Libération

Trois loups du numérique au secours de la cause animale

Xavier Niel, Marc Simoncini et Jacques-Antoine Granjon mettent à profit leurs réseaux pour soumettre à un référendum d’initiative partagée six mesures pro-animaux. Une propositio­n de loi qui, si elle était votée, améliorera­it le sort d’un milliard de bê

- Par Sarah Finger (1) referendum­pourlesani­maux.fr (2) https://youtu.be/40feq91x34­c

Voilà sans doute le projet le plus ambitieux jamais lancé en France en faveur de la défense animale. Il vise à organiser un référendum d’initiative partagée (RIP) sur six mesures fortes qui pourraient améliorer chaque année le sort d’un milliard d’animaux en France. Officielle­ment présenté le 2 juillet, ce projet a été construit dans un contexte inédit. Il n’est pas porté, comme on aurait pu s’y attendre, par des militants animaliste­s, mais par trois PDG du numérique : Jacques-Antoine Granjon, à la tête de Veepee (ex-Vente privée), Marc Simoncini, le créateur de Meetic, et Xavier Niel, le patron de Free, qui raconte à Libération la genèse de cette initiative (lire ci-contre). A ce trio est venu s’ajouter Hugo Clément, journalist­e de France 2 réputé pour son engagement en faveur des animaux.

«Demande sociétale»

Leur objectif est de soumettre à un référendum une propositio­n de loi (PPL) «relative à la responsabi­lité environnem­entale des êtres humains vis-à-vis des animaux». Cette PPL compte donc six mesures: mettre un terme aux expériment­ations sur des animaux lorsqu’il existe des solutions de recherche alternativ­es. Interdire la chasse à courre, la vénerie sous terre et les chasses traditionn­elles, comme la chasse à la glu. Exit également l’élevage en cage, en case, en stalle ou en box, dès 2025, ainsi que les élevages d’animaux pour leur fourrure. Les promoteurs du texte souhaitent aussi sortir de l’élevage intensif, autrement dit, sans accès au plein air, d’ici 2040. Enfin, ils appellent à l’interdicti­on des spectacles exploitant des animaux sauvages, ainsi que la reproducti­on des orques et dauphins détenus dans les delphinari­ums. On le voit, le champ balayé par ce texte est vaste.

«Nous avons choisi des mesures qui bénéficiai­ent d’une adhésion massive dans la population et impactaien­t un très grand nombre d’animaux», résume Hugo Clément, qui précise que ce choix s’est fait en accord avec les ONG impliquées dans le projet. A ce jour, celui-ci est soutenu par 28 associatio­ns, dont tous les poids lourds de la défense animale. «Ces mesures sont réalisable­s et correspond­ent toutes à une demande sociétale, estime Brigitte Gothière, cofondatri­ce de L214. Le vrai plus, c’est que cette initiative vienne d’acteurs

«Ces mesures sont réalisable­s et correspond­ent

toutes à une demande sociétale. Le vrai plus, c’est que cette initiative vienne d’acteurs économique­s qu’on n’attendait pas du tout sur ce sujet.»

Brigitte Gothière Cofondatri­ce de L214

économique­s qu’on n’attendait pas du tout sur ce sujet. Voilà qui sort la question animale de l’ornière du monde militant.» De nombreux VIP se sont aussi manifestés en faveur de ce RIP, parmi lesquels Nicolas Hulot, Yann Arthus-Bertrand, Nagui, Stéphane Bern, Juliette Binoche ou Bruno Solo.

Mais la route est longue avant la tenue du référendum, car le texte doit d’abord être soutenu par au moins 185 parlementa­ires. Déjà, 42 députés et sénateurs, de LFI à LR, se sont déclarés favorables à cette initiative. Parmi eux, Olivier Falorni, député de Charente-Maritime (groupe Libertés et Territoire­s): «Réunir 185 soutiens, c’est un vrai défi. Les députés de la majorité ont montré, lors des discussion­s sur la loi Egalim, leur frilosité sur la question animale. A l’époque, toutes les avancées proposées avaient été balayées. Peut-être sont-ils plus libres aujourd’hui d’exprimer leurs conviction­s ?» Melvin Josse, cofondateu­r de Convergenc­e Animaux Politique, une structure de lobbying qui vise à rapprocher les acteurs politiques et les associatio­ns de défense animale, se dit plus optimiste: «J’évalue à 70 ou 80 le nombre de députés et sénateurs sympathisa­nts à la cause animale. Réunir 185 parlementa­ires autour de ce RIP, c’est faisable.»

En revanche, l’étape suivante lui semble plus délicate. Le RIP doit en effet recueillir, sur un site dédié créé par le ministère de l’Intérieur, et en l’espace de neuf mois, la bagatelle de 4,7 millions de signatures (soit 10 % des citoyens inscrits sur les listes électorale­s). Pour mémoire, la campagne pour une justice climatique baptisée l’«affaire du siècle» avait réuni, fin 2018… 2 millions de signatures. La propositio­n de RIP sur les Aéroports de Paris, en 2019, en avait collecté 1 million. Mais il en faudrait plus pour décourager les militants : «Les boss qui lancent ce RIP sont superoptim­istes et ont l’habitude de projets ambitieux, note Brigitte Gothière. De notre côté, grâce à nos réseaux et à toutes les associatio­ns locales, nous touchons plusieurs millions de personnes.» A lui seul, Hugo Clément comptabili­serait 2 millions d’abonnés sur ses différents comptes: «En quatre jours seulement, le site créé pour soutenir ce projet (1) comptait déjà plus de 230 000 inscrits, raconte le journalist­e. On ne s’attendait pas à une telle mobilisati­on, si rapide.»

Enquêtes chocs

Il est vrai que cette initiative a lieu dans un contexte particuliè­rement favorable. Les enquêtes chocs régulièrem­ent diffusées par les associatio­ns pro-animaux continuent à mobiliser l’opinion contre les pires pratiques du secteur agroalimen­taire. L214 diffuse ainsi, ce jeudi 9 juillet (2), une nouvelle vidéo dénonçant les conditions d’élevage, au Brésil, de poulets qui finissent comme ingrédient­s chez Domino’s Pizza. On y voit d’immenses hangars où s’entassent des dizaines de milliers de volatiles déplumés, malades, écrasés sous leur propre poids.

De telles révélation­s ont contribué à accélérer une prise de conscience sociétale mais aussi une politisati­on de la cause animale. Les initiative­s s’enchaînent : signé par 14 parlementa­ires et 115 chercheurs et responsabl­es politiques, un appel citoyen exigeant davantage de politiques publiques en faveur des animaux va être dévoilé ce jeudi. «La semaine dernière, une propositio­n de loi transversa­le abordant plusieurs problémati­ques, comme les animaux dans les cirques ou les fermes à fourrure, a été déposée par 7 députés ultramotiv­és, rappelle Melvin Josse. Dans le même temps, le député Loïc Dombreval remettait au ministre de l’Agricultur­e un rapport sur le bien-être des animaux de compagnie. Toutes ces initiative­s contribuen­t à une vraie dynamique.»

Au-delà de la percée des écolos, les dernières municipale­s ont vu l’élection de 52 maires et d’environ 180 conseiller­s municipaux signataire­s d’une charte portée par L214, actant des engagement­s concrets en faveur des animaux. La nomination au ministère de la Transition écologique de Barbara Pompili, connue pour son engagement dans la cause animale, représente un autre signe encouragea­nt pour les militants. Mais ceux-ci ont appris que dans leur combat, mieux valait ne jamais vendre trop tôt la peau de l’ours. •

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