valeur de la photographie dans un contexte où se développent de nouvelles formes de pratiques illégales ou déloyales.
Enfin, il faut que les entreprises et les particuliers retrouvent l’envie et la volonté d’investir dans la photographie française. Et il vous appartient de faciliter et d’encourager ce mouvement. En conditionnant l’attribution des subventions (en particulier à l’édition et la presse) à la diffusion privilégiée des images des photographes exerçant en France. En accordant des conditions fiscales avantageuses aux entreprises et aux particuliers qui souhaitent investir dans des images de photographes exerçant en France… Les solutions existent, il est désormais nécessaire de les activer. Monsieur le président de la République, la photographie n’est pas un monde à part : elle est chaque jour le témoignage vivant de ce qui constitue le monde d’hier, d’aujourd’hui et de demain. Ne nous laissez pas sans images, sauvez la photographie !
Cette tribune, à l’initiative de l’Union des photographes professionnels (UPP), a reçu le soutien de : l’ADAGP, la Saif, la Scam, la FFPMI, l’ANI, le PAJ, le Clap (l’agence Modds, l’agence Myop, l’agence VU, le collectif Tendance floue, Signatures, maison de photographes), les Filles de la photo, Hans Lucas, l’agence Magnum Photos, Reporters sans frontières et plus de 700 photographes. Parmi les signataires : Denis Allard, Yann Arthus-Bertrand,
Jane Evelyn Atwood, Aglaé Bory, Céline Clanet, Stéphane Couturier, Léa Crespi, Denis Dailleux, Denis Darzacq, Raymond Depardon, Marie Dorigny, Sandrine Expilly, Françoise Huguier, Vincent Jarousseau, Géraldine Millo, Bernard Plossu, Sebastião Salgado, Michel Séméniako, Ambroise Tézénas, Patrick Tourneboeuf, Patrick Zachmann, Sophie Zénon…
La liste des signataires sur www.upp.photo.
avec les tableaux abstraits de Hans Hartung ou d’Antoni Tàpies. Immortalisées par Eric Poitevin juste après dégustation, ces sobres planches aux titres évocateurs (Blanc de lait et Noir de truffe, Rouge aux lèvres, Pigeon aux baies de cassis, Tombe la neige…) composent Servez citron, un très beau livre de photographies et de 41 recettes inédites. Le photographe et les cuisiniers (Michel et César Troisgros) inventent un livre d’un nouveau genre où nos facultés gustatives sont prises à rebours de la contemplation, pour un régal des pupilles rimant presque avec poésie pure. Servez citron Photos d’Éric Poitevin Editions Macula, 280 pp., 45 €.
4
C’est acquis, nous sommes en train de nous tuer à petit feu. Loin de provoquer une panique constructive, ce constat donne surtout lieu à un mélange de fatalisme et d’inutile mauvaise conscience ne produisant pas d’effets concluants. Dark Waters met en scène un Goliath facilement identifiable, aux prises avec un fragile David qui le mitraille d’attaques aussi désespérées que répétées, et l’on peut lire dans ce beau film une injonction à l’action, quand bien même nécessite-t-elle des ressorts quasi surhumains d’intelligence et de courage. Un avocat d’un grand cabinet d’affaires de Cincinnati se retrouve à enquêter puis à plaider des années durant contre DuPont, géant de l’industrie chimique aux Etats-Unis. L’étendue du scandale a quelque chose d’effarant, même si l’on s’attend toujours au pire dans le genre balisé des «films de lanceur d’alerte». Le mérite en revient à Todd Haynes qui, en insufflant sa science du mélo au film procédural, brosse un tableau d’une insondable tristesse, portée à même le visage et les grands yeux mouillés du toujours attendrissant Mark Ruffalo.
Dark Waters de Todd Haynes
(visible en VOD).
5
Avec un lanceur d’alerte
Avec un feu unique
Combien avez-vous vu, ces dernières années, de films simples et vertigineux, universels et radicaux, qui ne vont pas où vous auriez envie qu’ils aillent, qui vous renversent, vous agacent, mais surtout qui restent en vous, éclairant d’une lumière nouvelle tous ceux que vous avez vus depuis et tout ceux que verrez ensuite ? Pas beaucoup. C’est le cas de First Reformed de Paul Schrader, péniblement traduit en France par Sur le chemin de la rédemption. Le vingtième long métrage du réalisateur d’American Gigolo et scénariste de Taxi Driver a été jeté sans égards dans la fosse grouillante de la VOD alors qu’il avait tout pour redonner la foi au plus blasé et exigeant des spectateurs. Cent douze minutes minérales, hypnotiques, qui piochent ouvertement chez Bresson, Dreyer et Tarkovski mais sont habitées par un feu unique, portées par un fabuleux Ethan Hawke, prêtre dont la vie millimétrée et un rien ingrate s’embrase après sa rencontre avec une de ses fidèles et son compagnon activiste écologique radical. «Dieu nous pardonnera-t-il d’avoir détruit le monde ?» demande le film. Et vous, vous pardonnerez-vous d’être passé à côté d’un des plus grands films des années 2010 ?
Sur le chemin de la rédemption de Paul Schrader (visible sur OCS).