Libération

L’ultime jour du procès Daval

- Par Julie Brafman Envoyée spéciale à Vesoul Photos Raphaël Helle. Signatures

Depuis une semaine, la cour d’assises de la Haute-Saône dissèque la vie intérieure du couple et la personnali­té d’un accusé entre immaturité et désir de plaire. Ce dernier, qui a reconnu avoir tué sa femme, Alexia, encourt

la réclusion criminelle à perpétuité. Verdict ce samedi.

Quand à l’ouverture du procès, ce jeune homme frêle s’est installé derrière la paroi vitrée, quand il a dit «oui» de la voix fluette d’un enfant pris en faute pour reconnaîtr­e le meurtre de sa femme, quand il a promené son regard perdu parmi les visages étrangers cherchant celui de sa maman, on a pensé à ces lignes de Frédéric Pottecher. Le grand chroniqueu­r judiciaire évoquait l’apparition de Raoul Villain, l’assassin de Jaurès, dans le prétoire : «Un pauvre hère, un minus blond au visage pâle […] retranché dans son box comme un employé de banque derrière son guichet.» Et ce frisson d’étonnement parcourant les bancs de la presse : «Dire que c’est ça qui a tué Jaurès.» Bien sûr, nul accusé n’est à la hauteur de l’effroi suscité par son geste, encore moins de la réputation qui le précède dans le box. Pourtant, ici, le contraste est saisissant: Jonathann Daval, jugé pour «meurtre sur conjoint», présenté comme un roi de la duperie après avoir habillé son crime en tenue de jogging et pleuré une disparue qui ne l’était pas, a l’air d’un petit garçon au visage triste. «Dire que c’est ça notre menteur national», pourrait-on paraphrase­r.

L’homme de 36 ans, aux traits tirés et aux cheveux gominés, écoute les témoins qui défilent à la barre de la cour d’assises de la Haute-Saône pour lui lisser le portrait. Son médecin : «Un bon petit gars, équilibré.» Son patron dans une société de maintenanc­e informatiq­ue : «Jamais un mot plus haut qu’un autre.» Sa voisine : «Il était gentil.» Son beau-père qui l’a côtoyé pendant dix ans : «Toujours égal à lui-même.» Un ami proche : «Une personne très discrète.» Seulement voilà, ce type, qui semble presque transparen­t aux yeux du monde, encourt la réclusion criminelle à perpétuité, il doit faire face à une famille trahie et un pays berné. «Je leur ai enlevé leur fille. Je leur ai menti, prononce-t-il d’une voix tremblante, à l’attention des parents d’Alexia Daval. J’ai aussi menti à ma famille, aux gendarmes qui ont dû faire des recherches supplément­aires, à la France. C’est pas pardonnabl­e, mais je voulais quand même le dire.» Blême, il s’effondre, au bord du malaise. Son épouse – conseillèr­e bancaire devenue, un temps, la «joggeuse» dans l’imaginaire collectif– a été retrouvée le 30 octobre 2017 dans une forêt, près de Gray. La suite est bien connue : les larmes de l’accusé à la télévision, l’hommage public, les trois mois de mascarade avant qu’il n’avoue le crime. L’épiphanie judiciaire sera brève puisqu’il va fournir ensuite «septversio­ns», selon la partie civile. «Non, six», rectifie la défense. Sous les lambris joliment éclairés, résonnent en boucle ces «Mille et Une Nuits» de Jonathann Daval, un conte qui semble parfois avoir été écrit pour retarder le couperet final de la sanction. Il y a le chapitre de l’accident, celui du complot de famille, de la dispute conjugale… «Vous êtes désormais l’incarnatio­n des conjoints qui ont commis un féminicide. Il va falloir le porter, monsieur Daval», lance l’avocat général à celui qui semble avoir déjà assez de mal à porter son propre dossier. Son implicatio­n ne fait guère de doute tant les indices matériels sont nombreux. Quant au mode opératoire, il est limpide : Alexia Daval a reçu plusieurs coups au visage avant d’être étranglée. Néanmoins, reste à comprendre «pourquoi».

«Dans sa bulle»

Dans la salle d’audience, une travée sépare deux mondes irréconcil­iables, deux mères qui ne se jettent pas un regard. Celle de Jonathann Daval est une dame blonde au visage rond, en fauteuil roulant, qui veille sans bruit sur son «petit garçon un peu timide qui vivait dans sa bulle» et se trouve désormais dans un box. Martine Cussey s’émeut : «Je l’ai porté, je l’ai mis au monde, c’est ma chair. Je n’accepte pas ce qu’il a fait mais je serai toujours présente quoi qu’il arrive.» Celle d’Alexia Daval est une élégante sexagénair­e, coupe de cheveux soignée, talons qui claquent sur le plancher. Isabelle Fouillot multiplie les interviews sur les marches du palais ; matin, midi et soir, elle tient la chronique de l’audience et réclame «la vérité». Apparaît alors sur les écrans, ceux de la cour d’assises, cette scène dans le cabinet de la juge, en décembre 2018. Très émue, la mère d’Alexia parle doucement à l’accusé, l’amène à abandonner le scénario – digne d’un polar – où il accuse toute sa belle-famille. En larmes, Jonathann Daval tombe à ses pieds : «Je suis désolé, j’ai pas voulu… Je vais tout dire ce qui se passe.» Elle le relève et l’étreint : «Tu vas pouvoir te reconstrui­re maintenant, Jonathann.» Ils pleurent ensemble, enlacés.

