Libération

Castex enfin dans son rôle ?

- Par Lilian Alemagna

S’éviter une «quatrième crise». Politique celle-ci. Sur les fronts sanitaire, économique et social, le Premier ministre aurait aimé s’épargner, dans la période, de devoir jouer les gardes-chiourmes d’une majorité en déliquesce­nce. Qui plus est sur une propositio­n de loi venant… de son propre camp. Le genre de texte parlementa­ire à la fois prévisible et, normalemen­t, sans aucun risque. Mais non.

Face au danger d’offrir à nouveau, vendredi dans l’hémicycle, le triste spectacle d’un groupe LREM divisé, d’un principal allié (le Modem) qui vote contre et d’une droite volant au secours de leur meilleur ennemi (Gérald Darmanin) pour faire passer une vieille revendicat­ion des syndicats de policiers, Jean Castex a finalement profité du moment pour (enfin ?) enfiler son costume de chef du gouverneme­nt et de la majorité. «Le rôle du Premier ministre est de recentrer les choses quand il faut le faire», répond-on pudiquemen­t à Matignon. Darmanin n’aurait donc été que «dans son rôle» de premier flic de France en poussant, sur le «floutage» des forces de l’ordre, le curseur plus loin que ce qui est écrit dans l’article 24 de ce texte sur la «sécurité globale». Et Castex aurait été tout autant «dans son rôle» en priant son remuant et ambitieux ministre de l’Intérieur de venir jeudi soir dans son bureau avec un «amendement» précisant que la liberté d’informer ne saurait être remise en cause et qu’il faut vouloir «manifestem­ent […] porter atteinte à [l’]intégrité physique ou psychique» d’un policier ou d’un gendarme filmé pour que le floutage de son visage soit imposé.

Peut-être… Mais ce serait oublier que Darmanin a pris, depuis plusieurs mois, ses aises à Beauvau, citadelle politique qu’il a obtenue comme il le voulait lors du dernier remaniemen­t. Un portefeuil­le que l’ancien porte-parole de Nicolas Sarkozy, lui-même locataire emblématiq­ue des lieux, avait coché (comme le Budget) dans son plan de carrière politique. La séquence «ensauvagem­ent» de l’été a, certes, été bénéfique pour lui en termes de popularité, mais elle a laissé des traces à Matignon. Castex n’a pas du tout apprécié d’avoir un ministre qui, micro tendu, maintienne sa formule alors qu’il venait de siffler la fin de la partie. Il n’a pas apprécié non plus de voir, en octobre, l’ancien protégé de Xavier Bertrand communique­r bien plus sur les saisies de drogues et la sécurité routière que sur le nécessaire respect de ce nouveau confinemen­t et les contrôles – quand lui multipliai­t les visites dans les services de réanimatio­n, en combinaiso­n intégrale et masques FFP2 sur le nez, pour bien faire comprendre aux Français qu’il fallait rester chez soi pour stopper l’épidémie.

Comme avec Bruno Le Maire sur la fermeture des commerces, cette séquence aura permis à Castex de démontrer qu’il avait tout de même de l’autorité sur des ministres au fort poids politique. Son entourage s’en félicite : «A la fin, c’est lui qui tranche et on n’a pas entendu de ministre contester les décisions prises.» Pas encore ? •

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