Contre la Juve, Lyon doit se plier en cadre
L’OL compte sur la discipline défensive pour tenter d’arracher une qualification en quart de finale face aux champions d’Italie ce vendredi. Et capitaliser sur sa victoire (1-0) à l’aller, avant que le Covid ne mette la Ligue des champions à l’arrêt.
Drôle de fin de saison, à moins qu’il ne s’agisse en fait d’un début ; drôle de match : nanti d’un avantage (1-0) accroché à Décines (Rhône) le 26 février, l’Olympique lyonnais se présentera, une éternité plus tard, à Turin contre la Juventus à huis clos pour y solder son 8e de finale de la Ligue des champions. Avec vue sur le non moins étrange tournoi final, qui ramassera du 12 au 23 août huit quarts de finalistes bunkérisés dans un Lisbonne partiellement confiné pour enfin en finir avec l’édition 2019-2020 de la compétition.
D’où que l’on se place, on frôle l’expérience psychédélique ; du huis-clos jusqu’à une montée en puissance athlétique disparate –le championnat italien a repris en juin, son pendant français est resté en rade– en passant par les rafales de cas positif au coronavirus avérés ou craints, décimant possiblement du jour au lendemain n’importe quel mastodonte. Pour autant, l’entraîneur lyonnais, Rudi Garcia, parle toujours comme s’il n’avait pas quitté le monde d’avant: c’est le seul que le monde du foot connaisse. Partant, on s’y accroche, et Garcia a tiré un grand pont de cinq mois (!) entre le match aller contre Cristiano Ronaldo et consorts et la finale de Coupe de la ligue perdue (0-0, 5-6 aux tirs au but) contre le Paris-SG vendredi dernier : «Il faudra que l’on soit meilleurs offensivement pour marquer», mais la finale contre le PSG et la résistance lyonnaise ce soir-là «sont une bonne base de travail».
Delta.
Dans les faits, la «bonne base de travail» a consisté à sortir du onze de départ la grande bique (le défenseur danois Joachim Andersen) qui faisait rire toute la Ligue 1, à l’exception des Lyonnais eux-mêmes puisqu’ils ont lâché 30 millions d’euros (bonus compris) l’été dernier pour le faire venir. Et à entreprendre un projet tout à fait singulier : dissocier une équipe mal fichue, incapable d’accrocher – sauf improbable victoire en Ligue des champions– une qualification européenne à l’issue d’un exercice pour la première fois depuis un quart de siècle, d’un club comptant parmi les plus puissants de France. Un dessein acrobatique, compliqué, mais voilà : une qualification contre le septuple champion d’Italie en titre passe très exactement par le delta séparant une équipe bancale (une défaite toutes les trois rencontres lors de l’exercice tronqué 2019-2020 de L1) d’un grand d’Europe. Ce delta a un visage. Et les deux heures de touche-touche avec les stars parisiennes en finale de Coupe l’ont révélé : il porte le masque dur de la discipline. Celle-ci n’a pas bonne presse dans les pléthoriques services marketing des clubs comme l’OL : pour s’exercer essentiellement dans la partie défensive du jeu (pour un joueur, défendre est contraignant alors qu’attaquer est amusant), elle dessine une contention. Mais celle-ci a permis au 7e du dernier championnat de
France de s’accommoder de Cristiano Ronaldo et Neymar aux deux bouts du confinement, les deux lascars prenant des coups ou rongeant leur frein loin du but défendu par Anthony Lopes. La discipline : ça eut payé, ça paye encore. Chez le joueur, sa manifestation dit la prescience d’un intérêt supérieur à sa propre personne. Un cadre ou une autorité, c’est comme on veut : la discipline, c’est le poids du regard des autres.
Comme souvent dans une équipe en difficulté, Garcia s’en était remis (brassard de capitaine, confort tactique) à son meilleur élément. Or dans un renversement de situation dont le football de très haut niveau a le secret, le club rhodanien s’est donné comme guide sur les sentiers frugaux – replace-toi, presse à la perte du ballon, cours quand tu ne l’as pas – de cette discipline, un leader à nul autre pareil : le Néerlandais Memphis Depay, tatoué de la tête aux pieds, réclamant entre autres fantaisies dans France Football une interview posthume de la superstar californienne du rap Tupac, assassinée en 1996.
Tomates.
La Folle de Chaillot du football moderne: quand il parle de lui et d’un «besoin de liberté» que chaque centimètre carré de sa peau exprime, Depay dit surtout ce que son sport n’a pratiquement plus aucune chance d’être. Sur le poids du regard des autres, qui porte encore (parfois) son équipe comme un tuteur tient un plant de tomates : «J’ai arrêté de me battre contre ce que les gens pensent que je mérite ou sur la place que je dois occuper. […] On peut parler de différentes choses, liées au foot ou pas, mais personne ne me voit dans le vestiaire lyonnais, personne ne sait l’impact que je peux avoir. Je donne tout. Certains y voient du positif, d’autres du négatif : il faut juste s’éloigner de cela. Vous savez ce que je fais quand je marque ?» Oui : Depay ferme les yeux et se bouche les oreilles. L’affranchissement, le libre arbitre : les tout derniers mètres indispensables sur ce champ de bataille symbolique qu’est le terrain. On parle bien entendu du talent. La discipline, et puis quoi ? Rasez les pics, qu’on voit la mer. •
Un cadre ou une autorité, c’est comme on veut : la discipline, c’est le poids du regard des autres.