rio grande, fleuve rédempteur
Souvenirs de passages de frontières, fictionnelles, réelles ou fantasmées. Il est toujours temps de rêver quand voyager devient compliqué.
Dans Rio Grande (1950), de John Ford, les tuniques bleues, tout à leur mission exterminatrice, poursuivent les Indiens jusqu’au fin fond du Texas. Mais, arrivés devant le Rio Grande, ils sont obligés de renoncer. De l’autre côté, c’est le Mexique. Interdiction d’aller plus loin. La première scène, en noir et blanc, montre des cavaliers s’avancer dans le lit presque à sec et, au milieu, faire demi-tour, rappelés par le clairon. Le fleuve est presque invisible, apparaissant seulement quelquefois en 1 h 45, au crépuscule, quand les Indiens risquent d’attaquer. Nul besoin de le voir pour sentir sa présence obsédante. Classique du référentiel américain, le Rio Grande (ou
Bravo pour les Mexicains) incarne parfaitement une frontière à la fois naturelle et culturelle. D’un côté, les Etats-Unis, la civilisation, l’ordre en marche au service du progrès. De l’autre, des miséreux (que l’on va sauver de temps en temps comme dans les Sept Mercenaires), des bandits à grosses moustaches, des Indiens. En somme, les barbares. Ou, plutôt, c’est ce que Hollywood voulait nous faire croire et que je gobais tout cru, enfant. Pas besoin d’être très clairvoyant pour comprendre pourtant que la vraie liberté, celle qui n’était pas sponsorisée par Smith & Wesson, se trouvait de l’autre côté du fleuve. «Partir au Mexique» ne sonne pas comme un renoncement à la civilisation, plutôt un refus des injonctions violentes d’une société qui ne sait qu’écraser les plus faibles pour bâtir des routes, des rails, des ponts, des saloons. Franchir le Rio Grande, symboliquement, c’est se laver de ses péchés : retrouver son innocence.