En attendant le dégel: samples suaves, assiettes vides et causes perdues
Jusqu’à la réouverture totale des salles de cinéma, de spectacles et d’expositions, «Libération» vous propose une sélection culturelle consommable à demeure.
1
Avec une mâchoire virile
Au moment où les Etats-Unis sont secoués par des violences policières, il est troublant de lire l’Homme qui tua Chris Kyle (Dargaud), de Nury et Brüno. En retraçant les histoires de Chris Kyle, célèbre serial sniper incarné par Bradley Cooper dans le film de Clint Eastwood American Sniper, et de son assassin, Eddie Ray Routh, un militaire traumatisé, les auteurs nous emmènent dans les tréfonds de ce pays où armes, virilisme et patriotisme jouent chaque jour ensemble une farandole macabre. De la manière la plus froide et posée possible, presque aussi mécanique que la mâchoire du sniper, la BD démonte un système qui conduit à la violence, comme si, depuis la conquête de l’Ouest, rien n’avait changé, l’important étant à la fin d’imprimer une belle légende et que le business continue.
L’Homme qui tua Chris Kyle de Nury et Brüno Dargaud, 164 pp., 22,50 €.
2
Le funk, tel que le pratique Kenny Dixon Jr. depuis un quart de siècle, est heavy et jamais léger. Lesté d’un héritage immense, d’envies formelles extravagantes (quelques expériences de dance music parmi les plus hypnotiques) et d’une expérience de vie chargée en drames, il n’est jamais «que» de la deep house, genre dont l’Américain est l’un des innovateurs les plus admirés au monde. Car Kenny Dixon Jr. est noir et a passé son existence à Detroit, ville de la Motown et de la techno, mais aussi pionnière de l’expérience de la banqueroute du capitalisme américain. Sous des dehors formels plus détendus que jamais, ce 14e album plein de (nu) soul, de samples et de suavité, porte le trauma de l’agression de trop, une arrestation musclée par la police alors qu’il était assis dans son propre van, garé devant son domicile. Plus qu’un storytelling pénible, un cas d’école – et un grand disque au compte de sa discographie.
Moodymann Taken Away (KDJ).
3
Avec des traumas
Avec des yeux gourmands
Elles rayonnent sur les pages comme des astres non identifiés. Délestées d’une anguille, d’un carré d’agneau ou d’un dim sum au miel, les assiettes vides du restaurant Troisgros flirtent