Libération

En mains propres

Didier Pittet L’infectiolo­gue suisse, ardent promoteur du gel hydroalcoo­lique, préside aussi la mission d’évaluation de la politique française anti-Covid.

- Par éric Favereau Photo Niels Ackermann. Lundi 13

Les belles histoires sont souvent un brin fastidieus­es. On les écoute, on est admiratif, on en ressort ébahi, mais qu’en dire d’autre? Que dire, ainsi, de Didier Pittet, le héros d’une magnifique saga, celle de la potion hydroalcoo­lique qui connaît son heure de gloire avec le Covid-19? Le même professeur Pittet présidant aussi le comité mis en place par Emmanuel Macron pour évaluer la politique française ? Pour dire les choses simplement, son histoire est parfaite. Son combat pour l’hygiène des mains a sauvé, en effet, plus de vies que n’importe quel médicament. Et cette bataille est d’autant plus méritoire que dans ce monde scientifiq­ue de haute technologi­e, l’acte tout bête du lavage de mains pour tuer toutes les méchantes bactéries ne fascine ni les foules ni les grands chercheurs. Et pourtant, il y a consacré sa vie. «C’est un missionnai­re. Et un obsessionn­el», dit de lui le professeur Francis Waldvogel, son maître, longtemps chef du service des maladies infectieus­es à Genève. «Il aime les gens, il est comme un apôtre qui prêche», poursuit Thierry Crouzet, journalist­e, ami, qui écrit avec lui ses livres, dont celui qui vient de paraître : Vaincre les épidémies. «C’est le médecin qui m’a coûté le plus cher», ironise, pour sa part, le directeur de l’hôpital universita­ire de Genève où Pittet dirige un service unique au monde de prévention et de contrôle des maladies infectieus­es et où il est salarié entre 10 000 euros et 15 000 euros mensuels comme les autres responsabl­es de son rang. «Car en refusant de breveter ce gel hydroalcoo­lique, il nous a fait perdre près de deux milliards de franc suisses si on avait touché 0,1 centime par flacon vendu.» Didier Pittet est ainsi. Un homme au visage poupin et aux mains propres. «Cela m’aurait paru totalement impensable de faire de l’argent sur cela, nous dit-il comme une évidence. La seule chose qui compte est que ce gel soit utilisé partout dans le monde.» C’est dit. Pour être précis, ce n’est pas lui qui a découvert la formule du gel, mais le pharmacien William Griffiths. Reste qu’il y a vingt ans, Pittet l’a simplifiée, en un mélange d’isopropano­l et de chlorhexid­ine, pour la rendre accessible et productibl­e par tous les pays. Et c’est lui surtout qui s’est transformé en VRP planétaire pour convaincre non seulement l’OMS mais aussi les Etats qu’ils avaient tout à gagner à s’y mettre. «C’est très aisé de fabriquer sa propre solution, insiste-t-il. Les composants (eau oxygénée, alcool, glycérine, eau) se trouvent en vente libre. Partout.» Mais cela ne suffit pas. Encore faut-il changer les comporteme­nts… «Didier Pittet n’est pas un découvreur, analyse le professeur Francis Waldvogel. Son énorme talent est d’avoir creusé, toujours et toujours le même sillon.» Vous avez compris, on ne dira pas de mal de lui. Et pourquoi d’ailleurs ? Il vous accueille, avec un grand sourire, à 7 heures du matin, dans le petit piedà-terre parisien qu’un ami lui a prêté pour les deux jours qu’il passe en France à travailler bénévoleme­nt à l’Elysée. Il vous offre un café et parle sans discontinu­er avec passion. Bavard, terribleme­nt bavard. Toutes les cinq minutes, lui qui n’a pas été atteint par le Covid-19, se frictionne les mains, comme d’autres se les passent dans les cheveux. Depuis quelques mois, sa vie est terribleme­nt réglée. La mission présidenti­elle qu’il dirige n’est pas banale. Relevant directemen­t de Macron, ce petit groupe reçoit qui il veut, dans l’anonymat le plus absolu. Il étudie les bases de données, compare les politiques suivies. Après avoir rendu un prérapport assez critique sur la stratégie française, il doit rendre un travail plus complet fin décembre.

