A l’origine des explosions, une cargaison à l’abandon
Près de 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium, substance très explosive lorsqu’elle est combinée à d’autres éléments, étaient conservées dans un hangar du port de Beyrouth depuis 2014.
De la fumée et des ruines : voilà à présent le décor sinistre du port de Beyrouth. Tandis que le chaos règne dans la ville, les premières informations commencent à éclairer les origines de la double explosion qui a soufflé la capitale libanaise mardi. Les autorités attribuent la catastrophe à du nitrate d’ammonium, une substance chimique utilisée entre autres pour la fabrication d’explosifs. Quelque 2 750 tonnes auraient été entreposées dans le port durant plusieurs années. Si un flou subsiste quant à leur provenance et leurs conditions de stockage, une première version lie l’accident aux mésaventures d’un navire, le Rhosus, battant pavillon moldave.
Granules blancs
En 2015, deux juristes libanais retraçaient dans la revue spécialisée The Arrest News le parcours de ce cargo en provenance de la Géorgie et qui naviguait en direction du Mozambique. Les faits remontent à 2013. Dans les soutes du vraquier se trouvent 2 750 tonnes de nitrate d’ammonium. Mais un problème technique perturbe alors l’itinéraire initialement prévu, obligeant le Rhosus à accoster au Liban.
Amarré d’urgence dans le port de Beyrouth, le Rhosus est ensuite immobilisé pour une durée indéterminée. Si l’équipage est rapatrié, sa redoutable cargaison est finalement déchargée et placée dans un hangar du port de la capitale libanaise. Depuis, silence radio. Rien, pas la moindre information concernant les conditions de stockage de ces tonnes de nitrate d’ammonium. La position du Rhosus a été tracée pour la dernière fois en 2014 dans le port. De quoi penser que le navire et sa cargaison ont été abandonnés pendant six longues années. Pourtant, entre-temps, et d’après Badri Daher, directeur général des douanes libanaises, les agents du port auraient alerté à plusieurs reprises (six fois) la justice de la présence de la substance à risque. Mais sans susciter la moindre réaction.
Des petits granules de couleur blanche : c’est l’apparence du nitrate d’ammonium. Généralement utilisé sous forme d’engrais, il est utilisé par les agriculteurs pour ses propriétés fertilisantes liées à sa concentration en azote. Mais combinée à d’autres éléments, la substance peut aussi servir à la fabrication d’explosifs, notamment
pour la démolition de bâtiments. «Tout chimiste sait qu’il faut manier cette substance avec précaution», explique un ingénieur en chimie de la Sorbonne. Et d’ajouter : «C’est un produit très réactif, qui peut exploser s’il est confronté à un autre produit chimique ou à un petit incendie, ou encore lors d’une température critique, aux alentours de 200 degrés.» La substance a déjà été la cause de nombreuses explosions industrielles à travers le monde. Celles de l’usine AZF à Toulouse, en 2001, ou bien de la West Fertilizer Company aux Etats-Unis, en 2013, en sont les tragiques illustrations. Mais cette fois, l’ampleur est inédite.
«Fumées brunes»
Depuis mardi, ce sont des centaines de milliers d’habitants de la capitale libanaise qui sont exposés à ce mélange de fumée et de particules issues de la déflagration. «Si la période d’exposition est courte, pas plus d’une semaine, les conséquences sont minimes, indique l’universitaire. Cela provoque des brûlures et des irritations dont l’effet ne perdure pas dans le temps. Mais à long terme, l’exposition au nitrate d’ammonium risque de perturber le métabolisme.»
Outre le nitrate d’ammonium propulsé dans l’air lors de l’explosion, d’autres substances sont potentiellement nuisibles à la santé: «C’est le cas des produits de l’explosion, comme l’ammoniac, ou encore les oxydes d’azote responsables des fumées brunes», précise un autre expert. Selon lui, l’impact sur la santé dépendra de la force du vent, qui pourrait plus ou moins disséminer les particules : «Si le nuage lourd stagne au-dessus de la zone, alors il faudra que les gens se confinent chez eux.»