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Reprendre la barre

Olivier Cousi En ces temps de crise existentie­lle et économique pour les avocats, le bâtonnier de Paris donne à son mandat un rôle politique et médiateur.

- Par Charles Delouche Photo Roberto FRANKENBER­G

Bâtonnier de Paris, Olivier Cousi salue la nomination d’un de ses confrères, Eric Dupond-Moretti, comme garde des Sceaux : «On va enfin parler de justice d’une manière moins grise, moins compassée. Il peut apporter du relief et du caractère.» La première rencontre avec Cousi remonte à février. Au milieu des fumigènes, alors que ses confrères grévistes, mobilisés contre la réforme des retraites, bloquaient l’accès au palais de justice, il s’était posté au milieu d’eux, pancarte à la main, en soutien. Ce matin de juin, il a commencé par repousser le rendez-vous. Sa plaidoirie pour l’avocat et délégué du bâtonnier aux perquisiti­ons Vincent Nioré, accusé d’avoir enfreint des règles de déontologi­e, a duré. «C’était important d’y être pour protéger le secret profession­nel. C’est le caractère sacré d’un cabinet d’avocats qu’il faut garantir», déclare le représenta­nt des 30 000 avocats parisiens. Récemment, il a annoncé l’engagement d’une action contre l’Etat, menée par Me Henri Leclerc, au sujet des avocats surveillés par le Parquet national financier (PNF) dans le cadre des écoutes visant Nicolas Sarkozy et son avocat. «Par principe, on pense que lorsqu’un pénaliste appelle un confrère, c’est forcément pour lui donner des informatio­ns confidenti­elles, soupiret-il. C’est une vision très problémati­que de notre métier.» Parmi les nombreux édits ou actes de droit qui dégueulent de ses bibliothèq­ues, il a pris soin de disposer sur une étagère un modèle miniature d’une Fiat 500 jaune. Sa voiture à la ville. «On nous renvoie toujours l’image de l’avocat en Porsche Cayenne. Pendant la grève, on a montré que le revenu moyen d’un avocat était plutôt bas. Cela a contribué à améliorer notre image, à nous rapprocher du peuple, pour incarner une force de résistance.» Au passage, il dénonce un gouverneme­nt sourd qui a géré la réforme des retraites «d’une manière malhabile» et prend pour preuve la loi Avia, rejetée en grande partie par le Conseil constituti­onnel: «Il était impossible de demander à des plateforme­s numériques de sanctionne­r la haine sur Internet sans débat judiciaire. Qu’est-ce qu’on n’a pas entendu lorsqu’on a dit que ça ne tenait pas la route !»

La séance photo, ponctuée de rires et de multiples jetés de robe vers l’objectif, terminée, Cousi se penche sur la table et feuillette l’Encyclopéd­ie de Diderot. A voix haute, il lit la définition du «médiateur : “Celui qui s’entremet entre deux contractan­ts ou qui porte les paroles de l’un à l’autre pour les leur faire agréer.” Ils savaient écrire à l’époque, c’est totalement moderne !» Après la grève contre la réforme des retraites, la crise sanitaire a bouleversé l’organisati­on de la justice, «mais a permis d’améliorer la cohésion entre les avocats et leur ordre», salue Cousi. L’homme, amateur aussi bien des écrits de Simenon que de ceux de Bernard-Henri Lévy, dont il est proche, souhaite créer un réseau d’entraide pour la profession. «Un Tinder des avocats», lance-t-il rieur, le regard nostalgiqu­e tourné vers une peinture du XIXe siècle, accrochée au-dessus de la cheminée. Elle représente la salle des pas perdus à une époque où elle était bondée. «Peut-être qu’ils parlaient d’un dossier ou bien de s’associer», imagine-t-il en montrant les deux hommes au premier plan. «Avec le déménageme­nt du palais, la dématérial­isation des procédures, on ne vient plus au tribunal que pour plaider. Alors que c’est plutôt marginal dans l’activité des avocats.»

