Les économistes entre racisme et rationalité
Comment prouver le racisme qui motive une discrimination sur le marché du travail ? Entre théorie de la concurrence et multiplicité des causes, il est difficile d’en faire la démonstration malgré les inégalités constatées.
Depuis les manifestations liées à la mort de George Floyd, de nombreux Américains s’interrogent sur leur comportement et la manière dont ils peuvent contribuer eux aussi à des pratiques discriminatoires. Les économistes ne font pas exception. En tant qu’économiste du travail, j’ai fait cours sur les discriminations et les raisons pour lesquelles les Noirs américains se retrouvent moins bien payés et plus souvent au chômage. La discrimination statistique proposée par le Nobel Gary Becker est l’une des explications préférées des économistes. Pour faire simple, elle dit qu’une entreprise qui a peu de renseignements sur un travailleur peut rationnellement utiliser l’origine pour tenter de cerner sa productivité. Une entreprise peut ainsi penser qu’un Noir est moins éduqué qu’un Blanc, car ces derniers font moins d’études aux Etats-Unis. Or, si on pense qu’il n’y a pas de comportement raciste mais juste une discrimination statistique rationnelle, il est presque impossible de prouver le contraire. Cette théorie de la discrimination statistique peut ainsi servir à justifier l’immobilisme politique actuel. Revenons à la théorie. La discrimination statistique se produit donc quand les employeurs n’ont pas assez d’informations pour évaluer la performance d’un travailleur. L’employeur rationnel qui fait de la discrimination statistique ne le fait que parce qu’il manque de renseignements : en acquérir plus est trop onéreux en temps ou en argent. Si les employeurs étaient racistes (discrimination par la couleur de la peau), ils refuseraient d’embaucher des travailleurs noirs, même quand ils sont aussi productifs, voire plus productifs que les Blancs. Ce comportement raciste ferait donc perdre de l’argent aux employeurs qui, de par leur racisme, refuseraient d’embaucher les plus productifs. Si le marché du travail était compétitif, ces employeurs racistes fermeraient bientôt leurs portes, ne pouvant faire face à la concurrence des employeurs non racistes qui se permettraient d’employer les meilleurs, noirs ou blancs. La théorie suggère ainsi que le racisme ne peut pas prospérer dans un marché du travail concurrentiel.
Or, le marché de l’emploi aux Etats-Unis est rarement concurrentiel, comme le montrent mes recherches (1). La plupart des secteurs n’ont qu’une poignée d’entreprises réellement en concurrence pour embaucher, très loin de l’infinité variété exigée par la concurrence pure et parfaite (2). Cette situation est similaire en France, comme je le montre dans un autre document (3). Ce manque de concurrence sur le marché de l’emploi signifie que les entreprises sont en mesure de souspayer les travailleurs. Et donc, sont aussi en mesure de souspayer les travailleurs noirs. La porte est ouverte à la discrimination raciale.
Mais si on pense que le traitement inégal des travailleurs noirs est dû à la discrimination statistique plutôt qu’au racisme pur et simple, il est très difficile de prouver le contraire. Il faudrait alors pouvoir mesurer la productivité d’un travailleur, et montrer que l’employeur a assez d’informations pour l’évaluer sans utiliser l’origine. Ou bien, si l’employeur n’a pas assez d’informations, il faudrait démontrer qu’il coûte trop cher d’en acquérir, et que l’origine est un bon critère pour évaluer la productivité. Or, la productivité d’un travailleur est généralement impossible à mesurer précisément, car la plupart du temps, il commandations de la Convention climat, on ne pourra plus dépasser les 110 km/h. Jusqu’à maintenant, les Français roucoulaient à 130 sur ces tapis ripolinés qui facilitent des glissades plus billard que corbillard. Il leur fallait une imagination débordante pour se prendre pour Charles Leclerc, le jeune pilote Ferrari, vu le rythme de croisière pépère à bord de ces engins automatisés qu’on conduit les doigts de pieds en éventail et les mains derrière la nuque. 130, c’est plus que ce qui est autorisé aux placides Américains mais moins que les rugissants Allemands, inversion des stéréotypes qui d’ordinaire veulent des cow-boys fulminants et des cousins germains disciplinés.
