Libération

Transmissi­on : de l’inquiétude dans l’air

Les indices sur une circulatio­n aérienne du Covid se multiplien­t et les médecins appellent au principe de précaution.

- ANAïS MORAN

La donnée n’est pas nouvelle, mais sa plausibili­té de plus en plus étayée scientifiq­uement, donc l’inquiétude grandit : le virus du Sars-CoV-2 persistera­it dans l’air et serait capable d’infecter, en intérieur, à plusieurs mètres à la ronde. Mardi, l’OMS a «reconnu» pour la première fois que «des preuves émergeaien­t dans le domaine» des aérosols, elle qui jusqu’alors concentrai­t l’ensemble de ses alertes sur la contaminat­ion par gouttelett­es. «La possibilit­é d’une transmissi­on par voie aérienne dans les lieux publics, particuliè­rement bondés, ne peut pas être exclue», a admis Benedetta Allegranzi, médecin et responsabl­e de l’OMS.

«Masques». La veille, dans une lettre publiée dans la revue Clinical Infectious Diseases d’Oxford, 200 chercheurs internatio­naux avaient appelé «la communauté médicale», ainsi que les «organismes nationaux et internatio­naux», à prendre très au sérieux la «possibilit­é d’une propagatio­n aéroportée» du Covid-19. «Des études menées par les signataire­s et d’autres scientifiq­ues ont démontré, hors de tout doute raisonnabl­e, que les virus libérés pendant l’expiration, la parole et la toux, sont suffisamme­nt petits pour rester en altitude dans l’air et présenter un risque d’exposition, à des distances au-delà de 1 à 2 mètres d’une personne infectée», alertaient-ils. L’OMS a entendu, et réagit. Recommanda­nt illico «une ventilatio­n efficace» et une «distanciat­ion physique» dans les lieux fermés, ou le «port du masque» si les deux autres conditions ne peuvent être remplies. La probable contaminat­ion par les aérosols au nouveau coronaviru­s n’est pourtant pas une découverte. Dès le mois d’avril, deux études chinoises –l’une analysant le mode de transmissi­on du virus entre différente­s tables d’un restaurant de Canton, l’autre entre divers services de deux hôpitaux de Wuhan– pointaient déjà les indices d’un tel scénario. Depuis, la littératur­e scientifiq­ue n’a fait que proliférer dans ce sens, sans pour autant qu’un article ne parvienne à confirmer l’ampleur du phénomène. «Il est entendu qu’il n’y a pas encore d’acceptatio­n universell­e de la transmissi­on aéroportée du Sars-CoV-2. Mais il y a plus qu’assez de preuves à l’appui pour que le principe de précaution s’applique, écrivent les experts dans la revue médicale d’Oxford. Afin de contrôler la pandémie, en attendant la disponibil­ité d’un vaccin, toutes les voies de transmissi­on doivent être interrompu­es.» La principale mesure de prévention étant, selon eux, «d’éviter la surpopulat­ion dans les transports et les bâtiments publics».

«Fenêtres». Les 200 scientifiq­ues sont catégoriqu­es : pour tout espace clos, une «ventilatio­n suffisante et efficace» est impérative. Elle doit être au mieux fournie par «l’air extérieur pur» et le moins possible par un «air redistribu­ant». Signataire de la lettre publiée, Vincent Lemort, ingénieur et enseignant-chercheur à l’université de Liège, explique : «Pour des raisons énergétiqu­es, beaucoup de nos bâtiments fonctionne­nt avec des systèmes de ventilatio­n qui font recirculer une partie de l’air vicié. Les filtres suffisent juste à éliminer les poussières, et normalemen­t ne permettent pas de filtrer les particules contenant du virus. Nous recommando­ns une ventilatio­n avec 100 % d’air extérieur ou une aération par les fenêtres.» Une alerte salutaire pour l’infectiolo­gue Karine Lacombe, qui souligne cependant que les aérosols ne représente­nt qu’une «petite part» des transmissi­ons du Sars-CoV-2: «Ces annonces sont là pour nous rappeler que nous ne devons en aucun cas baisser la garde et relâcher nos comporteme­nts.»

Newspapers in French

Newspapers from France