Libération

«je préfère la mise en contexte et la pédagogie à la destructio­n»

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«Il y a quelques années, j’ai réalisé un prototype de sculpture déboulonna­ble. C’était une ébauche. Je considère qu’elle n’est pas très réussie, elle était trop bavarde, mais l’intention me semblait pertinente. Et j’avoue que l’actualité me fait repenser à elle. Elle figurait un personnage dont on suppose qu’il puisse être historique. Et la statue était pensée comme un médicament sécable : elle pouvait se rompre au niveau des genoux –la rupture se situe généraleme­nt à cet endroit, j’avais regardé les images de la sculpture de Saddam Hussein déboulonné­e par les Américains, par exemple. Le visage de cette sculpture n’était pas défini. Comme une manière de suggérer qu’elle en aurait peutêtre un, un jour, mais plus tard, dans le futur. Comme si elle anticipait ou envisageai­t sa propre remise en question.

«Je vais la reprendre très prochainem­ent, en résonance avec l’actualité et la nécessaire relecture de l’histoire. Ce sont des questions sur lesquelles je travaille en ce moment… J’ai moimême réalisé plusieurs oeuvres dans l’espace public. Pour Nantes, notamment, une statue intitulée Eloge de la transgress­ion, qui figure une petite fille en train de grimper sur un grand socle, comme si elle était pressée d’être, elle aussi, représenté­e. Et j’ai aussi réalisé Eloge du pas de côté, une statue qui était censée être éphémère mais s’est finalement installée de manière pérenne à Nantes. Elle figure un homme dont l’un des pieds repose sur un socle, et l’autre dans le vide – la métaphore d’une attitude mentale plus que la célébratio­n d’un homme. Il n’y a aucune barrière pour accéder à elle, on peut donc monter dessus, la toucher… Il y a même une sorte de rite qui s’est installé: les gens ont pris l’habitude de toucher le pied qui est dans le vide, ce qui a enlevé la patine et met en évidence ce pied en liberté. Ça me passionne d’observer de quelle façon les gens s’approprien­t ces oeuvres. «Je trouve ça sain et nécessaire, les revendicat­ions des militants antiracist­es qui questionne­nt le patrimoine (statues, noms de rue, etc.). Et je suis pour la repentance. Mais c’est vrai qu’en tant qu’artiste et ancien accrocheur en centre d’art, je suis gêné dès qu’il s’agit d’effacer ou de détruire. Je préfère la mise en contexte et la pédagogie.»

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