A l’Assemblée, une majorité qui croit en la force de l’ordre
Gilets jaunes, état d’urgence sanitaire, attentats… S’affichant au départ progressistes, les élus LREM ont pourtant consenti à des réponses dures au grand dam de certains d’entre eux, qui tentent de sonner l’alarme.
Le nez sur chaque article, chaque loi controversée, ils se trouvent de pointus arguments juridiques, se convainquent d’avoir réussi à bricoler un équilibre et su répondre aux crises qui se superposent. Mais lorsque les députés LREM reculent de quelques pas, que se dégage-t-il du tableau ? «Risque-t-on de perdre la vision d’ensemble à force de voter des lois les unes après les autres ?» hésite l’un d’eux.
«Dérive».
Un autre se montre plus tranchant : «Quand on fera le cumul, on considérera sans doute qu’on s’est insidieusement accommodés d’un recul des libertés. Cela peut s’expliquer à chaque fois mais à la fin des fins, oui, il y a une dérive.» Le même s’inquiète : «Il n’y a aucun doute sur notre respect de la démocratie, mais si ce n’est plus nous demain ? On n’est pas dépositaires ad vitam aeternam de ce qu’on vote aujourd’hui.» En marche sur une pente. Sans avoir livré une définition précise du macronisme, ses recrues de 2017, pour beaucoup issues de la gauche, s’étaient lancées en campagne sous la bannière «progressiste», avec un logiciel libéral censé se décliner aux sujets de société. Les voilà qui, à l’Assemblée nationale, examinent une problématique proposition de loi sur «la sécurité globale» signée par la quasi-intégralité du groupe. Et ce dans un contexte où l’état d’urgence sanitaire, prorogé pour endiguer l’épidémie de Covid-19, entame déjà l’exercice des libertés publiques : «On est dans une séquence où nous sommes privés de certaines de nos libertés en raison de la situation sanitaire. Au lieu d’envoyer aux Français un ballon d’oxygène, c’est une asphyxie supplémentaire», dénonce le socialiste Hervé Saulignac. Avant cela, la majorité s’était fracturée sur la loi anticasseurs début 2019 et avait voté sans broncher, à l’automne 2017, une loi qui introduisait dans le droit commun des mesures de l’état d’urgence.
Certains marcheurs se rassurent en pointant les dispositions qui ne sont finalement pas dans le texte dit de «sécurité globale», tels le floutage des policiers demandé par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, ou la reconnaissance faciale. «Je n’y vois pas d’horreurs et vu le sujet, il aurait pu y en avoir !» tente un député très optimiste. D’autres, mal à l’aise, tiquent tout de même sur plusieurs dispositions, comme l’usage des drones, le recours à la sécurité privée et, bien sûr, le fameux article 24 qui prévoit d’interdire la diffusion d’images de membres des forces de l’ordre quand elle vise à attenter à leur «intégrité physique ou psychique». Une réunion devait se tenir jeudi soir avec Jean Castex, Gérald Darmanin, le président du groupe LREM, Christophe Castaner, et les rapporteurs pour envisager des retouches (lire ci-contre).
A l’initiative de Sacha Houlié, 21 députés LREM défendent un amendement pour réécrire largement l’article et «objectiver» l’infraction, et 13 ont signé celui de Laetitia Avia demandant que la disposition ne porte pas «préjudice au droit d’informer». Dans la majorité, le Modem dénonce en des termes durs «une atteinte disproportionnée à la liberté d’expression et de communication» et considère que «punir un comportement légal en soi, du seul fait de l’intention malveillante de son auteur, n’est pas conforme à la tradition libérale de notre droit pénal depuis les Lumières».
«Vigies».
Pour Stella Dupont (LREM), qui n’a pas signé la proposition de loi, celle-ci «parle de sécurité globale mais ne questionne pas la place des citoyens» et aurait dû, par exemple, prévoir un outil facilitant leur témoignage quand ils sont confrontés à des violences de forces de l’ordre. Elle reconnaît aussi qu’«un contexte particulier s’impose à nous, il reste à trouver les équilibres». «On ne doit pas nier le terrorisme, la délinquance, les policiers caillassés, tout en maintenant les libertés. Dans cette période compliquée, on reste des vigies», espère Fiona Lazaar, opposée à l’article 24, qui assure ne pas avoir perdu de vue «les convictions qui l’animaient en 2017 : l’égalité des chances, l’égalité femmes-hommes».
Les situations qui surgissent font l’agenda politique : c’est ce qu’avance, et en même temps déplore, Ludovic Mendes. «On a durci certaines choses, on a aussi ce pragmatisme de la réalité, mais on n’a pas dérivé», juge-t-il, tout en s’interrogeant : «Au lieu de réagir à l’émotion, de prendre des mesures séparées, sans liant, ne devrait-on pas faire de grandes lois pour redonner du sens ?»
Plutôt qu’à un glissement sécuritaire de la majorité, Stella Dupont veut croire que plusieurs lignes y ont toujours coexisté: «Il y a une diversité entre [le corapporteur du texte] Jean-Michel Fauvergue, expert du sujet, qui connaît très bien les forces de l’ordre, et des gens qui sont très précautionneux sur les libertés.» Un autre constate qu’un certain nombre de ses collègues, «obnubilés par les gilets jaunes, les troubles à l’ordre public, l’islam radical, ont viré “parti de l’ordre”. Pour la plupart, ils sont issus de la société civile et sont plus perméables aux orientations de l’opinion. A côté, d’autres ont un discours plus politique, mais sont cantonnés au rôle de ceux qui sonnent l’alarme». A défaut d’être majoritaires.