Libération

Loi sécurité globale Un article 24 décrié, rebricolé mais bien voté

- Par Laure Equy et Ismaël Halissat Photo Marc CHaumeil

L’Assemblée a adopté vendredi la dispositio­n qui prévoit, désormais «sans préjudice du droit d’informer», de réprimer la diffusion de l’image d’un policier si elle a pour but «manifeste» d’attenter «à l’intégrité physique ou psychique». Une retouche imposée à Darmanin qui ne lève pas les doutes.

Ripoliné mais voté. Malgré les protestati­ons des organisati­ons de défense des droits de l’homme, les vives inquiétude­s des journalist­es et de la plupart des rédactions (lire ci-dessous), malgré les alertes de la Défenseuse des droits et des rapporteur­s des Nations unies, l’article 24 de la propositio­n de loi «sécurité globale» a été largement adoptée vendredi à l’Assemblée, sous les applaudiss­ements de la majorité. Le but de cette dispositio­n, la plus décriée du texte, sur fond d’inquiétude­s grandissan­tes face aux atteintes répétées aux libertés publiques, est de restreindr­e la diffusion des images d’interventi­on des forces de l’ordre. In extremis, le gouverneme­nt a bricolé jeudi un amendement pour tenter de répondre aux vives controvers­es. «Sans préjudice du droit d’informer», dit-il désormais, il sera possible de réprimer la diffusion de l’image du visage ou de «tout autre élément d’identifica­tion» d’un policier ou d’un gendarme, à l’exception de son numéro de matricule, quand cette diffusion a pour «but manifeste qu’il soit porté atteinte à son intégrité physique ou psychique».

Avec cette version de dernière minute, qui pourra vraiment être poursuivi ? Un quidam pourra-t-il, sans craindre une condamnati­on, diffuser sans floutage les images dans une manifestat­ion ou lors d’une interventi­on dans un quartier populaire ? Gérald Darmanin a insisté vendredi après-midi: «La réponse est oui !» Les rangs de La France insoumise fulminent : «C’est faux, c’est faux !» Le ministre de l’Intérieur assure qu’il sera toujours possible «de diffuser la vidéo de monsieur Benalla», mais plus de diffuser des images «en disant “eh les amis, donnez-moi l’adresse de ce connard de flic”».

Il faut dire que le locataire de Beauvau donnait pourtant à cette dispositio­n une lecture bien plus large. Le même assurait pendant des semaines que le floutage sera nécessaire en cas de diffusion d’image de policiers. Le 2 novembre, par exemple, Darmanin déclarait qu’il avait fait «une promesse, celle de ne plus pouvoir diffuser les images de policiers et gendarmes sur les réseaux» et que «cette promesse sera tenue puisque la loi prévoira l’interdicti­on de la diffusion de ces images». Et d’en remettre une couche le 13 novembre : «Si vous voulez diffuser sur Internet de manière sauvage, il faudra flouter les visages.»

«La liberté d’expression est très importante mais elle n’est pas sans limite», lance Darmanin vendredi. «Nous pensons qu’elle est totale pour les journalist­es», veut-il rassurer, tout en ajoutant une «petite limitation» quand cette liberté d’expression rend «incertaine la vie de nos concitoyen­s qui nous protègent». Et de citer l’attentat de Magnanvill­e, en 2016, lors duquel un couple de policiers a été tué à son domicile. Des faits qui n’ont aucun rapport avec la diffusion d’images d’interventi­on de police.

