Jean-Michel Blanquer, le bon élève de la macronie
Jamais candidat, jamais élu, le ministre de l’Education, haut fonctionnaire de droite qui aligne les réformes depuis son arrivée Rue de Grenelle, envisage de se lancer dans la bataille des régionales en Ile-de-France.
Raide et obstiné, il incarne, mieux que tout autre, le nouveau visage d’une majorité présidentielle et d’un gouvernement qui font de la défense de la République et de ses «valeurs» leur priorité absolue. Homme de droite et haut fonctionnaire inconnu du grand public, on a découvert JeanBlanquer au début du quinquennat en réformateur sans états d’âme, bousculant au pas de charge «le mammouth», sur les traces de son lointain prédécesseur Claude Allègre. Trois ans plus tard, il est devenu le héraut d’une laïcité «émancipatrice», le champion de la bataille contre un «islamo-gauchisme» qu’il traque jusque dans les salles de prof et les universités.
Ratisser large.
Il représente si bien le nouveau visage de la macronie qu’après avoir sérieusement envisagé d’en faire son ministre de l’Intérieur avant de céder au forcing de Gérald Darmanin, le chef de l’Etat l’a convaincu cet été de se lancer dans la bataille des régionales. Il pourrait affronter, en Ile-de-France, la présidente ex-LR sortante Valérie Pécresse. On voit mal comment une telle candidature pourrait espérer recueillir les suffrages de l’électorat de centre gauche, ceux qui ont fait la victoire de Macron en 2017. On voit très bien, en revanche, comment elle peut prétendre ratisser large à droite. Les premiers sondages indiquent que cela sera loin d’être une évidence: mi-octobre, une enquête Ifop n’attribuait à Blanquer que 15% des intentions de vote, très loin derrière les 32 % de Pécresse.
Jamais candidat, jamais élu, Blanquer n’a pas caché qu’il était tenté par l’aventure. Pour s’y préparer, il a entrepris d’approfondir ses pensées républicaines et de les faire connaître dans un livre qu’il devrait publier chez Gallimard. Il s’est également lancé dans la consMichel truction d’un think tank, «le Lab républicain», qui prétend réunir des intellectuels et militants de la laïcité, pas nécessairement de droite. Il devrait pouvoir compter, dans cette entreprise, avec les soutiens des marcheurs vallsistes comme les députés de Paris AnneChristine Lang et de l’Essonne Francis Chouat. Dans l’entourage de Blanquer, on précise qu’avec les événements de cet automne –crise sanitaire et assassinat de Samuel Paty–, les projets du ministre ont «pris du retard». Tout comme l’échéance des régionales : reportées d’au moins quatre mois, les élections ne devraient pas se tenir avant juin.
Controverse.
Au fil des mois, Blanquer est peu à peu sorti du relatif isolement dans lequel il se trouvait au début du quinquennat. Si sa grande réforme inaugurale –le dédoublement des classes de CP et de CE1 – a été unanimement saluée, certaines de ses positions franchement droitières ont été accueillies avec méfiance dans la majorité. Il y eut d’abord ses critiques des «pédagogistes» et des «égalitaristes» qui auraient fait des ravages sous l’autorité de ses prédécesseurs. Il y eut surtout les controverses sur sa conception très stricte de la laïcité. Bien que désavoué sur ce point par Macron, Blanquer n’a jamais caché qu’il souhaitait étendre l’interdiction du port du voile islamique aux accompagnatrices bénévoles de sorties scolaires.
L’an dernier encore, cette question était au coeur d’une vive polémique chez les marcheurs: réagissant à une déclaration de Blanquer selon qui le voile n’était «pas souhaitable dans notre société», le député Aurélien Taché, alors encore membre du groupe LREM, avait estimé que le Rassemblement national ne manquerait pas de «récupérer» de tels propos. Furieux, le ministre avait exigé des sanctions. Le mouvement macroniste avait dû saisir une «cellule médiation». Estimant qu’on l’avait mal compris, Taché avait fini par présenter ses excuses. Il a, depuis, quitté le parti majoritaire, entraînant avec lui beaucoup de ceux qui partagent ses positions.
Au sein de la majorité, Blanquer a de bonnes raisons de penser qu’il a gagné sa «bataille culturelle». «Nous nous appelons La République en marche, pas le communautarisme en vadrouille !» a-t-il lancé en juin dans le huis clos d’un bureau du parti majoritaire. C’est aussi la conviction de la député LREM Aurore Bergé, ex-militante LR qui a vu près d’une quarantaine de parlementaires rejoindre le groupe des «blanqueristes» qu’elle anime. Sur la messagerie Telegram, ils échangent sur une boucle baptisée «Fan-Club JMB».