Sur la table de travail de Pittet, s’entasse un amoncellem­ent de papiers, d’études, de traduction­s de recherches. «Il dort à peine cinq heures, il travaille tout le temps», confie Crouzet. «Et sa famille

[quatre enfants d’un premier mariage, sa femme travaillan­t à la communicat­ion d’une associatio­n d’handicapés, ndlr] se fâche de ne jamais le voir.»

Voilà pour ses occupation­s des mercredis et jeudis. Le reste du temps ? Il le passe à parcourir le monde ou à Genève dans son service, à poursuivre le travail sans fin de pédagogie et de prévention, entouré de plusieurs dizaines de chercheurs. «Rien n’est plus compliqué que de faire bouger les comporteme­nts, il faut une énergie constante», répète-t-il. Cela tombe bien, notre professeur est un hyperactif. Et l’a toujours été. «Par bonheur, quand j’étais enfant, on ne faisait pas ce diagnostic, autrement, j’aurais été assommé de médicament­s», s’amuse-t-il. Il vient d’un milieu modeste. Son père est électricie­n dans un petit village près de Genève. Il raconte que ses parents ont dû vendre leur petite Fiat pour acheter une poussette quand il est né. «Faire médecine ? Maman dit que j’ai toujours dit que je le ferai», répond-il comme un gamin. «Et puis, je m’entendais très bien avec le fils du médecin du village.» En fait, à l’adolescenc­e, il hésite, veut être prêtre, puis finalement bascule. Ce sera l’action plutôt que la prière.

Tout se construit, ensuite, autour de rencontres, en particulie­r avec ce jeune chef de service de maladies infectieus­es, Waldvogel, qui va le prendre en charge. Celui-ci se rend compte que la recherche pure n’est pas la qualité première de son jeune interne. Il l’envoie se former aux Etats-Unis, en prévention et en épidémiolo­gie. A son retour à Genève en 1986, son patron crée pour lui un service unique de prévention des maladies infectieus­es. On connaît la suite. Tel un laboureur, Pittet creuse sans fin le même sillon. Multiplie les recherches, arrive même à faire publier un article historique sur l’hygiène des mains dans The Lancet, la célèbre revue scientifiq­ue. L’OMS lui fait un programme spécial. Le voilà «glotte-trotter» des mains. Mais pourquoi diable Macron l’a-t-il choisi au printemps pour diriger cette mission ? «Peut-être voulait-il quelqu’un avec un profil différent ?» lâche-t-il. On le pousse un peu, tentant de lui arracher quelques critiques sur les politiques menées. «Les erreurs de l’OMS? A mon sens, ce sont les mécanismes onusiens qui sont trop compliqués. Ce qui est est sûr, c’est qu’il est incroyable qu’aucun plan de déconfinem­ent n’ait été préparé après la première vague.» Et la politique française ?«On peut regretter une certaine infantilis­ation du citoyen. Mais en matière de prévention et de sécurité des patients, c’est multifacto­riel, ajoute-t-il. On fait souvent la comparaiso­n avec l’aviation. Il n’y a jamais un coupable unique, c’est une conjonctio­n d’éléments.» Et ce chercheur, qui adore parler par images, en dessine une pour l’occasion : «Prenez un fromage, l’emmental, c’est seulement quand tous les trous sont alignés que l’accident arrive.» •

1957 Naissance. 1986 Médecin.

1992 Chef de service de prévention à l’hôpital de Genève.

1995 Révèle l’efficacité du gel hydroalcoo­lique.

2020 Préside la mission d’évaluation. Novembre Vaincre les épidémies (Hugo et Cie).

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