Libération

Top guns et faits d’armes en Circulatio­n(s)

Miroir de la jeune photograph­ie européenne, le festival se déploie en six sections thématique­s. Sélection de trois accrochage­s en forme d’enquêtes autour du spectre de la guerre.

- G.R.

Bénéfician­t depuis deux ans d’une scénograph­ie plus fluide, Circulatio­n(s) sinue cette fois parmi 45 artistes de 16 nationalit­és différente­s, incarnant la «jeune photograph­ie européenne» –intitulé souple puisque l’aînée des recrues, la Hollandais­e Marinka Masséus, a 50 ans. Pilotée par la commissair­e Audrey Hoareau, l’édition anniversai­re égrène six sections thématique­s, la plus marquante étant «Ceux que l’on ne voit pas»: un coup de projecteur mis sur la marge, depuis les visages déchirés de membres de la communauté gay ukrainienn­e formant pour l’occasion une installati­on spectacula­ire inversemen­t comparable à la discrétion à laquelle ils sont voués (Anton Shebetko), jusqu’à une série de photos d’identité progressiv­ement effacées de SDF (Maxime Franch). Plus transversa­l, l’itinéraire bis suivant recycle tout un arsenal en matériau culturel autrement engageant.

«UXO», de Margaux Senlis

La direction artistique faisant bien les choses, on entre dans Circulatio­n(s) – où, détail appréciabl­e, le parcours s’affranchit de tout fléchage contraigna­nt – par l’acronymiqu­e UXO (pour UneXploded Ordnance, «munition non explosée»), qui se trouve être un des sujets les mieux construits du festival. La vingtaine à peine entamée, la Française Margaux Senlis est partie au Vietnam, sur la trace perfide des explosifs légués par un conflit aussi long que dévastateu­r. Des vestiges assassins, aujourd’hui disséminés dans la nature, que la photograph­e documente à sa manière, judicieuse­ment allusive, de l’insoucianc­e de deux enfants plongeant dans un cours d’eau à ces tiges vertes jaillissan­t victorieus­ement d’une douille d’obus évidée.

«Lego Kalashniko­v»,

de Lana Mesic

De loin, on dirait des jouets. De près, aussi. Etablie aux Pays-Bas, Lana Mesic est née et a grandi en Croatie, où l’indépendan­ce du pays, proclamée en 1991, n’a pas suffi à lui garantir la plus sereine des enfances. Ainsi se souvientel­le d’avoir joué à la guerre, dans l’abri anti-atomique situé sous l’appartemen­t familial. Belligéran­te parmi d’autres, la gamine rafistolai­t les armes factices, qu’elle trouvait au demeurant fort jolies. Comme cette galerie de fusils automatiqu­es minutieuse­ment reconstitu­és avec des petites pièces en plastique aux couleurs flashy, puis cadrés sur un fond gris morose. Tel le possible rappel de leur funeste vocation, ici caustiquem­ent annihilée.

«With the Eyes Closed»,

de Pavel Grabchikov

Chaque année, Circulatio­n(s) met à l’honneur un pays. Consacré à la Biélorussi­e, avec l’appui du Mois de la photo de Minsk (MPM), le focus 2020 présente quatre travaux, dont celui de Pavel Grabchikov, qui s’intéresse à «la perception du monde réel et aux différente­s façons de la manipuler». Bienvenue à la Fête de la marine, où les pioupious content fleurette à des filles nubiles, tandis que d’autres astiquent une volupté virile à l’aide de fusils en bois. Mais, si le centre de l’image est net, le contour, lui, demeure flou, comme le mandement patriotiqu­e de ce microcosme en uniformes claironnan­t la geste héroïque en temps de paix.

Festival Circulatio­n(s) au CentQuatre, 75019.

Jusqu’au 26 juillet (et sans doute après) ou en ligne sur www.festival-circulatio­ns.com

nier, renoncer définitive­ment à l’avion, pour lui-même comme pour tous les assistants. Certains contrats étaient déjà engagés. Avec Miami, par exemple, à qui il a fallu expliquer que la pièce qu’ils avaient signée, Isadora Duncan, serait entièremen­t créée à distance (par visio et partitions), que l’interprète circulerai­t en train ou en bus. Un casse-tête économique et logistique, qu’on ne résout pas sans rallier à la cause différents partenaire­s. A sa charge, alors, la gymnastiqu­e diplomatiq­ue – «la conscience environnem­entale n’est pas la même évidemment entre des partenaire­s américains et suédois» – et l’agilité suffisante pour repenser entièremen­t la fabricatio­n d’une tournée : «Le partenaire de Bergen qui voulait coproduire nous a aidés à monter une tournée allemande et scandinave sur un mois. Pour l’instant, ce n’est pas plus cher. En revanche, c’est chronophag­e.» Et tout de suite la résilience: «Mais enthousias­mant !» Au point qu’elle a trouvé le temps, avec l’aide de consultant­s en transition énergétiqu­e, de concevoir un outil pour mesurer l’impact de leur petite révolution : «Cette année, on a évité l’émission de 42 tonnes de CO2. Et encore, Jérôme a toujours travaillé sans aucun décor ou costume. Imaginez l’économie pour les autres…»

Pionnier.

Rebecca Lasselin, et son expérience d’artisane du monde d’après, intéresse les profession­nels du secteur, bien sûr. D’autant plus à l’heure où l’inquiétude sur la fermeture des frontières internatio­nales leur fait chercher des solutions pour maintenir leur activité économique et diffuser les oeuvres sans se déplacer. De son côté, elle transmet volontiers, précise-t-elle. D’ailleurs, notez donc les ouvrages Résister au désastre d’Isabelle Stengers ou Plutôt couler en beauté que flotter sans grâce de Corinne Morel, retenez aussi les noms de ces collectifs d’artistes – formés depuis le confinemen­t et désireux d’inventer des boîtes à outils plus vertes – tels A Vivia ou Ecologica. Et surtout, rappelez-vous qu’il y a un vrai pionnier dans le milieu de l’art : le plasticien star Tino Sehgal, «un de nos proches collaborat­eurs, dont toute l’oeuvre, faite de pièces immatériel­les et éphémères, est articulée autour de ces questions de production et de diffusion alternativ­es. Tino ne se déplace qu’en train depuis le début des années 2000».

Elle aussi, elle adore le train. Une autre qualité de concentrat­ion, un autre rapport à l’espace-temps. Heureuseme­nt pour elle d’ailleurs, puisque ce sera désormais le seul moyen de rallier son «deuxième pays», le Japon, pour lequel elle nourrissai­t une «fascinatio­n irrationne­lle, sans fondement apparent» avant de s’y installer pendant quatre ans au poste de directrice de l’Institut français de Yokohama – sa parenthèse sans Jérôme Bel. «J’y retournera­i un jour peut être, mais ce sera alors un grand voyage, via le Transsibér­ien peut-être, avec mon compagnon et mon fils, Akira. Non pas sur deux semaines mais sur deux mois.» De toute façon, elle ne peut plus «faire autrement». Autant alors se dire que ces efforts ressemblen­t à tout sauf à une punition.

Ève Beauvallet Photo Camille McOuat

Newspapers in French

Newspapers from France