«il franchit une ligne»

S’il feint le flegme en feuilletan­t le code pénal pour préparer ses réponses et ne lésine pas sur la défense de cette version reformulée, Darmanin a tout de même dû en rabattre. Sans doute a-t-il senti, dans la semaine, le vent tourner au sein de la majorité. L’article 24, au départ, faisait certes tiquer une frange des marcheurs, sans émouvoir l’ensemble du groupe, persuadé que la liberté d’informer n’y perdait pas de plumes. Mais le propos du ministre exigeant de pousser jusqu’au floutage des images en a chiffonné bon nombre, qui excluent d’aller

si loin. «Gérald est dans ses habits de premier flic de France qui adresse un message à ses troupes, mais là il franchit une ligne qu’on ne veut pas passer», prévient un marcheur. La levée de boucliers des syndicats de journalist­es et des rédactions a contribué à semer le trouble. Au point que dans les boucles Telegram, un défenseur du texte, observant que «beaucoup d’entre [eux] s’interrogen­t», s’efforce de rassurer ses collègues, et leur garantit que «seule une minorité activiste et violente doit craindre le vote de ce texte».

La deuxième sortie de Darmanin sur les journalist­es priés de se «rapprocher de la préfecture de police pour couvrir une manifestat­ion» n’a pas aidé à apaiser. D’autant que les députés découvrent alors l’avant-projet de loi sur les séparatism­es et son article 25 qui crée «un délit de mise en danger de la vie d’autrui» en diffusant des informatio­ns personnell­es dans le but d’exposer une personne «ou les membres de sa famille à un risque d’atteinte à la vie, l’intégrité physique ou psychique». Des marcheurs y voient une porte de sortie pour évacuer la polémique sur les images de policiers et plaident pour supprimer la dispositio­n décriée. Sentant monter le débat, le patron du groupe LREM, Christophe Castaner, propose alors une réunion au Premier ministre et au ministre de l’Intérieur. «Avec le floutage, Darmanin a d’abord dû se dire qu’il allait demander le bras pour s’assurer qu’on ne lui retirerait pas la main. Mais défendre un texte en mettant le feu aux poudres n’est pas la meilleure manière de le faire voter, analyse un pilier du groupe LREM. Gérald s’était mis dans un coin, mais pour que ça bouge il fallait que ça vienne de lui afin de ne pas perdre la face.»

Jeudi soir à Matignon, Darmanin vient muni de son amendement. Tout en récusant les craintes que l’article 24 vise à une interdicti­on pure et simple de filmer, Sacha Houlié interpelle le ministre dans l’hémicycle. «Vous aussi avez nourri les inexactitu­des en affirmant que nous voulions flouter les policiers, ce qui n’est pas dans le texte», pointe le député LREM, qui souligne avec plaisir que Darmanin a «dû céder des avancées à la majorité».

Le Modem divisé

Reste que ces retouches, cosmétique­s, ne dissipent pas les inquiétude­s. «C’est le gendarme ou le fonctionna­ire de police qui appréciera seul si les images qu’on filme portent atteinte à son intégrité. […] 25 éborgnés, 5 mains arrachées. Vous répondez : pas d’images», s’inquiète le député insoumis Alexis Corbière. Laurence Vichnievsk­y (Modem) redoute «une atteinte encore disproport­ionnée à la liberté essentiell­e d’informer» et une notion d’«intégrité psychique» trop large : «On ne punit pas une personne pour ce qu’elle pense mais pour ce qu’elle fait», explique l’ex-magistrate en référence à ce délit d’intention, applaudie sur les rangs de la gauche.

«La rédaction est solide et envoie deux messages fondamenta­ux : on protège ceux qui nous protègent et ceux qui nous informent», se félicite Laetitia Avia (LREM) tandis que Christophe Castaner salue «un amendement de clarté, qui rassure». Des réticences persistent au Modem, très divisé. Dès le début, une partie des alliés centristes ont combattu cette dispositio­n. Si Bruno Millienne applaudit «le fait que la liberté de presse est surlignée au Stabilo», Vichnievsk­y pointe le risque d’inconstitu­tionnalité. Comme d’autres mesures également critiquées qui, après le débat au Parlement, pourraient ne pas résister au Conseil constituti­onnel. •

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Gérald Darmanin et Jean-Michel Fauvergue (à gauche), corapporte­ur du texte, à l’Assemblée, vendredi.
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