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Sandrine Rousseau à EE-LV Un retour en douce pour un match retors

La militante écoféminis­te et fondatrice de l’associatio­n Parler, qui avait quitté le parti il y a trois ans, s’est déclarée candidate en octobre à la primaire écolo. Elle casse ainsi le duel Piolle-Jadot.

- Par Charlotte Belaïch Photo Aimée Thirion

«Piolle et Jadot.» Quand ils font la liste des potentiels candidats à la présidenti­elle, les représenta­nts de la gauche citent, côté écolos, ces deux noms accolés, comme on le fait pour un duo. Ils oublient qu’une troisième personne est venue perturber ce face-à-face masculin. Alors que la France était sous le choc de l’assassinat de Samuel Paty et s’attendait au déferlemen­t de la deuxième vague du Covid-19, la candidatur­e de Sandrine Rousseau à la primaire des écolos est passée sous les radars. «Je reviens avec l’envie de me porter candidate à la primaire des écologiste­s pour la prochaine élection présidenti­elle», a-t-elle écrit dans une lettre adressée aux militants le 26 octobre.

Idée mûrie pendant l’été

Il y a trois ans, Sandrine Rousseau quittait pourtant la vie politique. Membre d’Europe Ecologie-les Verts (EE-LV) depuis sa création en 2009, vice-présidente du conseil régional du Nord-Pas-de-Calais de 2010 à 2015, porteparol­e du parti puis secrétaire nationale adjointe, elle porte plainte pour agression sexuelle, en 2016, avec trois autres femmes, contre le député écolo de Paris Denis Baupin. Le parti les soutient mais Rousseau a besoin de partir. «Je ne pouvais pas faire autrement, raconte-t-elle aujourd’hui à Libération. Il fallait que je prenne du temps pour aller mieux et pour retrouver du sens, savoir pourquoi je faisais de la politique, dans cette structure-là.» L’économiste, maître de conférence­s et viceprésid­ente de l’université de Lille, crée Parler, une associatio­n visant à encourager les victimes de violences sexuelles à porter plainte et publie un livre du même nom. Aujourd’hui, elle ne sait plus trop si, à l’époque, elle avait conscience qu’il s’agissait d’une simple pause. Elle réfléchit : «Je savais dès le départ que c’était important de montrer que tout ne s’arrête pas parce qu’on a parlé mais à un moment, ça m’a vraiment pris, je me suis dit que je ne pouvais pas prétendre aider les femmes et ne pas revenir.»

L’idée du retour, par la porte présidenti­elle, a germé et mûri pendant l’été. Désormais, elle veut montrer qu’elle est convaincue. Elle raconte qu’elle ressent «très profondéme­nt» que sa place est à EE-LV, que c’est un «immense bonheur» et qu’elle est «très très heureuse». Les militants écolos? «Des gens extraordin­aires» qui ont mené des «combats hallucinan­ts». Autant de superlatif­s qui font penser qu’en parlant, elle tente aussi de se convaincre elle-même. Aucun doute en revanche lorsqu’elle parle d’écologie politique. Solide sur ses assises idéologiqu­es, Sandrine Rousseau disserte sur le XIXe siècle qui a transformé la nature en marchandis­e, concentré ce pouvoir d’exploitati­on entre quelques mains et rêve d’un nouveau siècle des Lumières qui ferait émerger un autre système. Elle expose ses plans: «Pendant cinq ans, on consolide notre contrat social et on s’interroge sur ce qui est vital pour nous. Une fois qu’on a défini ça, on adapte notre système économique à ces limites.» «Pas très réjouissan­t», dit comme ça, elle en convient. C’est d’ailleurs ce qu’on reproche souvent aux écolos. Elle explique : «Il ne s’agit pas de renoncer au plaisir mais de retrouver le sens du plaisir. La course actuelle au bonheur n’est jamais atteinte. L’écologie réinvente le sens de la vie, c’est ça qui est enthousias­mant.» Une pensée verte ravivée par sa propre expérience.