Comme le ministre, ils se sont sentis soutenus par les arbitrages de Macron dans le projet de loi «confortant les principes républicains». Depuis le début du quinquennat, Blanquer n’a cessé d’alerter sur les atteintes à la laïcité dans les établissements scolaires, dénonçant aussi bien l’«islamo-gauchisme» qui «fait des ravages» à l’université que ceux qui préféreraient ne rien voir au nom du «politiquement correct» et ainsi ne pas passer pour «islamophobes». Deux semaines après le discours du chef de l’Etat sur le séparatisme, l’assassinat d’un professeur accusé d’avoir montré une caricature a tragiquement, mais sans doute provisoirement, calmé les débats sur ces questions au sein de la majorité.
Le royaume comptait sur 2020 pour redorer son blason sur la scène internationale, notamment en accueillant le G20 de ce week-end. Mais le Covid a eu raison de cette ambition : après l’annulation symbolique du pèlerinage à La Mecque, le prince doit se contenter d’un sommet en visio.
Un nouveau billet de 20 riyals (4,6 euros) vient d’être mis en circulation en Arabie Saoudite à l’occasion du sommet des 20 pays les plus riches de la planète, qui se tient ce week-end pour la première fois sous présidence saoudienne. Sur une face: le logo du G20 à côté du portrait du roi Salmane. Sur l’autre: un planisphère. Les Saoudiens se consoleront ainsi de tenir le monde entre leurs mains à défaut «d’accueillir fièrement» ses puissants dirigeants sous leurs cieux, selon les termes affichés sur le site internet de l’événement. Car comme toutes les autres grandes réunions internationales de 2020, le sommet du G20 se déroule en visioconférence, en raison de la pandémie. La décision a été confirmée fin septembre, brisant le dernier, quoique faible, espoir d’organiser les fastueuses réceptions et festivités royales prévues pour l’occasion. Il n’y aura donc pas de traditionnelle photo de famille des chefs d’Etat réunis autour du roi d’Arabie à Riyad.
Reste celle du précédent sommet d’Osaka en 2019, sur laquelle ressort l’imposante stature de Mohammed ben Salmane (MBS) se tenant à la droite du Premier ministre japonais et au côté du président américain. Le prince héritier saoudien, qui prenait alors la présidence du G20, nourrissait d’immenses ambitions pour l’année 2020 afin de réhabiliter son image et celle de son royaume, toujours marquée par l’assassinat du journaliste Jamal Khashoggi, la guerre du Yémen et autres coups de force. Mais ses attentes ont été terrassées par l’annus horribilis qui a eu raison de bien plus puissants que lui.
«Bonne opportunité»
Première conséquence dévastatrice de la crise sanitaire pour l’économie saoudienne: l’effondrement de la consommation et des prix du pétrole s’est traduit par une perte de 27,5 milliards de dollars (23,18 milliards d’euros) pour le premier exportateur mondial, dont les ressources reposent à 90 % sur l’or noir. Le PIB a plongé de 7% au cours du deuxième trimestre 2020, après une guerre des prix engagée en avril avec la Russie, avant qu’une nouvelle entente ne soit trouvée. En outre, la décision hardie d’annuler le pèlerinage annuel à La Mecque pour empêcher la propagation du virus a privé le royaume d’une autre source de revenus importante. Pour compenser les déficits, le gouvernement a pris des mesures très impopulaires, comme le triplement de la TVA, la réduction des allocations aux ménages les plus modestes et aux fonctionnaires. Mais «une austérité bien plus grave a été épargnée au royaume grâce aux réformes entreprises ces dernières années pour la diversification de l’économie», s’est vanté Mohammed ben Salmane dans un long communiqué diffusé par l’agence d’information officielle le 12 novembre. Le message est destiné à l’opinion saoudienne par un prince héritier qui continue de vouloir faire bonne figure dans la contrariété.
«Il est vrai que la gestion de l’épidémie par les autorités saoudiennes a été bien perçue politiquement en interne, observe Stéphane Lacroix, professeur à Sciences-Po et spécialiste du Moyen-Orient. En prenant rapidement des mesures nombreuses et fortes, le jeune exécutif autour de MBS a fait preuve d’une réactivité et d’une efficacité surprenantes pour une population longtemps habituée à la lourdeur et l’immobilisme de la vieille garde. Le coronavirus aura finalement été une bonne opportunité pour le prince d’apparaître comme le responsable qui sait gérer et protéger sa population.»
