Libération

LE CAMPINGCAR C’EST UNE AFFAIRE QUI ROULE

- Par Sarah Finger Envoyée spéciale sur les routes du Sud Photos David Richard. Transit

Dès la fin du confinemen­t, les camping-caristes ont repris le volant, rassurés dans leur bulle. Une sécurité en temps de crise sanitaire, qui séduit un nombre croissant de vacanciers, retraités ou familles, malgré une image qui reste un tantinet vieillotte.

Ils ont rongé leur frein pendant deux mois. Pour tromper leur impatience et se donner l’illusion d’être ailleurs, certains confessent qu’ils allaient parfois dormir dans leur camping-car, stationné devant chez eux. D’autres ont envisagé de tailler la route, nuitamment, vers l’étranger… La fin du confinemen­t a chassé ces cauchemars de voyage immobile : les camping-caristes sont on the road again, pied au plancher et sourire aux lèvres. «On ne sait pas où on sera demain. C’est le bonheur», résument Geneviève et Didier, deux quinquas partis de Montpellie­r pour un mois et demi de vacances itinérante­s à travers la France. «On est autonomes, on change d’endroit chaque jour sans dépendre d’un hôtel ou d’une réservatio­n, on arrête le camion là où bon nous semble, seuls, loin des autres, en pleine nature…» Même allégresse chez Jessica, également originaire de Montpellie­r. Autrefois, elle et son mari, Pierre, partaient en mer. La cinquantai­ne passée, ils sillonnent désormais les routes dans un camping-car qu’ils ont planté pour quelques heures sur l’Aubrac (Aveyron), au bord d’un lac désert, encerclé par de vastes pâturages. La nuit, le ciel étoilé remplace la télé. «Avec le “CC” j’ai l’impression d’être dans mon voilier, sauf qu’un camping-car est beaucoup moins contraigna­nt et ne demande pas de compétence­s particuliè­res, raconte Jessica. On voyage avec notre maison, au jour le jour, sans faire de projet, avec une organisati­on minimale.»

Environ 500 000 camping-cars sont immatricul­és en France. Après quatorze années de croissance, ce marché enregistre aujourd’hui une brutale accélérati­on. Un phénomène qui réjouit François Feuillet, président du syndicat des véhicules

de loisirs (UNI-VDL), et président du directoire de Trigano, poids lourd du secteur : «Dès la fin du confinemen­t, nous avons assisté à un afflux très important dans les concession­s, à la fois d’anciens

clients et de nouveaux. Depuis la mi-mai, les ventes mensuelles ont augmenté de 50 % à 60% par rapport à 2019. Les concession­naires n’ont plus de stock. Les loueurs ont eux aussi été pris d’assaut.» La crise sanitaire aurait offert un nouvel argument de vente au camping-car : «Avec lui, on est partout chez soi, explique François Feuillet. On dort dans son lit, on utilise ses propres toilettes, sa cuisine… On peut continuer à voyager tout en contrôlant ses contacts avec les autres, en évitant les endroits dangereux comme les hôtels, les trains, les bateaux…»

Une impression confirmée par Philippe et Marie-Jo, retraités originaire­s de Troyes et rencontrés à Aurillac (Cantal): «Vu notre âge, on fait partie des personnes à risques. Mais dans notre camping-car, on se sent protégés. On ne va même pas au restaurant.» Laurent Morice, cofondateu­r de Camping-Car Park, une société qui se présente comme le premier réseau européen d’aires d’étape et de services pour campingcar­istes, a lui aussi assisté à un pic de son chiffre d’affaires : «Dès la semaine suivant la fin du confinemen­t, les gens étaient prêts à partir. Nos aires ont rapidement enregistré des fréquentat­ions dignes d’un 15 août.» Son analyse rejoint celle de François Feuillet: «Le camping-car représente un cocon dans lequel on se confine naturellem­ent. Il joue pleinement son rôle en cette période.»

Peuple bohème

Le monde des camping-caristes, qu’ils soient propriétai­res ou locataires de leur véhicule, réunirait en France entre 1,2 et 1,5 million d’adeptes. A l’instar des motards, ils se saluent d’un petit signe quand ils se croisent sur les routes, s’échangent – sur des sites ou des applis – les bons plans et les coins à fuir, partagent volontiers l’apéro ou une partie de boules. Comme dans le jeu de cartes, on peut les classer en sept familles : les habitués, qui se rendent chaque année au même endroit, et les nomades, qui refusent l’idée du «camping-car ventouse». Ceux qui partent toute l’année, même le week-end ou dès qu’un pont se profile, et ceux qui ne prennent la route qu’à périodes fixes, le printemps ou l’été. Les amateurs d’aires réservées, proposant des services sur mesure, et les aventurier­s qui dénigrent cet instinct grégaire et ne stationnen­t qu’au milieu de nulle part. La septième famille regroupe les plus jeunes, qui ont aménagé un van ou un combi façon surfeurs ou Scooby-Doo, c’est selon. Ainsi paré, ce petit peuple bohème va où le vent le mène.

Le point commun de ces profils ? Tous décrivent un même sentiment de liberté au volant de leur engin. Et tous voyagent à plusieurs. Car le camping-car n’a rien d’un hobby solitaire: c’est généraleme­nt une affaire de couple, parfois avec les enfants, mais volontiers sans. Sauf quand la destinatio­n est choisie justement pour occuper les petits. A Palavas-les-Flots (Hérault), des familles originaire­s de la France entière se retrouvent ainsi chaque année sur l’aire d’accueil municipale réservée aux campingcar­s. Depuis sa réouvertur­e, après le confinemen­t, son taux d’occupation avoisine les 90 %. «On vient depuis cinq ans, et on reste ici un mois», explique Valérie, 45 ans, venue de Cambrai (Nord) avec son mari et ses deux ados, tandis que ses parents occupent un autre camping-car stationné près du sien. «Ici, dit-elle, c’est comme au camping. Les enfants retrouvent chaque été leurs copains. Il y a la plage pas loin, des pistes cyclables, des commerces, la fête foraine, et des sanitaires sur place. On pêche, on fait des parties de pétanque… On est bien.»

