Trois loups du numérique au secours de la cause animale
Xavier Niel, Marc Simoncini et Jacques-Antoine Granjon mettent à profit leurs réseaux pour soumettre à un référendum d’initiative partagée six mesures pro-animaux. Une proposition de loi qui, si elle était votée, améliorerait le sort d’un milliard de bê
Voilà sans doute le projet le plus ambitieux jamais lancé en France en faveur de la défense animale. Il vise à organiser un référendum d’initiative partagée (RIP) sur six mesures fortes qui pourraient améliorer chaque année le sort d’un milliard d’animaux en France. Officiellement présenté le 2 juillet, ce projet a été construit dans un contexte inédit. Il n’est pas porté, comme on aurait pu s’y attendre, par des militants animalistes, mais par trois PDG du numérique : Jacques-Antoine Granjon, à la tête de Veepee (ex-Vente privée), Marc Simoncini, le créateur de Meetic, et Xavier Niel, le patron de Free, qui raconte à Libération la genèse de cette initiative (lire ci-contre). A ce trio est venu s’ajouter Hugo Clément, journaliste de France 2 réputé pour son engagement en faveur des animaux.
«Demande sociétale»
Leur objectif est de soumettre à un référendum une proposition de loi (PPL) «relative à la responsabilité environnementale des êtres humains vis-à-vis des animaux». Cette PPL compte donc six mesures: mettre un terme aux expérimentations sur des animaux lorsqu’il existe des solutions de recherche alternatives. Interdire la chasse à courre, la vénerie sous terre et les chasses traditionnelles, comme la chasse à la glu. Exit également l’élevage en cage, en case, en stalle ou en box, dès 2025, ainsi que les élevages d’animaux pour leur fourrure. Les promoteurs du texte souhaitent aussi sortir de l’élevage intensif, autrement dit, sans accès au plein air, d’ici 2040. Enfin, ils appellent à l’interdiction des spectacles exploitant des animaux sauvages, ainsi que la reproduction des orques et dauphins détenus dans les delphinariums. On le voit, le champ balayé par ce texte est vaste.
«Nous avons choisi des mesures qui bénéficiaient d’une adhésion massive dans la population et impactaient un très grand nombre d’animaux», résume Hugo Clément, qui précise que ce choix s’est fait en accord avec les ONG impliquées dans le projet. A ce jour, celui-ci est soutenu par 28 associations, dont tous les poids lourds de la défense animale. «Ces mesures sont réalisables et correspondent toutes à une demande sociétale, estime Brigitte Gothière, cofondatrice de L214. Le vrai plus, c’est que cette initiative vienne d’acteurs
«Ces mesures sont réalisables et correspondent
toutes à une demande sociétale. Le vrai plus, c’est que cette initiative vienne d’acteurs économiques qu’on n’attendait pas du tout sur ce sujet.»
Brigitte Gothière Cofondatrice de L214
économiques qu’on n’attendait pas du tout sur ce sujet. Voilà qui sort la question animale de l’ornière du monde militant.» De nombreux VIP se sont aussi manifestés en faveur de ce RIP, parmi lesquels Nicolas Hulot, Yann Arthus-Bertrand, Nagui, Stéphane Bern, Juliette Binoche ou Bruno Solo.
Mais la route est longue avant la tenue du référendum, car le texte doit d’abord être soutenu par au moins 185 parlementaires. Déjà, 42 députés et sénateurs, de LFI à LR, se sont déclarés favorables à cette initiative. Parmi eux, Olivier Falorni, député de Charente-Maritime (groupe Libertés et Territoires): «Réunir 185 soutiens, c’est un vrai défi. Les députés de la majorité ont montré, lors des discussions sur la loi Egalim, leur frilosité sur la question animale. A l’époque, toutes les avancées proposées avaient été balayées. Peut-être sont-ils plus libres aujourd’hui d’exprimer leurs convictions ?» Melvin Josse, cofondateur de Convergence Animaux Politique, une structure de lobbying qui vise à rapprocher les acteurs politiques et les associations de défense animale, se dit plus optimiste: «J’évalue à 70 ou 80 le nombre de députés et sénateurs sympathisants à la cause animale. Réunir 185 parlementaires autour de ce RIP, c’est faisable.»
En revanche, l’étape suivante lui semble plus délicate. Le RIP doit en effet recueillir, sur un site dédié créé par le ministère de l’Intérieur, et en l’espace de neuf mois, la bagatelle de 4,7 millions de signatures (soit 10 % des citoyens inscrits sur les listes électorales). Pour mémoire, la campagne pour une justice climatique baptisée l’«affaire du siècle» avait réuni, fin 2018… 2 millions de signatures. La proposition de RIP sur les Aéroports de Paris, en 2019, en avait collecté 1 million. Mais il en faudrait plus pour décourager les militants : «Les boss qui lancent ce RIP sont superoptimistes et ont l’habitude de projets ambitieux, note Brigitte Gothière. De notre côté, grâce à nos réseaux et à toutes les associations locales, nous touchons plusieurs millions de personnes.» A lui seul, Hugo Clément comptabiliserait 2 millions d’abonnés sur ses différents comptes: «En quatre jours seulement, le site créé pour soutenir ce projet (1) comptait déjà plus de 230 000 inscrits, raconte le journaliste. On ne s’attendait pas à une telle mobilisation, si rapide.»
Enquêtes chocs
Il est vrai que cette initiative a lieu dans un contexte particulièrement favorable. Les enquêtes chocs régulièrement diffusées par les associations pro-animaux continuent à mobiliser l’opinion contre les pires pratiques du secteur agroalimentaire. L214 diffuse ainsi, ce jeudi 9 juillet (2), une nouvelle vidéo dénonçant les conditions d’élevage, au Brésil, de poulets qui finissent comme ingrédients chez Domino’s Pizza. On y voit d’immenses hangars où s’entassent des dizaines de milliers de volatiles déplumés, malades, écrasés sous leur propre poids.
De telles révélations ont contribué à accélérer une prise de conscience sociétale mais aussi une politisation de la cause animale. Les initiatives s’enchaînent : signé par 14 parlementaires et 115 chercheurs et responsables politiques, un appel citoyen exigeant davantage de politiques publiques en faveur des animaux va être dévoilé ce jeudi. «La semaine dernière, une proposition de loi transversale abordant plusieurs problématiques, comme les animaux dans les cirques ou les fermes à fourrure, a été déposée par 7 députés ultramotivés, rappelle Melvin Josse. Dans le même temps, le député Loïc Dombreval remettait au ministre de l’Agriculture un rapport sur le bien-être des animaux de compagnie. Toutes ces initiatives contribuent à une vraie dynamique.»
Au-delà de la percée des écolos, les dernières municipales ont vu l’élection de 52 maires et d’environ 180 conseillers municipaux signataires d’une charte portée par L214, actant des engagements concrets en faveur des animaux. La nomination au ministère de la Transition écologique de Barbara Pompili, connue pour son engagement dans la cause animale, représente un autre signe encourageant pour les militants. Mais ceux-ci ont appris que dans leur combat, mieux valait ne jamais vendre trop tôt la peau de l’ours. •