Au moment où le monde entier peinait face à la pandémie, les Saoudiens se sont sentis mieux lotis que d’autres, y compris les pays des plus développés du G20. Il est vrai qu’avec une contraction de son PIB de moins de 4% pour 2020, selon les prévisions du ministère français des Finances, l’Arabie Saoudite est loin d’être l’économie la plus gravement affectée par la crise sanitaire. Mais si la pandémie s’est imposée comme la première urgence pour Riyad en 2020, elle est venue s’ajouter à d’autres crises majeures qui se prolongent.
La désastreuse guerre au Yémen dans laquelle le royaume reste englué se poursuit crescendo. Le territoire saoudien continue d’être attaqué par des armes de plus en plus sophistiquées lancées par les rebelles houthis. La tension avec l’Iran ne faiblit pas. La pression internationale sur les violations des droits de l’homme par le royaume s’est accrue à la veille du sommet du G20. Ainsi, Human Rights Watch a lancé le 9 novembre sa campagne #G20SaudiArabia, «exhortant les dirigeants du G20 à tenir leurs hôtes saoudiens responsables de leurs violations des droits humains». Ils «devraient appeler à la libération des activistes et dissidents détenus», réclame notamment l’ONG. «La question des droits de l’homme n’est pour les Saoudiens qu’un problème de plus à gérer, au même titre que la
guerre au Yémen», selon Emile Hokayem, de l’International Institute for Strategic Studies (IISS) à Londres.
Handicap médiatique
En revanche, le changement de président aux Etats-Unis pose un nouveau problème aux dirigeants saoudiens qui vivent depuis quatre ans une simili-histoire d’amour avec Donald Trump. Et même si le roi Salmane n’a pas mis plus de vingt-quatre heures à féliciter Joe Biden après la confirmation de son élection, l’Arabie Saoudite ne peut être rassurée par le nouveau locataire de la Maison Blanche, qui l’avait qualifié d’«Etat paria» pendant sa campagne. «Biden paraît en effet être un partenaire sceptique. Mais son administration pourraitelle aller jusqu’à punir Riyad pour ses relations mielleuses avec Trump ?» s’interroge Emile Hokayem. Le spécialiste rappelle que «la relation avec les Etats-Unis reste un axe prioritaire pour l’Arabie Saoudite sur tous les plans, économique, sécuritaire et politique. Même si le royaume a diversifié ses partenariats à l’international en établissant des relations privilégiées avec tous les grands du monde: la Russie, la Chine et l’Inde».
Projeter l’image d’un royaume dynamique dirigé par un jeune prince modernisateur et réformateur est essentiel pour l’Arabie Saoudite, qui veut marquer sa place parmi les 20 puissances économiques mondiales. Mais compenser le handicap médiatique d’un sommet du G20 en «distanciel» sera compliqué malgré les efforts déployés et les investissements dans une communication adaptée au numérique.
Même les talents de la société Richard Attias et associés, organisatrice des grands événements dans les pays du Golfe ces dernières années, ne suffisent pas. L’agence internationale de conseil en communication ne peut afficher sur son site d’image plus récente que celle des ministres de l’Economie et des directeurs de banques centrales du G20, dernière réunion tenue en «présentiel» fin février à Riyad. Des partenariats médias conclus avec l’agence Associated Press pour des interviews de responsables saoudiens ou le quotidien britannique Financial Times, qui présente une «série du sommet digital global» avec des briefings en ligne et en direct sur le G20, ne font pas recette. Mais une promotion du G20 circule dans les cercles diplomatiques restreints, telle la série d’interviews «exclusives» avec les ambassadeurs publiée cette semaine par le nouveau site saoudien Arab News en français, à l’audience confidentielle. «L’Arabie Saoudite a prouvé qu’elle était championne du multilatéralisme en utilisant le forum du G20 pour s’attaquer aux enjeux critiques du monde, et qui sont devenues de la plus haute importance à la suite des difficultés causées par le Covid-19», lit-on dans l’entretien avec Patrick Simonnet, l’ambassadeur de l’Union européenne au royaume.
«Le bateau coule»
La propension des officiels saoudiens à ignorer les difficultés et mettre en avant leurs réussites n’est pas nouvelle. Mais «MBS s’inscrit bien dans le jeu des nouveaux autoritaires, avec des réalités alternatives», note Stéphane Lacroix. Car si l’image du jeune prince aux immenses ambitions réformatrices pour son royaume correspond à celle qu’il projette chez lui et dans le monde, la concrétisation de ses entreprises et de ses projets soulève bien des doutes.
«Le temps presse, les réserves fondent et les investissements dans les réformes ont pris encore du retard avec la pandémie», affirme le professeur de Sciences-Po. Et de conclure : «Si l’on regarde les données brutes, le bateau coule et MBS apparaît comme le capitaine du Titanic qui dirige l’orchestre sur le pont.» •