General Electric : beaucoup de blé pour rien
Le géant américain a annoncé la suppression de 753 postes en France, alors qu’il a perçu plus de 30 millions d’euros par an sous forme de crédits d’impôt depuis 2015.
S’il fallait une illustration parfaite de promesses sociales foulées aux pieds par une grande entreprise ayant bénéficié de la bienveillance et des largesses de l’Etat au nom du maintien de l’emploi et de l’activité industrielle sur le territoire français, General Electric cocherait sans doute toutes les cases. Et de fait, depuis que Libération a révélé, le 9 septembre, que le groupe américain s’apprêtait à licencier à nouveau 753 salariés en France dans ses branches Grid (réseaux électriques) et Hydro (turbines pour barrages), le cas GE se retrouve en haut de la pile des dossiers pourris qui s’accumulent sur le bureau de la ministre déléguée à l’Industrie, Agnès Pannier-Runacher. Car l’affaire est encore plus «exemplaire» que celle du japonais Bridgestone, qui vient d’annoncer la fermeture de son usine de Béthune avec 863 emplois détruits à la clé.
Selon de nouvelles informations recueillies par Libé, General Electric a en effet perçu plus de 200 millions d’euros d’aides de l’Etat sous forme de crédit impôt recherche (CIR) et de crédit d’impôt pour la compétitivité et l’emploi (CICE) depuis 2015, année du rachat effectif des activités énergie du groupe français Alstom. Cette année-là, GE a ainsi touché pour 25 millions de CIR et 5 millions de CICE. Et cette facilité lui a été accordée chaque année depuis, à hauteur de 30 millions et plus, en fonction des années. A titre de comparaison, Bridgestone n’a reçu que 1,8 million d’euros de CICE en 2018. Mais le japonais n’a qu’une usine en France, quand General Electric emploie encore 14000 salariés répartis sur 17 sites.
«Gros yeux».
GE, qui avait promis de «créer 1000 emplois» équivalents temps plein en CDI dans les trois ans suivant le rachat d’Alstom, a fait à peu près tout le contraire. Fin 2018, le groupe américain reconnaît qu’il ne créera pas les 1 000 emplois promis et consent à payer l’amende de 50000 euros par emploi non créé prévue dans les accords paraphés le 4 novembre 2014 par Emmanuel Macron, alors ministre de l’Economie, et Jeff Immelt, alors big boss de GE. Au total, GE devra donc verser 50 millions d’euros de pénalités à l’Etat, argent devant être réinvesti pour aider à la réindustrialisation et à l’emploi des salariés français licenciés par l’américain. L’argent a été décaissé par GE, mais depuis, les salariés et collectivités concernées n’en ont toujours pas vu la couleur pour d’obscures raisons juridiques. Puis, le 28 mai 2019, arguant de la nécessité de s’adapter à la crise et aux turbulences du marché de l’énergie, General Electric annonce qu’il va en fait supprimer 1044 postes en France, essentiellement sur le site historique de Belfort, qui produit des turbines à gaz et emploie autant d’anciens Alstom que de GE ! Bilan : 1000 emplois détruits en lieu et place des 1 000 promis. Le gouvernement et Emmanuel Macron, devenu entre-temps chef de l’Etat, sont bien embarrassés et sermonnent GE, qui n’en a cure. A tel point qu’en octobre 2019, l’intersyndicale de GE Belfort devra menacer l’Etat français de poursuites en justice «pour mettre en cause [sa] responsabilité […] dans le non-respect de l’accord de 2014 signé avec GE». Suite à ce coup de poker, GE, sévèrement tancé par l’Etat, accepte de revenir à la table des négociations et revoit à la baisse son plan : sur 750 emplois supprimés à Belfort, la jauge est ramenée à 485. Puis l’américain récidive début septembre en confirmant son intention de supprimer 753 postes supplémentaires en France, arguant que «les divisions GE Grid Solutions et GE Hydro Solutions sont chacune confrontées à une dynamique de marché complexe et génèrent des pertes financières importantes». Grosse colère d’un syndicaliste de GE : «C’est d’autant plus scandaleux qu’aucun des autres engagements n’a été tenu : il était prévu, dans les accords de 2014, de localiser les directions mondiales de GE Hydro et GE Grid en France. Elles sont restées en Suisse et aux Etats-Unis. Et qu’a fait l’Etat ? Rien ou pas grand-chose à part les gros yeux.» Pour tenter d’éteindre le feu des critiques, GE a récemment promis de créer 400 emplois en France pour construire des éoliennes offshore à Saint-Nazaire et Nantes. Mais «ils font la même promesse tous les ans, à chaque crise», tempête ce même représentant syndical qui ne voit pas comment «GE, qui devait participer à trois champs d’éoliennes et n’en a plus qu’un, va créer ces emplois, sauf à compter les intérimaires, et pour combien de temps ?»
Cadeau.
La révélation du montant des aides perçues sous forme de CIR et de CICE ne devrait pas concourir à calmer la colère des salariés. Le CIR, qui existe depuis 1983, vise à «améliorer l’innovation et la compétitivité des entreprises» en leur offrant le remboursement fiscal d’une partie de leurs dépenses de recherche et développement. Créé en 2013 sous Hollande, le CICE, a «pour objectif de redonner aux entreprises des marges de manoeuvre» pour investir et créer de l’emploi «grâce à une baisse du coût du travail», dixit le ministère de l’Economie. Un dispositif réclamé à cor et à cri par le patronat en son temps, mais de plus en plus perçu comme un cadeau aux entreprises, sans aucune contrepartie. Une étude réalisée par France Stratégie et des économistes du CNRS et de l’OFCE pour le compte du gouvernement vient de confirmer ce que l’on pressentait: le CICE n’a pas eu d’impact notable sur l’emploi. Ainsi entre 100 000 et 160 000 emplois, tout au plus, ont été créés grâce à ce dispositif entre 2013 et 2017. «Ce qui est faible, rapporté au coût du CICE», près de 20 milliards d’euros par an, concède France Stratégie. 100 000 emplois, cela ramènerait le coût de l’emploi créé à 1 million d’euros sur la période 2013-2017, durant laquelle les entreprises installées en France ont reçu près de 100 milliards d’euros de CICE ! Durant la même période, GE a versé… près de 100 milliards de dollars de dividendes à ses actionnaires. •
«C’est d’autant plus scandaleux qu’aucun des autres engagements n’a été tenu.»
Un syndicaliste de General Electric