Après trois ans de travail associatif et de réflexion sur les violences sexuelles, elle se lance dans la primaire écolo en liant les deux combats. D’autres l’ont fait avant elle, en s’inscrivant dans l’écoféminis­me, courant de pensée qui fait le lien entre exploitati­on de la nature et domination des femmes. Quand elle parle de sa candidatur­e en revanche, on la sent tâtonner. Les idéogramme­s planent au-dessus de sa tête signalant qu’une idée va émerger. Ça tourne autour de la sensibilit­é. «Quand j’ai commencé à m’interroger sur le fait d’être candidate, ce qui m’est venu tout de suite c’est: nos failles, nos forces, nos failles, nos forces, répèteelle comme pour voir l’effet que fait son slogan. Nous sommes des humains, on a des parcours faits de failles mais c’est notre force. Or la Ve République est incarnée par des personnes qui ont des parcours très lisses, qui n’assument pas ce rapport sensible aux personnes, à la nature et au pouvoir. C’est ça que je veux porter.» Elle répète une autre formule : «Je veux être la première et la dernière présidente de la Ve.»

Doute sur sa volonté

Dans un parti qui tient à la parité, certains savourent cette irruption du féminin. Depuis la candidatur­e de René Dumont en 1974, les écolos ont été représenté­s trois fois par des femmes à la présidenti­elle : Dominique Voynet en 1995 et en 2007, et Eva Joly en 2012. Ce n’est pas encore du 50-50, mais c’est bien mieux que les autres familles politiques. «On évite un match 100 % masculin. Il y avait une demande d’une femme à gauche et aucune de nous n’avait envie de s’y coller, admet Sandra Regol, la secrétaire nationale adjointe des Verts. Au niveau des profils, Jadot et Piolle sont assez similaires. Ce sont des quadras, cadres, qui s’expriment bien. Sandrine a un angle d’entrée dans la militance, par le combat écoféminis­te, qui la différenci­e un peu.» Mais qui croit vraiment en ses chances de remporter la primaire et plus tard la présidenti­elle? «Ce n’est pas “Hulot, le retour”. Toutes les féministes vont aller vers elle, et il y en a pas mal, mais elle n’a aucune chance», juge un écolo. Une candidatur­e (guettée par certains) de Delphine Batho, la députée ex-PS et

«La course actuelle au bonheur n’est jamais atteinte. L’écologie réinvente le sens

de la vie.»

Sandrine Rousseau

désormais présidente de Génération écologie, parti redevenu partenaire des Verts, pourrait en outre lui faire de l’ombre. Sandrine Rousseau a beau revendique­r une dynamique collective, pour l’instant, on ne voit pas bien l’effervesce­nce autour d’elle. «Je ne remets pas en question ses compétence­s mais son combat politique repose sur du sable. Ce n’est pas la première fois qu’elle fait un coup politique qui aboutit à peu de choses. En 2015, son entête

ment a amené à la perte de la région. Elle a fait 5 %, elle ne représente rien», débine un socialiste du Nord, encore marqué par la division de la gauche et son retrait au second tour pour laisser place à un duel droite-extrême droite entre Xavier Bertrand et Marine Le Pen.

Chez les écolos, officielle­ment, tout le monde salue sa candidatur­e mais officieuse­ment, on doute de sa volonté présidenti­elle.

Certains voient déjà l’issue de la compétitio­n. Selon eux, à la fin, Sandrine Rousseau se ralliera à Eric Piolle. Plus en phase avec sa ligne qu’avec les virages vers la droite de Jadot. «Des candidatur­es à la primaire, il y en aura d’autres, évacue férocement un cadre vert. C’est à chacun de se poser la question: est-ce que ce que je fais est utile à l’objectif global que je défends ? Si l’objectif est qu’un écolo gagne la présidenti­elle…» •

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Sandrine Rousseau à Lille, le 13 novembre.Elle a été vice-président du conseil régional du Nord-Pas-de-Calais de 2010 à 2015
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