le Beyrouth chaos
Le Liban s’est réveillé hagard au lendemain de l’explosion qui a ravagé la moitié de la capitale libanaise, faisant des milliers de victimes. Déjà asphyxiée par des mois de crise politico-économique, la population est partagée entre colère et désespoir.
Plus de 135 morts, une centaine de disparus, 4 000 blessés et quelque
300 000 personnes privées de domicile. Au lendemain de la violente explosion qui a ravagé la moitié de la capitale, les Libanais croisés dans les rues dévastées de Beyrouth étaient sous le choc.
Beyrouth est sinistré. Une ville aux allures de fin du monde que ses habitants découvrent avec effroi. La moitié de la capitale a été gravement endommagée, mais c’est tout le pays qui a ressenti la secousse provoquée par l’explosion de 2750 tonnes de nitrate d’ammonium, ce puissant engrais pouvant être utilisé dans la fabrication d’explosifs. Tout autour de cette zone portuaire, située à quelques centaines de mètres de quartiers huppés et branchés de la capitale, des voitures ont été calcinées par le choc, retournées par la puissance de la déflagration, et jonchent les rues en attendant d’être ramassées. Les bâtiments sont éventrés, inhabitables, leurs fenêtres soufflées. La reconstruction de la ville détruite et de ses alentours devrait coûter a minima 3 milliards de dollars selon le gouverneur de la ville. Pas un immeuble a résisté au choc de ce souffle ressenti jusqu’à Chypre, à plus de 200 kilomètres des côtes.
Soir funeste
Les habitants, eux, sont hagards pour certains, en colère pour la plupart. Ils sont 300000 à s’être retrouvés du jour au lendemain sans domicile, inaccessible ou menaçant de s’effondrer. Les raisons des explosions sont désormais claires, mais chaque Libanais affirme une chose : cet engrais chimique n’avait rien à faire là. Cependant, les coupables sont tous au pouvoir, avec la crainte qu’aucun ne sera jugé, pensent les Libanais.
Le bilan humain, lui, ne cesse de croître : 135 personnes seraient décédées, mais une centaine d’autres
seraient encore portées disparues, perdues sous les décombres de bâtiments à l’architecture traditionnelle libanaise, de grandes maisons de pierre au toit rouge, avec des fenêtres hautes. «Avez-vous vu mon frère? Il était en voiture près du port de Beyrouth lors de l’explosion, nous n’avons toujours pas de nouvelles, si vous entendez quoi que ce soit à son propos, contactez-moi», écrit un jeune homme sur Twitter. Un autre post : «Nous n’avions plus de nouvelles de ma nièce, puis nous avons appris sa mort ce matin, que Dieu ait son âme.» Les messages de condoléances s’enchaînent, tout le monde se soutient aujourd’hui à Beyrouth.
Ce mardi soir funeste, ils étaient plus de 4 000 blessés à affluer vers les différents hôpitaux de la ville, en pleine crise du Covid-19. Des femmes, des hommes, des enfants ensanglantés, hurlant de douleur, bandés à l’aide de tee-shirts, transportés à mobylette ou en voiture vers l’hôpital le plus proche, dans la panique générale. Des hurlements, des klaxons et des embouteillages se sont formés en l’espace de quelques minutes dans toute la capitale.
Les hôpitaux libanais se sont ainsi retrouvés totalement submergés de blessés plus ou moins graves. «Nous avons des patients partout, à l’intérieur, mais aussi par terre, et même certains dehors», lance le chef de la sécurité de l’hôpital de l’Hôtel-Dieu en aidant une femme, venue à pied avec son fils, le bras et la jambe en sang. Ces scènes rappellent les heures les plus sombres de la guerre civile libanaise qui aura duré quinze ans, mais aucune déflagration n’avait jamais eu cette puissance. Pendant que les hôpitaux prenaient en charge les blessés, des centaines de Libanais accouraient
pour donner leur sang, et participer à leur hauteur à l’effort national.
Nouvelle tragédie
Les structures hospitalières connaissent depuis plusieurs mois une crise liée à la déconfiture économique du pays. Les infrastructures font défaut, le manque d’électricité plonge les bâtiments dans le noir, et les médicaments, trop chers à cause de l’inflation, sont rationnés. Le ministre de la Santé a déclaré que le Liban «est en pénurie de tout ce qui est nécessaire pour porter secours aux victimes». Il y a quelques jours, le directeur du plus grand hôpital public de la capitale indiquait frôler le stade critique, avec un manque de lits liés à l’explosion de cas de Covid-19. Mardi soir, ce même hôpital a recensé plus de dix morts et 200 blessés.
«Ce qu’il s’est passé,
c’est aussi notre faute. Maintenant le port est détruit, comment vont
arriver les marchandises ?»
Lina vendeuse dans le quartier d’Ashrafieh
Le jour se lève sur Beyrouth, sous un soleil de plomb et un calme plat. A quelques kilomètres de l’explosion, dans le quartier commerçant d’Achrafieh, les magasins ont tous été soufflés. Hisham est coiffeur depuis des années dans ce quartier, il a été blessé, projeté à plusieurs mètres, alors qu’il se trouvait avec des clientes. «Ça y est, c’est fini, je veux quitter le Liban, il n’y a plus rien ici», lâche-t-il, résigné. «D’abord nous avons eu la crise du corona, qui a déjà mis mon magasin en grande difficulté, et maintenant cette explosion, qui a ravagé toute la ville.» Ce père de famille n’a plus de quoi payer les frais de scolarité de ses deux enfants à l’université Saint-Joseph, il partirait «n’importe où, pourvu qu’il y ait des chrétiens». Le désespoir a gagné une partie de la population.
Risque de Pénuries
Près de là, Lina est assise devant la vitrine tombée du magasin dans lequel elle travaille. Elle refuse de quitter le Liban, «il y a quelque chose ici qu’il n’y a pas ailleurs, si cette explosion avait eu lieu dans un autre pays, personne ne m’aurait aidée comme on m’a aidée mardi. Mais aujourd’hui, il n’y a que Dieu qui peut nous aider». Lina l’admet, «ce qu’il s’est passé, c’est aussi notre faute à nous, les Libanais. Maintenant le port est détruit, comment vont arriver les marchandises ?» Alors que le pays repose à 80 % sur l’importation pour ses biens de première nécessité, la question des pénuries agite la population. Le ministère a cherché à rassurer, pour éviter une ruée vers les supermarchés. La France a dépêché sur place trois avions militaires avec plus de 15 tonnes de matériel de secours, Emmanuel Macron se rendra ce jeudi à Beyrouth pour rencontrer l’ensemble des acteurs politiques. La région Ile-de-France a proposé une aide de 300 000 euros, l’Etat libanais a, lui, débloqué environ 600 millions d’euros, bien loin des 3 milliards nécessaires. Pour l’heure, Beyrouth pleure ses morts, et la colère de ses habitants commence à se faire ressentir. •