Libération

«Le Diable, tout le temps», marge en peine

Après une première partie brûlante, le film d’Antonio Campos, portrait d’une Amérique à la marge rongée par le «mal», s’essouffle même s’il reste agréable à voir.

- M.C.

The Devil All the Time s’ouvre sur une carte routière étalant des villages aux noms chantant comme Coal Creek (la crique du charbon) ou Knockemsti­ff (étale-les raides). Des bleds de forêt, entre l’Ohio et la Virginie-Occidental­e, où les allers et venues des citoyens semblent aimantés à la station-service et à l’église. Ambiance pick-up, salopette en jean et casquette élimée. Dans les pas d’un vétéran de la guerre du Pacifique, frappé sur le chemin du retour par un coup de foudre pour une rousse serveuse de diner, le film s’installe dans une communauté où chacun est le cousin plus ou moins éloigné de son voisin. On assiste au petit manège d’une mère qui a promis au Seigneur de marier son fils à la boiteuse du village s’il rentrait sain et sauf de la guerre, aux sermons bluegrass d’un prédicateu­r aux yeux azur qui offre son corps à des nuées d’araignées pour prouver à l’assemblée sa totale dévotion, et à la chasse à l’auto-stoppeur d’un couple de prédateurs échangiste­s. Ce portrait de l’Amérique des hillbillie­s, séduisant de moiteur, surprend par la façon qu’il a de se saboter.

Durant une heure, le Diable tout le temps ressemble à un incendie, dévorant les destins qu’il vient d’installer, offrant en sacrifice ses personnage­s les uns après les autres. Qu’il s’agisse de manifestat­ions du destin ou du hasard, ces irruptions brutales, dramatique­s et parfois drôles donnent au film d’Antonio Campos des faux airs de Fargo, la série de Noah Hawley,

pareilleme­nt focalisée sur des communauté­s petites où loups et agneaux se donnent la chasse. Toujours au mauvais endroit, au mauvais moment. Les yeux tournés vers un ciel désespérém­ent vide dans lequel ils cherchent un signe, une présence qui pourrait les sauver.

Adapté d’un roman de Donald Ray Pollock, dont la voix épaisse et traînante de Midwestern­er sert de narrateur omniscient, le Diable tout le temps se focalise en vérité sur la génération d’après. Passé ce premier mouvement versatile et turbulant, le film se stabilise autour de la figure d’Arvin, gamin estropié par la folie d’un père vétéran avec lequel le plus grand instant de complicité fut la dérouillée qu’il infligea aux parents des écoliers qui sadisaient son fils à la récré. Accroché au personnage de Tom Holland (le Spider-Man de Marvel dernière mouture), qui se voit délesté des derniers lambeaux d’innocence qui lui restaient, le film perd en urgence, en dangerosit­é, et manque de souffle au moment de raccrocher le côté chorale de son récit, avec une histoire de flic ripou qui suture laborieuse­ment l’ensemble. Sans devenir franchemen­t déplaisant, le film rentre dans le rang et appuie avec trop de force sur les boutons qu’il presse depuis le début. Un révérend à la belle ambiguïté maboule (folle scène de résurrecti­on) est chassé par un autre platement prédateur (Robert Pattinson de retour chez les vampires), les regards fugaces vers le ciel se muent en prières maniaques. Et on s’ennuie un peu à s’entendre répéter qu’en guise de diable il n’y a que des hommes aux choix moraux catastroph­iques.

Le Diable, tout le temps d’Antonio Campos sur Netflix.

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Robert Pattinson.
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Tom Holland.
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Photos Glen Wilson. Netflix Jason Clarke et Riley Keough.

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