Les chiffres agités par les concessionnaires des péages de ces pistes de bowling racontent que 75 % des Français refusent d’en rabattre. Attachés à leur liberté d’aller et de venir comme ça leur chante, ces derniers étaient déjà nombreux à se dresser contre le repli de 90 à 80 km/h sur les routes secondaires et le gouvernement a senti passer le vent du boulet.
La résistance est tripale et peu rationnelle au sein d’une population très consciente que la planète brûle mais renâclant à agir. Cette mise au ralenti déclenche comme un sentiment de perte d’une innocence laissant flotter les rubans de l’insouciance. Les Français envoiturés veulent encore des bretelles d’accès sans ceintures. Ils se rêvent toujours en Isadora Duncan, cheveux au vent dans son cabriolet. Même s’ils savent pertinemment qu’elle a fini étranglée par son écharpe passée dans l’essieu de la roue arrière.
Les huit minutes à l’heure qui seraient perdues en passant de 130 à 110 sont le symptôme travaille en équipe. Par ailleurs, il est difficile de savoir ce que pense réellement un employeur (on n’est pas dans sa tête), comment il évalue le coût en temps et en argent pour juger de la productivité d’une personne.
Ainsi, on observe qu’un CV avec un nom associé à un Noir est moins apprécié des employeurs, même quand le CV est identique à celui portant un nom associé à un Blanc (4). Est-ce du racisme ? Peut-être pas, les premiers noms sont souvent liés aussi à des caractéristiques socio-économiques moins favorables (5). Il s’agit donc peut-être de discrimination statistique. Au lieu de faire comme Sisyphe et d’essayer encore et encore de prouver que la discrimination statistique n’explique pas totalement les inégalités raciales, les économistes devraient évaluer les politiques censées promouvoir une plus grande égalité entre tous. •
Cette chronique est assurée en alternance par Pierre-Yves Geoffard, Anne-Laure Delatte, Bruno Amable et Ioana Marinescu. d’un temps qui ne se rattrape plus, celui des Fangio de vicinales, des Senna de RN7, des Schumi d’avant la chute à… skis. Le dernier album du chanteur Benjamin Biolay s’intitule Grand Prix. Ces refrains avivent la nostalgie des pilotes à la François Cevert, de tous ces beaux dangereux dans leurs combinaisons mal ignifugées, amants de la mort subite, débauchés survireurs risquant leur vie au tournant, bravaches parfumés au fuel et bellâtres attirant des pin-up en bikini. Pour la bonne cause, la société apeurée tue gentiment ces figures transgressives et violentes. Warnings mis en permanence, les dragsters vont se faire poussettes et se laisser câliner par la bienveillance dodue des airbags. Bientôt, la néo-auto sera silencieuse et climatiquement neutre, participative et autonettoyante. Elle l’est déjà, et c’est ce qui perturbe des titulaires d’un permis à points qui rêvent parfois d’oublier le code de bonne conduite. Ils ne détestent pas se raconter que leur terrible engin pète et rote, salit et avilit. Ils s’imaginent n’avoir besoin de personne pour aller au bout de l’enfer. Et en revenir meurtris et grandis à la fois, heaume de casque levé avant de faire gicler le jéroboam de champagne.
Ce fantasme est d’autant plus éventé que la vitesse actuelle devient imperceptible. Le confort est garanti en SUV, en TGV, comme dans la fusée touristique d’Elon Musk. Le tout tient de la gestation in utero. Il n’y a plus qu’en enfourchant des vélos électriques ou en se dressant sur des trottinettes décalaminées que l’on se fait froid dans le dos malgré la transpiration qui rigole sous le sac à dos, en grillant les feux auxquels s’arrêtent, obéissantes, les autos moribondes. •