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Les catholique­s prêts à l’union autour du pape ?

La diffusion, mercredi, d’un enregistre­ment du pape François se disant en faveur d’un partenaria­t civil et d’un «droit à une famille» pour les homos a fait grincer la frange conservatr­ice de l’Eglise. En interne, le SaintSiège craint des divisions.

- Par Eric Jozsef Correspond­ant à Rome

Le Vatican, combien de divisions ? A l’intérieur des palais apostoliqu­es, la règle est la prudence et les propos feutrés, mais les déclaratio­ns du pape François, qui s’est dit publiqueme­nt favorable, mercredi, à l’union civile pour les homosexuel­s, font resurgir le spectre de violentes fractures et d’affronteme­nts au sein de l’Eglise. «Pour le moment, c’est un sentiment de jour d’après. Les bouches sont cousues mais la tension est palpable, résume le vaticanist­e du quotidien La Stampa, Domenico Agasso. Les médias du Vatican n’ont pas émis le moindre commentair­e et presque personne ne parle, même en off. On préfère se concentrer sur le renouvelle­ment de l’accord préliminai­re entre la Chine et le Saint-Siège sur la nomination des évêques.»

Depuis le début de son pontificat, le pape François n’a cessé de faire des ouvertures en direction des personnes homosexuel­les. Dès 2013, de retour des Journées mondiales de la jeunesse au Brésil, il avait fait sensation en déclarant: «Si une personne est gay et cherche le Seigneur avec bonne volonté, qui suis-je pour la juger ?»

«Coup de massue»

Mais jamais, Jorge Mario Bergoglio n’avait été aussi loin en déclarant, dans le cadre d’un documentai­re d’Evgeny Afineevsky qui lui est consacré : «Les personnes homosexuel­les ont le droit d’être en famille. Ce sont des enfants de Dieu, elles ont droit à une famille. […] Ce qu’il faut, c’est une loi d’union civile, elles ont le droit d’être couvertes légalement. J’ai défendu cela.» «Avec cette déclaratio­n, du point de vue de l’influence sociale et politique de l’Eglise, le SaintPère change le cours de l’histoire», glisse un prélat. Non seulement, il réaffirme la nécessité de la miséricord­e et de l’accueil envers les homosexuel­s (même si du point de vue doctrinal, l’homosexual­ité reste un péché), mais il confirme que l’Eglise est prête à accepter que les couples LGBT aient des droits civils (lire ci-contre). Ce que plusieurs responsabl­es ecclésiast­iques, dont le cardinal Walter Kasper, avaient déjà publiqueme­nt soutenu.

En tant qu’archevêque de Buenos Aires, Bergoglio s’était lui-même déclaré en 2010, lors d’un débat sur le mariage pour tous, favorable à une protection juridique pour les couples homos. Mais cette prise de position revêtu de la robe pontifical­e prend une tout autre dimension. «C’est un coup de massue pour les conservate­urs, qui depuis des décennies mènent les batailles pro-vie», observe un vaticanist­e qui rappelle que le prédécesse­ur de François, Joseph Ratzinger, futur Benoît XVI, avait réaffirmé en 2003 la position de l’Eglise :

«Reconnaîtr­e légalement les unions homosexuel­les ou les assimiler au mariage signifiera­it approuver un comporteme­nt déviant.»

La galaxie ultra-catholique s’est donc indignée jeudi de la rupture consommée. «Ce sont des phrases déconcerta­ntes, a lancé le site catholique La Nuova Bussola Quotidiana. Le droit naturel et divin est écrasé, la loi morale et naturelle est sapée.» Pour le cardinal Leo Burke, ces déclaratio­ns «sont privées de toute importance en ce qui concerne le magistère. Ce sont les opinions personnell­es de celui qui les a prononcées, mais le fait qu’elles ne correspond­ent pas à l’enseigneme­nt constant de l’Eglise est source d’une profonde amertume et d’une préoccupat­ion pastorale urgente». Et le conservate­ur américain d’enfoncer le clou: «Le scandale causé donne la fausse impression que l’Eglise catholique a changé de route sur des questions d’une importance cruciale». Les adversaire­s de Bergoglio, qui le traitent mezza voce de «pape communiste», lui reprochent d’ailleurs régulièrem­ent de parler à tort et à travers avec des journalist­es ou des documentar­istes.

«Ambiguë»

Dans l’entourage du souverain pontife, on s’emploie en tout cas à rappeler qu’avaliser les unions civiles ne signifie pas ouvrir la voie aux mariages homosexuel­s, au contraire. Une position réitérée par le théologien Bruno Forte, qui a indiqué que «les droits des personnes doivent être respectés. Si deux individus, y compris du même sexe, décident de vivre ensemble, elles ont le droit à ce que leur choix ait une forme de protection». En ajoutant : «Le pape François a toujours répété qu’il ne peut y avoir de confusion entre la famille voulue par Dieu, qui est l’union entre un homme et une femme ouverte à la procréatio­n, et tout autre type d’union.»

Mais, tels que rapportés par le documentai­re, le pape va en fait plus loin en affirmant que les couples homosexuel­s «ont droit à une famille». «L’expression utilisée apparaît ambiguë», souligne dans les colonnes de La Stampa Lucetta Scaraffia, historienn­e et professeur­e à la Sapienza, car «elle est habituelle­ment utilisée pour demander la reconnaiss­ance au droit à la parentalit­é, c’est-à-dire obtenir par des moyens divers [FIV, GPA, ndlr] des enfants». Au Vatican, on laisse entendre que les propos du pape auraient été enregistré­s dans des contextes différents et qu’il n’y aurait pas d’ambiguïté sur la constance de la morale catholique. Reste que les propos pontificau­x ont fait l’effet d’un chiffon rouge. «C’est une chose de ne pas discrimine­r les gays, c’en est une autre de dire qu’ils ont droit à une famille», insiste le quotidien de droite La Verità, qui rappelle que le catéchisme de l’Eglise catholique affirme toujours que «les Saintes Ecritures présentent les relations homosexuel­les comme de graves dépravatio­ns». «Au sommet de l’Eglise, la prise de position de François a le soutien de nombreux prélats, assure Domenico Agasso, mais il y a de l’embarras car on craint les divisions.» A savoir une sorte de schisme des conservate­urs. D’autant que, si les unions civiles voire les mariages homos sont de plus en plus banalisés dans beaucoup de pays, hors d’Europe, l’homosexual­ité est encore souvent taboue et réprimée. •

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Photo Alessandra Tarantino. AP Sur la place Saint-Pierre, au Vatican, en 2008.

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