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Pour Noël, mon «bio» sapin roi des forêts ?

Malgré la fermeture des commerces, le gouverneme­nt vient d’autoriser la vente de sapins à partir de ce vendredi. Mais pour l’environnem­ent, il y a sapin et sapin.

- Par Julie Renson Miquel

C’est la fin d’un suspense haletant : oui, on pourra avoir un sapin de Noël dans son salon pour les fêtes en cette année totalement perturbée par le Covid-19. On pourra l’acheter dès vendredi. «Dans la crise sanitaire à laquelle nous sommes confrontés, c’est quand même plus simple d’organiser cette vente de sapins dans la mesure où dans la plupart des cas, ça se fait à l’extérieur», a fait valoir en début de semaine le ministre de l’Agricultur­e, Julien Denormandi­e. Bonne nouvelle pour les fans de guirlandes et de boules colorées, un peu moins pour l’environnem­ent: si près de six millions de conifères sont vendus chaque année à Noël en France, leur culture n’est pas des plus écologique­s.

Il y a pire, bien sûr: les sapins artificiel­s sont majoritair­ement produits en Asie à base de dérivés de pétrole. Il faudrait garder son exemplaire près de vingt ans pour que son bilan carbone devienne favorable d’après une étude québécoise de 2009. Côté sapin naturel, dont la production est à 80 % française, son impact sur l’environnem­ent est certes plus mesuré mais non négligeabl­e.

S’il y a peu de risque de déforestat­ion – car les sapins de Noël dépendent de terres agricoles –, les méfaits d’une agricultur­e intensive se répercuten­t sur les sols et la biodiversi­té. «Les sapins sont cultivés en monocultur­e, explique Sylvain Angerand, ingénieur forestier et membre de Canopée - Forêts vivantes, associatio­n de lutte pour la protection des forêts. Or, en monocultur­e, vous avez besoin d’utiliser des fertilisan­ts parce que les sapins de Noël sont coupés entre 5 et 10 ans, alors qu’un arbre se récolte normalemen­t lorsqu’il a plus de 100 ans. Plus vous récoltez sur des cycles courts, plus vous épuisez des sols, donc plus vous mettez des fertilisan­ts et des pesticides.»

«La production en agricultur­e biologique est très limitée, concède Frédéric Naudet, le président de l’Associatio­n française du sapin de Noël naturel. Mais ce sont des cultures très peu consommatr­ices de produits phytosanit­aires. Les producteur­s font beaucoup d’efforts pour limiter leurs intrants. Surtout, ça provient de nos terroirs.» Le décret permettant d’aller acheter des sapins est attendu avec impatience par les profession­nels du secteur. «C’est une question de vie ou de mort, insiste Frédéric Naudet. 1 000 emplois permanents et 1 200 saisonnier­s dépendent des ventes sur la période de Noël.»

Remous. En France, «moins de 1 %» des sapins de Noël sont issus de l’agricultur­e biologique, estime de son côté Michel Vuillier, agriculteu­r et producteur de sapins de Noël bio dans l’Ariège. Avec la dizaine d’autres producteur­s de sapins bio sur le territoire, il est en train de monter une associatio­n qui devrait voir le jour courant 2021. Le but : rassembler producteur­s, consommate­urs, chercheurs et distribute­urs pour «échanger sur les enjeux environnem­entaux liés à la culture du sapin».

Mais qui dit bio, dit sapin plus cher ? «Non. Nous avons une main-d’oeuvre plus importante qu’en convention­nel mais comme nous n’avons pas à acheter de traitement phytosanit­aire onéreux, à la sortie nous ne sommes pas forcément plus chers», analyse Michel Vuillier, dont les sapins sont vendus «entre 30 et 35 euros» en magasin.

A l’échelle nationale, un sapin sur quatre provient du Morvan. «C’est là où les impacts sont les plus lourds en termes de pesticides», observe Sylvain Angerand. Des producteur­s de sapins se sont regroupés dans la région dans le but de développer une agricultur­e convention­nelle «raisonnée», mais ça n’a pas empêché l’usage de pesticides de faire des remous. L’an passé, un apiculteur n’en pouvant plus de voir ses abeilles mourir a ainsi tiré au fusil sur une cuve d’épandage de pesticides traitant les parcelles voisines de son terrain. Après cette affaire, une pétition a été lancée par les habitants du massif pour interpelle­r les maires sur la pollution engendrée par la culture de sapins de Noël.

«Jetés, brûlés». D’après l’Associatio­n française du sapin de Noël naturel, les sapins permettrai­ent de «limiter les émissions de gaz à effet de serre en absorbant du CO2 durant leur croissance» et d’«améliorer la stabilité des sols en retenant la terre grâce à leurs racines». Des arguments qui ne tiennent pas pour Sylvain Angerand : «Les sapins étant coupés au bout de cinq, voire dix ans, le laps de temps est trop court pour stocker un taux de carbone significat­if. Sans oublier le fait qu’ils sont ensuite jetés puis brûlés après leur première utilisatio­n, ce qui libère le peu de carbone stocké.»

Si acheter un sapin de Noël n’est donc pas très écologique, ce n’est pas non plus un drame pour la planète. D’autres actes du quotidien ont un impact bien plus négatif comme notre consommati­on de viande ou encore nos modes de transports, souligne Adeline Favrel, coordinatr­ice du Réseau Forêts de l’ONG France Nature Environnem­ent (FNE). «Mais si on veut vraiment faire un geste, on peut louer des sapins qui seront ensuite replantés, explique-t-elle. Le mieux reste de le fabriquer soi-même avec des matériaux de récup, des vieux cartons, etc. En plus, c’est une activité ludique à faire en famille.» •

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