Le ton est posé, l’oeil bleu clair pétillant. Après un premier échec dans sa quête du bâtonnat, ce Parisien de 61 ans est élu en décembre 2018. Il succède à Marie-Aimée Peyron, à l’issue d’une campagne «tranquille», aux dires de certains de ses électeurs. Lors de sa prise de fonction en janvier, il déclarait vouloir redonner un «rôle politique» au barreau. Depuis longtemps tourné vers le social, le gaillard, décrit comme «humain» et dont «le sens de la proximité» est apprécié, tient d’aplomb le navire. Ses collaborat­eurs saluent un patron à «l’humour pince-sans-rire, proche des jeunes, qui écoute et qui n’a pas peur de reconnaîtr­e ses torts». Julia Courvoisie­r, avocate parisienne, souligne : «Il s’est emparé de la fonction pendant la crise du Covid-19 et s’est révélé être un homme de dialogue, discret mais qui se mouille quand il le faut.»

La semaine dernière, le bâtonnier a annoncé le déblocage de 15 millions d’euros, tirés des réserves de l’ordre en faveur des confrères en difficulté. La mesure, accompagné­e d’une réduction de

15 % des cotisation­s, vise à favoriser l’embauche des jeunes et à prendre en charge une partie de la rémunérati­on des stagiaires. «Quelque 3 000 avocats risquent de raccrocher leur robe avant la fin de l’année, déplore Courvoisie­r. Avec cette aide, il fait bouger les choses.» Durant la grève, lors des samedis de défense massive, il n’était pas rare de le voir arpenter les couloirs du tribunal les bras chargés de sandwichs et de bouteilles d’eau, «payés de sa poche».

S’il fallait définir l’homme Cousi, on pencherait pour un alliage entre tradition et modernité. Elevé dans le XVIIe arrondisse­ment de Paris par un père avocat et une mère secrétaire de direction au ministère de l’Intérieur, il fait ses classes au lycée Carnot et reçoit une éducation «catholique de gauche». Ses vacances, il les passe en famille dans le Var où il se passionne pour la voile. Après avoir échoué deux fois à l’ENA et abandonné son rêve d’être diplomate, il se spécialise dans le droit de la presse et travaille notamment pour la Cinq, avant de devenir associé au cabinet Gide. En 1984, lors d’un voyage à Taizé, au sein d’une communauté de moines en Bourgogne, «très connue dans le milieu catho baba cool», il fait la rencontre de sa femme Anne, avec laquelle il a cinq enfants. Cette dernière travaille à l’associatio­n Mécénat chirurgie cardiaque et la famille accueille régulièrem­ent des enfants d’Afrique venus se faire opérer à Paris. Brevet de patron de plaisance en poche, il rachète avec des amis le Cléopâtre, un bateau de 15 mètres de long, autrefois barré par le navigateur Marc Linski. Ensemble, ils voguent pendant leurs vacances, quinze ans durant, et finissent par passer le cap Horn le 1er janvier 2001. Après avoir fait le caustique récit d’un naufrage en sa compagnie dans les Dardanelle­s, Dominique Tricaud, son confrère et ami depuis vingt-cinq ans, voit pourtant en lui un «passeur d’énergie», aussi bien à la barre de leur bateau que dans son rôle de bâtonnier. Une énergie que Cousi souhaite consacrer à valoriser ses pairs. «Il faut donner plus de moyens et de responsabi­lité aux avocats. La justice s’écroule pour des raisons économique­s. L’Etat veut réduire les contentieu­x, mais ce n’est pas comme ça qu’on va faire disparaîtr­e les litiges. Les difficulté­s entre voisins, belle-mère ou patron existeront toujours.» •

2 juin 1959 Naissance. 1993 Associé du cabinet Gide.

2001 Passage du Cap Horn.

2018 Elu bâtonnier de Paris.

Janvier 2020 Prise de fonction comme bâtonnier.

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