Libération

«No Man’s Land», qui l’eut kurdes

Sans tomber dans le cliché, cette fiction franco-israélienn­e qui suit un homme parti à la recherche de sa soeur chez les combattant­es de l’YPJ surprend dans sa façon de lier l’intime au drame d’une région.

- Marius Chapuis

Quand apparaît la silhouette familière d’un pick-up blanc surmonté d’un drapeau noir, on souffle enfin. C’est l’Etat islamique, on est sauvé. Retour en arrière, trente minutes plus tôt: Antoine est français, élégant, il vit en couple avec une femme pilote de ligne et tente de faire un enfant, supervise des chantiers la semaine et dîne le weekend avec des parents aimants. Tout va bien. A un détail près : son obsession naissante pour la vidéo d’un attentat en Syrie dans laquelle il a repéré, au second plan, une soldate kurde et floue qui reproduit à l’identique un geste de sa soeur, disparue au Caire quelques mois plus tôt.

Durant près d’une demi-heure, No Man’s Land regarde cette chasse au fantôme de façon absurde. En trois coups de fil, Antoine se retrouve à la frontière turque avec la promesse qu’à l’aube il sera déposé auprès des combattant­es kurdes de l’YPJ. Pas besoin de connaissan­ces particuliè­res ou de contacts de confiance, un bon forfait téléphoniq­ue suffit pour déplacer des montagnes. Jusqu’à ce que surgisse ce pick-up qui établit auprès du spectateur que, oui, Antoine est sinon un crétin, au moins un grand naïf.

Ligne de crête.

«Comment Candide se sauva d’entre les jihadistes et ce qu’il devint.» Cette histoire personnell­e, intime, qui sert d’ossature à un récit qui a vite fait de s’émietter, à le double mérite de donner une perspectiv­e, une échelle à ce que l’on voit – en faisant naître une compassion naturelle pour cet amour fraternel qu’il est aisé de comprendre– et de montrer dans le même temps le caractère absolument dérisoire, presque déplacé, de pareille quête dans une région en plein collapse. Autoriser l’émotion, mais pour la dépasser, ou en tout cas ne pas se laisser tyranniser par elle : c’est le premier tour de passe-passe très plaisant de cette coproducti­on internatio­nale pilotée par deux représenta­nts de la nouvelle vague israélienn­e, Ron Leshem et Amit Cohen, déjà associés sur Euphoria (la version d’origine) et le thriller False Flag. Tout au long de ses huit épisodes, la série avance sur une ligne de crête. En jetant son personnage dans les rangs de l’YPJ, No Man’s Land prend le risque de se vautrer dans une glamourisa­tion à outrance de ces combattant­es kurdes régulièrem­ent transformé­es en amazones féministes par le cinéma ou des médias avides de belles histoires.

Si la série n’échappe pas complèteme­nt à ce travers, elle ne se départ jamais d’une certaine aridité. Ça cause peu, et la guerre qui est donnée à voir est tout sauf épique. Certes, la présence d’Occidentau­x dans les rangs kurdes évoque la mèche au vent des Brigades internatio­nales, mais il n’y a rien de romantique dans ces longues vigies en bord de route débouchant sur le canardage d’une ambulance suspecte. Une fois le spectre de son sujet élargi hors du seul Antoine, No Man’s Land surprend en embrassant jusqu’au point de vue des jihadistes, par le truchement de trois Britanniqu­es qui font leurs premières armes auprès de Daech.

Zone grise.

Des complices, dans tout ce que ce mot peut recouvrir : des fêlés qui célèbrent la prise d’un village, vocifèrent, assassinen­t, des amis qui ont grandi ensemble et rigolent entre eux à l’autre bout du monde et s’inquiètent pour un enfant laissé derrière eux. D’autant plus fort que la série retarde les explicatio­ns, la tentative de compréhens­ion de leur parcours. Pas besoin de justifier, de détailler pourquoi ils se battent en Syrie. Ils sont là, avec leurs morceaux d’humanité malaisants. Il est certaineme­nt là, le sens du titre de No Man’s Land, dans cette zone grise qu’arpente la série. Le paysage, les gens, leur motivation, rester ou partir, tout est gris, l’évidence se défile.

No Man’s Land sur Arte.tv à partir du 18 septembre et sur Arte en novembre.

 ?? Photo Sifeddine Elamine ?? La série est pilotée par deux représenta­nts de la nouvelle vague israélienn­e: Ron Leshem et Amit Cohen.
Photo Sifeddine Elamine La série est pilotée par deux représenta­nts de la nouvelle vague israélienn­e: Ron Leshem et Amit Cohen.

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