Aujourd’hui, à la barre, les époux Fouillot n’ont plus aucune compassion pour ce «gendre idéal» aimé comme un fils, qui les a dupés pendant des mois, trimballan­t «son semblant de souffrance» jusqu’au comptoir de leur bar PMU, jusqu’à leur canapé, jusqu’à leur table pour échafauder, avec eux, des hypothèses sur le crime qu’il venait de commettre. Ils l’ont couvé, consolé, cajolé. Ne voient rien d’autre qu’un redoutable cynisme. Le samedi matin, juste après avoir brûlé le corps de sa femme, Jonathann Daval s’est fabriqué un alibi : il a vidé le seau à compost chez sa mère, bu un café chez ses beaux-parents et envoyé ce SMS à Alexia: «Je vais au verre, vider les cadavres que tu bois. LOL. je t’aime.» «Meilleur acteur, meilleur scénariste. Mais dans tous les films,

il y a le mot “fin”», lâche Jean-Pierre Fouillot. Et d’asséner, comme pour convertir le poids du chagrin en lourdeur de la peine : «J’espère que le maximum te sera octroyé.» Jonathann Daval a les yeux rivés au sol. Il avait 21 ans, Alexia 16, lors de leur rencontre au cours d’un séjour au ski. Quand elle l’a embrassé, Jonathann n’en est pas revenu qu’une si jolie fille s’intéresse à lui. Dernier d’une fratrie de six, il a grandi miné par les problèmes médicaux : asthme, surdité, retard d’élocution… L’enfant chétif est devenu un adolescent moqué par ses camarades parce qu’il portait un corset et bourgeonna­it d’acné.

A 13 ans, juste après la mort de son père, ouvrier, il a commencé à développer de sévères troubles du comporteme­nt, se lavant frénétique­ment les mains, ne supportant pas la saleté, vérifiant la position de chaque meuble. Alexia est son premier amour. Très vite, ils emménagent dans un appartemen­t à Besançon. Elle entre à la fac, il termine son bac pro et décroche un CDI dans l’informatiq­ue en 2006. Ils décident alors de revenir à Gray, chez les Fouillot pendant un an, vivent ensuite dans une maison mitoyenne, avant d’acheter un pavillon. En 2017, ils ont un garage, une piscine et un chat qui s’appelle Happy.

Jurés, magistrats et journalist­es entrent par effraction dans cette vie d’apparence ordinaire, ils se faufilent dans la chambre à coucher, ouvrent les tiroirs à sex-toys et les placards à pharmacie. Les secrets – qu’ils soient médicaux ou sentimenta­ux– ne résistent pas aux assises. Tout est exposé à ciel

Le psychologu­e avait prévenu : Daval «s’adapte à ce que les gens veulent entendre»,

il n’«existe que dans le miroir du regard des autres».

ouvert: l’impuissanc­e de Jonathann, le désir d’enfant d’Alexia, sa fausse couche, son traitement hormonal. On connaît la date de leur dernier rapport sexuel, la marque de son ovule gynécologi­que, le contenu de ses SMS comme de son «bol gastrique». On sait ce qu’elle a confié à sa neurologue et ce qu’il a dit à son généralist­e. On a lu leurs lettres d’amour. On a exploré leurs rendez-vous manqués et leurs envies désaccordé­es. Parfois, on aurait aimé être ailleurs, échapper à la tristesse de cette dissection, au délitement d’un couple narré par bribes. La soeur d’Alexia raconte : «Quand elle est allée faire sa grosse opération [pour avoir un enfant, ndlr], elle était seule. Le soir elle rentrait, se faisait à manger, regardait la télé, seule. Elle a signé pour leur maison, seule.» Elle dépeint une femme pleine d’entrain et de projets, mariée à une chiffe molle, incapable de prendre la moindre décision. «Une force d’inertie souriante», cingle Me Cathy Richard, avocate de la partie civile.

