Libération

Kaboul dans le viseur des talibans

L’absence d’avancée dans les négociatio­ns à Doha entre le gouverneme­nt afghan et les insurgés rend chaque jour plus probable la chute de la capitale afghane. Une inquiétude accentuée par le prochain retrait des forces américaine­s, annoncé mardi par Donal

- Par Luc Mathieu Photos Sandra Calligaro

La chute de Saïgon. La perspectiv­e de voir Kaboul s’effondrer comme la capitale vietnamien­ne en 1975, repris par les talibans ou fracassé par une nouvelle guerre civile, se murmure depuis plusieurs années entre diplomates, analystes ou au sein de certains cercles dirigeants afghans. Ces dernières semaines, elle prend corps. «L’ambiance est crépuscula­ire. Il s’est passé deux ans entre les accords de Paris en 1973 et la chute de Saïgon. Ici, la question est plutôt de savoir combien de mois cela prendra», explique un diplomate occidental en poste à Kaboul.

«Un émirat»

Ce pessimisme tient d’abord à l’absence de résultat des négociatio­ns entre les talibans et les représenta­nts du gouverneme­nt afghan et de la société civile. Lancées en septembre à Doha, au Qatar, où les insurgés ont installé leur bureau politique, elles n’ont pour l’instant abouti à rien de concret. Les délégation­s, chacune dans leur salle, ne se parlent même plus directemen­t. Des intermédia­ires qataris se chargent de transmettr­e les messages. Hormis des premières déclaratio­ns d’intention vagues, les discussion­s à distance se concentren­t depuis le début sur des points techniques, notamment le calendrier, et les procédures pour régler les contentieu­x. «Le problème est qu’aucune des deux parties n’a envie d’avancer. Mais aucune ne veut non plus apparaître comme étant à l’origine de la rupture», poursuit le diplomate. Selon Rahmatulla­h Nabil, ancien directeur des services de renseignem­ent afghans, un déblocage pourrait être annoncé dans les prochains jours, le gouverneme­nt de Kaboul ayant cédé sous «l’énorme pression», comme il l’a écrit mardi sur Twitter.

Mais les désaccords restent profonds sur le coeur des discussion­s. D’un côté, les talibans sont arc-boutés sur leurs exigences, dont celle de réinstalle­r «un émirat», en lieu et place de l’actuelle république. Ils seraient prêts à une concession temporaire: un gouverneme­nt intérimair­e. Mais cette option est rejetée par le président Ashraf Ghani, qui entend rester au pouvoir aussi longtemps qu’il le pourra.

Le chef de l’Etat afghan n’a jamais été aussi faible. Mal élu, après des fraudes massives et une participat­ion historique­ment faible, contesté par son rival Abdullah Abdullah nommé chef des négociatio­ns, il fait face à des talibans en position de force. Politiquem­ent, les insurgés estiment qu’ils ont gagné face aux Etats-Unis. L’accord qu’ils ont signé avec Washington fin février à Doha, sans que Kaboul ne soit consulté, entérine un calendrier de départ des forces américaine­s qui doit s’achever en avril 2021. A condition toutefois qu’ils s’engagent à ne pas laisser des groupes jihadistes, dont Al-Qaeda, opérer depuis le sol afghan. Les mécanismes de contrôle n’ont pas été dévoilés dans l’accord rendu public, ils figurent dans des annexes confidenti­elles.

Pour l’heure, alors que des cadres et des combattant­s d’Al-Qaeda sont présents en Afghanista­n – une figure historique du mouvement, l’Egyptien

Muhsin al-Masri, a été tuée le 15 octobre dans la province de Ghazni (Sud-Est) – l’armée américaine a déjà largement entamé son retrait. Après dix-neuf ans de guerre, elle compte moins de 5 000 soldats dans le pays, contre plus de 100000 en 2012. Mardi, le Pentagone a annoncé le rapatrieme­nt de 2 000 autres d’ici au 15 janvier. Le président sortant, Donald Trump, avait fait de l’arrêt «des guerres sans fin» une promesse de campagne. Rien ne dit que son successeur, Joe Biden, reviendra sur la décision. Il s’est dit favorable à une force antiterror­iste d’envergure limitée. Ce retrait américain inquiète l’Otan. Son secrétaire général, Jens Stoltenber­g, a averti mardi que l’Afghanista­n pourrait «redevenir une base pour les terroriste­s internatio­naux». La France s’est dite préoccupée des conséquenc­es sur les pourparler­s de paix.

La capitale quasi encerclée

Les talibans ont, eux, salué «une bonne mesure». «Le plus tôt les troupes étrangères s’en iront, le plus vite la guerre finira», a déclaré l’un de leurs porte-parole, Zabihullah Mujahid. Ils sont d’ores et déjà en position de force militairem­ent. Ces derniers mois, ils ont avancé autour des grandes villes. Même la capitale, Kaboul, est aujourd’hui quasi encerclée. Ils ont refusé l’instaurati­on d’un cessez-le-feu le temps des négociatio­ns, ce que demandait le gouverneme­nt, et n’ont accepté «une réduction des violences» que durant quelques jours, le temps de signer leur accord avec Washington. Depuis, les attaques contre les forces afghanes, démoralisé­es et sous-payées, sont incessante­s à travers le pays. •

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Dans les jardins du palais de Paghman, près de Kaboul, Humayoon, un taliban, porte les traces de cinq ans de «prisons privées», avant d’être enfermé au centre pénitentia­ire de Bagram.
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Tamim Ahmed, ex-taliban libéré, de retour dans son village natal, Kolo Sayda, fin septembre
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