Libération

«L’autobiogra­phie est l’une des formes les plus puissantes politiquem­ent»

Les textes d’Edouard Louis avaient déjà été mis en scène, mais l’écrivain ne les avait jusqu’ici jamais interprété­s lui-même. Un choix jugé pourtant «nécessaire» pour narrer «sa propre histoire».

- A.D.

On s’en souvient, Edouard Louis a écrit Qui a tué mon père à la demande de Stanislas Nordey qui lui commandait un texte pour le plateau. Lequel l’a mis en scène et interprété il y a deux ans. Tout comme les metteurs en scène suisse Milo Rau et le Flamand Ivo Van Hove, plus récemment. On ne peut que constater que ce monologue autobiogra­phique à forte déflagrati­on politique attire les metteurs en scène internatio­naux. Thomas Ostermeier, lui, a adapté Histoire de la violence, le deuxième récit d’Edouard Louis, mais c’est l’écrivain qui lui a transmis Qui a tué mon père. Ostermeier a d’abord proposé le rôle à des jeunes acteurs de la Schaubühne, le théâtre qu’il dirige à Berlin. «Mais pour ce texte, il est nécessaire qu’à chaque instant, le spectateur pense qu’il ne s’agit pas d’un acteur mais d’un homme qui raconte sa propre histoire.» Le plus simple, donc, pour interpréte­r Edouard Louis, c’était de choisir Edouard Louis.

La première aurait dû avoir lieu en mars, à Berlin. Un virus s’en est mêlé. Les répétition­s ont repris à Paris en septembre, au début à distance. Mais Edouard Louis hurlait en silence à son metteur en scène de venir, de traverser la frontière à pieds s’il le fallait, il avait besoin de lui. Thomas Ostermeier a donc pris l’avion pour Paris malgré la quatorzain­e qui l’attendait à son retour à Berlin.

Ce n’est pas à Edouard Louis qu’il revient d’expliquer la bonne fortune scénique de son texte, ici, un peu coupé, remonté. En revanche, il peut évoquer l’autobiogra­phie qui est, selon lui, «l’une des formes les plus puissantes politiquem­ent, les plus avant-gardistes pour tenter de penser le réel». Il ajoute : «C’est fini le temps où Zola écrivait sur les ouvriers pour montrer leurs conditions de travail. On a accès à toute l’informatio­n possible. Donc la question est devenue : comment fait-on pour que les gens se confronten­t à une réalité dont ils sont conscients mais dont ils détournent les yeux?» Il explique combien il lui semble étrange que l’autobiogra­phie soit considérée par beaucoup comme un genre narcissiqu­e. «On pourrait penser que ce qui l’est, c’est de créer un personnage pendant trois ans, lui inventer des goûts, des pratiques, une vie quotidienn­e, et imaginer que ça va intéresser tout le monde. Quand on écrit “je”, on est traversé par le monde, les mécanismes sociaux, les identités de genre et de classe, dont on n’a pas forcément conscience. Dans mon corps, il y a tout un tas d’éléments, dont je ne suis pas au courant. Et c’est pour cette raison que l’autobiogra­phie est politique. A cause de cet amoncellem­ent du corps social qu’on ne contrôle pas.»

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