Loi sur la recherche : la matraque en pleine fac
Un article de la loi de programmation de la recherche prévoit une peine allant jusqu’à trois ans de prison pour ceux qui «troublent la tranquillité» d’une université.
Le gouvernement est en train de mettre à bas un bastion historique de contestation: les universités. Se servant de la loi de programmation de la recherche (LPR), la ministre de la Recherche, Frédérique Vidal, a fait voter un article pénalisant de trois ans de prison l’occupation d’un campus. Comment en est-on arrivé là ?
Ce texte de loi est arrivé au Sénat le 29 octobre, soit le lendemain de l’annonce du reconfinement par le chef de l’Etat. Pas de quoi arrêter le sénateur centriste Laurent Lafon qui a déposé un amendement pénalisant d’un an de prison «le fait de pénétrer ou de se maintenir dans l’enceinte d’un établissement […] dans le but d’entraver la tenue d’un débat organisé dans les locaux de celui-ci». L’objectif est de donner les moyens aux universités de se défendre face aux «pressions et menaces» qui ont pu les amener à annuler les débats en leur sein. On pense alors au report du séminaire sur la radicalisation de Mohamed Sifaoui à la Sorbonne, ou à l’annulation de la conférence sur la PMA de Sylviane Agacinski à Bordeaux à l’automne 2019.
La LPR étant examinée en procédure accélérée, elle ne repasse pas en discussion publique à l’Assemblée nationale. Une commission mixte paritaire (CMP) de quatorze députés et sénateurs se réunit donc pour se mettre d’accord sur le texte.
«Museler les étudiants».
Malgré les critiques de la communauté universitaire, l’article reste bien dans la loi, il est même alourdi dans sa rédaction. Ce n’est plus l’opposition à la tenue d’un débat qui est sanctionnée, mais le fait de «troubler la tranquillité ou le bon ordre de l’établissement». La peine encourue est portée à trois ans de prison si l’opération est réalisée en réunion.
Une grande partie de l’arsenal de mobilisation étudiante tombe sous le coup de cet article : les occupations de bâtiments bien sûr, mais aussi les envahissements de conseils d’administration. «Il s’agit d’une volonté inacceptable de museler les étudiants. Cet article n’a jamais fait l’objet d’un vote puisque la version sortie de la CMP n’a pas été soumise au vote. C’est un véritable déni de démocratie», dénonce Mélanie Luce, la présidente de l’Unef.
Pour sa défense, le ministère parle d’un article «symbolique» (en effet), qui ne viserait pas les étudiants (une circulaire devrait venir le préciser). L’Unef, de son côté, note que la rédaction finale de l’article reprend mot pour mot celle de l’article voté en 2010 sur la pénalisation de l’occupation des lycées. Ce dernier avait servi de base juridique aux deux jours de garde à vue pour la soixantaine de lycéens qui avaient occupé le lycée Arago à Paris en mai 2018. Ne sachant plus comment défendre son texte, le ministère précise que cet article sera probablement retoqué par le Conseil constitutionnel, s’agissant d’un cavalier législatif, c’est-àdire une mesure insérée dans une loi mais sans aucun lien avec son objet initial. Mais alors pourquoi laisser cet article ?
Cette volonté de mettre les universités au pas n’est pas un hasard. Le gouvernement a, par le même jeu d’un amendement surprise de la droite sénatoriale approuvé par la ministre Frédérique Vidal et arrivant en CMP, essayé de restreindre la liberté des universitaires.
Laisse politique.
La sénatrice LR Laure Darcos avait en effet proposé un amendement qui, sous couvert de défendre les libertés académiques, les soumettait au concept vague et politique des «valeurs de la République». Le gouvernement, qui considère les universités comme un repère d’«islamo-gauchistes», pour reprendre les termes du ministre de l’Education nationale, Jean-Michel Blanquer, s’est empressé d’accepter cet amendement mettant une laisse politique aux chercheurs.
Malgré le confinement et les cours à distance à assurer, la communauté s’est fortement mobilisée et Laure Darcos, membre de la commission mixte paritaire, a finalement souhaité revenir sur son propre amendement, avec cette formulation : «Les libertés académiques sont le gage de l’excellence de l’enseignement supérieur et de la recherche français. Elles s’exercent conformément au principe à caractère constitutionnel d’indépendance des enseignants-chercheurs.» Le coup n’est pas passé loin.