«Un obsessionn­el»

Finalement, toute l’affaire se cristallis­e autour du dilemme «davalien»: être ou avoir un enfant. «Tu ne veux pas d’enfant parce que l’enfant, c’est toi !» pointe Isabelle Fouillot. «Une personnali­té immature, mal construite, en faux-self», renchérit le psychologu­e. Jonathann Daval mentait à son patron et à son épouse, il allait en cachette, deux fois par jour, chez sa mère où il mangeait et faisait du sport. Puis il rentrait chez lui suffisamme­nt tard pour éviter Alexia. Il grappillai­t aussi un peu d’amour de l’autre côté de la travée, chez Isabelle Fouillot qu’il appelait «maman». Au quatrième jour de son procès, quand on lui donne enfin la parole, l’accusé prononce d’une voix chevrotant­e : «J’avais envie d’un enfant, je le voulais, mais avec le problème d’érection, c’était compliqué.» Enfin narrateur de sa propre déroute conjugale, il évoque des «crises» de son épouse provoquées par le traitement hormonal, des violences verbales et «des reproches», qu’il synthétise avec cette même phrase : «Tu n’es pas un homme.» Il ne «répondait pas, prenait tout sur [lui], fuyait», dit-il. «Un obsessionn­el ne peut pas distiller son agressivit­é, décrypte le psychiatre Jean Canterino, se souvenant de ce détenu bourré de tocs qui vérifiait vingt fois si la porte de la prison était fermée. Il refoule tout. Il accumule et un jour ça déborde.»

Ce 28 octobre 2017, Alexia et Jonathann rentrent d’une raclette chez les Fouillot. Il est tard. «Elle me propose une relation, je m’y oppose. Elle me fait des reproches comme quoi je ne la désire plus», poursuit l’accusé. «Comme d’habitude», il choisit l’esquive et attrape ses clés de voiture. Mais Alexia l’en empêche. S’ensuit une lutte dans la cage d’escalier. «Quand elle m’a mordu, j’étais hors de moi, j’étais en rage. J’ai pété un câble.» Celui qui ne s’est jamais battu de sa vie la frappe violemment au visage. C’est la «colère de toutes ces années qui est ressortie», explique-t-il, d’un ton scolaire. «Je l’ai saisie par le cou, j’ai serré.» La victime s’effondre. Paniqué, Jonathann Daval met le corps dans le coffre de sa fourgonnet­te, il se lève plusieurs fois dans la nuit pour voir si c’est «réel». «Le lendemain, à 9 heures, j’ai pris la décision de me débarrasse­r du corps en maquillant ça pour une sortie en jogging», dit-il simplement. Il traîne le cadavre dans la forêt, allume le feu et tourne les talons. Pourquoi n’a-t-il pas prévenu les gendarmes ? Ça doit être une «sorte de déni», «comme si c’était une autre personne», analyse-t-il.

«c’est une dispute»

Les gestes correspond­ent aux constatati­ons légales, mais les phrases, très courtes, sonnent creux. «C’est la mort que vous vouliez ?» interroge le président. «Je lui ai donné la mort, oui.» «C’est particuliè­rement violent et sordide», poursuit le magistrat au sujet du transport du corps. «Oui, c’est dégueulass­e.

— La thèse du complot, ça a eu des conséquenc­es terribles ?

— Oui, ça a détruit des vies, encore une nuit d’horreur.»

Le psychologu­e avait prévenu : Jonathann Daval «s’adapte à ce que les gens veulent entendre», il n’«existe que dans le miroir du regard des autres». Avec autant de zèle que lorsqu’il débarrassa­it la table chez ses beaux-parents, il sert à présent la cour. On veut des aveux, les voici. On veut des «pourquoi», c’est fait. Mais il ne parvient pas à les habiller de détails, de souvenirs ou d’émotion.

L’accusation peine à croire qu’Alexia Daval se soit couchée en short de sport, ait pris un somnifère, puis demandé un rapport intime. Elle s’imagine une autre histoire, plus classique, plus symbolique: celle d’une femme qui voulait quitter son mari. «Ce n’est pas ça», martèle l’accusé. Me Gilles-Jean Portejoie, partie civile, s’énerve : «Essayez de vous lâcher un peu, on voit que vous êtes bloqué. Il faut des certitudes.» Silence. Isabelle Fouillot, qui en fait la demande, lui succède avec un mélange de douceur et de théâtralit­é : «S’il te plaît, c’est la dernière fois qu’on se parle tous les deux, j’ai besoin de savoir la vérité…» Harassé, les yeux rougis, Jonathann Daval répond : «C’est une dispute, Isabelle, il faut le croire, une dispute.» La vérité de l’accusé n’arrive pas à se frayer un chemin dans les esprits, elle semble à jamais écrasée par une cascade de mensonges. On repense à ces mots éclairants du psychiatre: «Jonathann Daval n’est pas un manipulate­ur. Il a essayé de refouler ce qui s’est passé. Un obsessionn­el est toujours en train de faire le ménage. Au propre comme au figuré.» «Le fait de tuer quelqu’un et de vouloir encore plaire aux autres», répète l’accusé de sa voix juvénile. Sa maman pense qu’il a inventé «ce gros mensonge» après le crime pour ne pas lui faire du mal. Le verdict sera rendu ce samedi. •

 ??  ?? Lors de l’ouverture du procès à Vesoul (Haute-Saône), lundi. A gauche, les pièces à conviction. A droite, l’avocat de Jonathann Daval, Randall Schwerdorf­fer.
Lors de l’ouverture du procès à Vesoul (Haute-Saône), lundi. A gauche, les pièces à conviction. A droite, l’avocat de Jonathann Daval, Randall Schwerdorf­fer.
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