«Vacances économique­s»

Devant son camping-car, Valérie a installé en deux temps trois mouvements une petite terrasse privative : auvent, table, chaises, plancha, et même une petite machine pour laver le linge. A l’intérieur, tout y est : WC, douche avec eau chaude, coin cuisine, lits, frigo, télé… Tout rentre au chausse-pied ; le véhicule ne tolère aucun foutoir. Cette vie à quatre dans environ 4 mètres carrés (la surface restante étant occupée par les meubles et aménagemen­ts) ravit Valérie : «C’est un puzzle. Chaque chose a sa place. Faut être organisé. Mais on ne se sent pas du tout à l’étroit : dedans, on ne fait que dormir. Sauf quand il pleut…»

«Avec le “CC” j’ai l’impression d’être dans mon voilier, sauf qu’un camping-car est beaucoup moins contraigna­nt et ne demande pas de compétence­s particuliè­res.» Jessica vacancière

A quelques mètres de là, deux couples de retraités varois voyageant chacun dans leur camping-car expliquent partir sur les routes quatre ou cinq fois par an. Ils ne stationnen­t que sur des aires dédiées, «pour des questions de sécurité». Ces escapades sont pour eux de vraies cures de jouvence : «une vie de vagabondag­e» qui permet malgré tout d’être «comme chez soi», s’enthousias­me Marie-Paule, 75 ans, un yorkshire sur les genoux. Leurs voisins, Bertrand, 46 ans, et Sandra, 43 ans, sont originaire­s des Vosges. Ils ont mis onze heures pour arriver jusqu’à Palavas, y resteront quinze jours avec leurs deux enfants. «Cette aire est géniale, alors on y revient chaque été depuis huit ans. On paie 20 euros par jour. C’est plus cher qu’ailleurs, mais pour ce tarif on a pas mal de services, notamment des sanitaires. Au final, ce sont des v acances très économique­s.» Un couple venu d’Alès (Gard) a lui aussi fait ses calculs : «Avant, on louait un mobilhome dans un camping, et c’était plus cher, explique Nadia, 55 ans. Les aires de camping-cars, c’est autour de 10 euros la nuit. Dix fois moins cher qu’une nuit d’hôtel…»

«vitesse d’un escargot»

Selon un sondage réalisé par Camping-Car Park auprès de ses 380 000 clients, le budget quotidien moyen d’un couple s’élève à 52 euros, soit 12 euros pour le stationnem­ent et les services liés au véhicule, et 40 euros pour le reste. «En camping-car, on dépense comme à la maison», résume François Feuillet, le patron de Trigano. Encore faut-il pouvoir s’acheter, puis entretenir, un tel véhicule. S’il est toujours possible de trouver des occasions à partir de 15 000 euros, l’investisse­ment minimum pour du neuf avoisine les 40 000 euros…

Reste que le camping-car souffre encore d’une image vieillotte. Et pour cause : la plupart des clients de Camping-Car Park affichent 65 ans au compteur. Les amateurs plus jeunes pointent plus facilement que leurs aînés les points faibles de leur véhicule. Didier : «En montée, on a parfois l’impression de rouler à la vitesse d’un escargot. Les motards et les automobili­stes, coincés derrière nous, nous talonnent, nous klaxonnent, et finissent par doubler bien énervés. On est des bouchons à roulettes pour eux.»

Geneviève, sa compagne, explique que tous les deux ou trois jours, ils doivent trouver des aires aménagées pour refaire le plein d’eau et vider les réservoirs d’«eaux noires» (celles des WC) et d’«eaux grises» (vaisselle, douche). «C’est pas le plus glamour», reconnaît-elle. Pierre et Jessica soulignent, eux, la difficulté de croiser d’autres véhicules sur les petites routes, de se faufiler ou de manoeuvrer dans un espace contraint. «Et puis, en ville, c’est compliqué, voire impossible de se garer, pointe Jessica. On doit stationner en périphérie et ensuite prendre les transports en commun.» Quant aux autres, ceux qui ne sont pas tombés sous le charme du camping-car, ils continuero­nt à regarder passer d’un oeil noir ces gros cubes blancs et lents, fort disgracieu­x, capables par leur seule présence de défigurer n’importe quel paysage. La star de l’été n’a pas que des fans. •

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 ??  ?? Le 29 juillet, sur l’aire de camping de Palavas-les-Flots (Hérault). Jean-Paul est venu avec sa femme, Célia, de Saint-Etienne (Loire).
Le 29 juillet, sur l’aire de camping de Palavas-les-Flots (Hérault). Jean-Paul est venu avec sa femme, Célia, de Saint-Etienne (Loire).
 ??  ?? Depuis cinq ans, la famille de Christian passe chaque été un mois sur cette aire de camping.
Depuis cinq ans, la famille de Christian passe chaque été un mois sur cette aire de camping.
 ??  ?? Christian, Valérie, un de leurs enfants et un neveu, à Palavas-les-Flots, le 29 juillet.
Christian, Valérie, un de leurs enfants et un neveu, à Palavas-les-Flots, le 29 juillet.
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