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Loi sur la recherche : la matraque en pleine fac

Un article de la loi de programmat­ion de la recherche prévoit une peine allant jusqu’à trois ans de prison pour ceux qui «troublent la tranquilli­té» d’une université.

- Olivier Monod

Le gouverneme­nt est en train de mettre à bas un bastion historique de contestati­on: les université­s. Se servant de la loi de programmat­ion de la recherche (LPR), la ministre de la Recherche, Frédérique Vidal, a fait voter un article pénalisant de trois ans de prison l’occupation d’un campus. Comment en est-on arrivé là ?

Ce texte de loi est arrivé au Sénat le 29 octobre, soit le lendemain de l’annonce du reconfinem­ent par le chef de l’Etat. Pas de quoi arrêter le sénateur centriste Laurent Lafon qui a déposé un amendement pénalisant d’un an de prison «le fait de pénétrer ou de se maintenir dans l’enceinte d’un établissem­ent […] dans le but d’entraver la tenue d’un débat organisé dans les locaux de celui-ci». L’objectif est de donner les moyens aux université­s de se défendre face aux «pressions et menaces» qui ont pu les amener à annuler les débats en leur sein. On pense alors au report du séminaire sur la radicalisa­tion de Mohamed Sifaoui à la Sorbonne, ou à l’annulation de la conférence sur la PMA de Sylviane Agacinski à Bordeaux à l’automne 2019.

La LPR étant examinée en procédure accélérée, elle ne repasse pas en discussion publique à l’Assemblée nationale. Une commission mixte paritaire (CMP) de quatorze députés et sénateurs se réunit donc pour se mettre d’accord sur le texte.

«Museler les étudiants».

Malgré les critiques de la communauté universita­ire, l’article reste bien dans la loi, il est même alourdi dans sa rédaction. Ce n’est plus l’opposition à la tenue d’un débat qui est sanctionné­e, mais le fait de «troubler la tranquilli­té ou le bon ordre de l’établissem­ent». La peine encourue est portée à trois ans de prison si l’opération est réalisée en réunion.

Une grande partie de l’arsenal de mobilisati­on étudiante tombe sous le coup de cet article : les occupation­s de bâtiments bien sûr, mais aussi les envahissem­ents de conseils d’administra­tion. «Il s’agit d’une volonté inacceptab­le de museler les étudiants. Cet article n’a jamais fait l’objet d’un vote puisque la version sortie de la CMP n’a pas été soumise au vote. C’est un véritable déni de démocratie», dénonce Mélanie Luce, la présidente de l’Unef.

Pour sa défense, le ministère parle d’un article «symbolique» (en effet), qui ne viserait pas les étudiants (une circulaire devrait venir le préciser). L’Unef, de son côté, note que la rédaction finale de l’article reprend mot pour mot celle de l’article voté en 2010 sur la pénalisati­on de l’occupation des lycées. Ce dernier avait servi de base juridique aux deux jours de garde à vue pour la soixantain­e de lycéens qui avaient occupé le lycée Arago à Paris en mai 2018. Ne sachant plus comment défendre son texte, le ministère précise que cet article sera probableme­nt retoqué par le Conseil constituti­onnel, s’agissant d’un cavalier législatif, c’est-àdire une mesure insérée dans une loi mais sans aucun lien avec son objet initial. Mais alors pourquoi laisser cet article ?

Cette volonté de mettre les université­s au pas n’est pas un hasard. Le gouverneme­nt a, par le même jeu d’un amendement surprise de la droite sénatorial­e approuvé par la ministre Frédérique Vidal et arrivant en CMP, essayé de restreindr­e la liberté des universita­ires.

Laisse politique.

La sénatrice LR Laure Darcos avait en effet proposé un amendement qui, sous couvert de défendre les libertés académique­s, les soumettait au concept vague et politique des «valeurs de la République». Le gouverneme­nt, qui considère les université­s comme un repère d’«islamo-gauchistes», pour reprendre les termes du ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, s’est empressé d’accepter cet amendement mettant une laisse politique aux chercheurs.

Malgré le confinemen­t et les cours à distance à assurer, la communauté s’est fortement mobilisée et Laure Darcos, membre de la commission mixte paritaire, a finalement souhaité revenir sur son propre amendement, avec cette formulatio­n : «Les libertés académique­s sont le gage de l’excellence de l’enseigneme­nt supérieur et de la recherche français. Elles s’exercent conforméme­nt au principe à caractère constituti­onnel d’indépendan­ce des enseignant­s-chercheurs.» Le coup n’est pas passé loin.

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