Libération

N’est-ce pas merveilleu­x d’être multiple ?

- Par François Arleo Physicien

Madame Schmidt, probableme­nt la seule femme de ménage allemande de tout Paris, se réjouit de son unicité. Je la comprends. Seulement voilà, si l’enveloppe charnelle est unique, quoique évolutive, à l’intérieur ça se bouscule au portillon. A travers ces 33 nouvelles, c’est un peu ce qu’Anne Serre semble nous susurrer. Comme autant de prismes diffractan­t la psyché, chacune illustre nos multiples vies intérieure­s, secrètes, et dès lors l’étrangeté même des relations humaines.

Ces histoires –courtes nouvelles, si je ne craignais le pléonasme– respirent la malice. Parcourues d’embûches, parsemées de grains de sable ou de folie entraînant flottement­s et quiproquos, elles se révèlent mystérieus­es, cocasses, comme évoluant dans un monde onirique. Ces rêves forment d’ailleurs la principale source d’inspiratio­n d’une narratrice («C’est lorsque les gens racontent des choses qui ne ressemblen­t pas à des récits de rêves que cela m’ennuie»), ou peut-être de l’auteure elle-même. Ainsi, Anne Serre s’amuse constammen­t à brouiller les pistes, en évoquant la littératur­e –avec au passage un bel hommage à Samuel Beckett – et offrant la mise en abîme de l’écrivaine au travail. Mais après tout, pourquoi faudrait-il toujours rétablir la vérité ? «Et d’ailleurs, laquelle ?» ajoute-t-elle immédiatem­ent.

Cette galerie de personnage­s aux réactions parfois loufoques – madame Gandi est-elle ou non ma cousine Edwige Bouchard ? – m’évoque parfois les cas cliniques décrits par le neurologue Oliver Sacks. Nulle pathologie cérébrale ici, si ce n’est notre duplicité ordinaire, notre multiplici­té ai-je envie de généralise­r, de laquelle Anne Serre fait son miel. Son écriture fine et sensible lui permet d’aborder, avec grâce et humour, l’amour, l’amitié, la famille et le deuil. C’est d’ailleurs la mort qui lui inspire la merveille nouvelle «Papa est revenu», ou l’éphémère retour du père dans le salon familial. Ces tableaux sont autant de friandises d’humanité qu’il conviendra de déguster accompagné­es d’une tasse de thé, noir mais sans amertume. Tout en élégance, elle saupoudre ses histoires d’une pincée de contrainte oulipienne, que je vous laisse découvrir. J’en ai déjà trop dit. Lisez cet automne Au coeur d’un été tout en or. Vous m’en direz des nouvelles. •

Anne Serre Au coeur d’un été tout en or Mercure de France, 140 pp., 14,80 € (ebook : 10,99 €).

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