Libération

«Buzzfeed» gobe le «HuffPost»

- Adrien Franque

Les médias en ligne américains qui moissonnai­ent tous les clics disponible­s sur Internet au tournant des années 2010 sont désormais dans le dur. Alors, pour affronter les années 2020, ils se regroupent. Jeudi, Buzzfeed a ainsi annoncé l’acquisitio­n du Huffington Post, détenu depuis cinq ans par le géant américain des télécommun­ications Verizon. Une manoeuvre de consolidat­ion pour ces sites gratuits construits sur la publicité, qui ont souffert de l’écrasante concurrenc­e de Google et Facebook. L’acquisitio­n fait en réalité partie d’un accord plus large, dont le montant n’a pas été dévoilé, entre Buzzfeed et Verizon. L’opérateur prendra une participat­ion minoritair­e dans le site d’infotainme­nt, qui pourra profiter des capacités commercial­es et publicitai­res de Verizon. Au-delà de leurs tendances au «clickbait» (ou «piège à clics»), les deux médias partagent des similarité­s. Créateur de Buzzfeed en 2006, son PDG, Jonah Peretti, était même à l’origine du lancement du HuffPost un an auparavant, avec Arianna Huffington et Kenneth Lerer. «Pendant des années, j’ai passé mes journées sur le projet du HuffPost, comment le développer et en faire un média leader sur Internet, a commenté Peretti auprès du Wall Street Journal. J’ai donc un profond attachemen­t à cette marque à cause de notre histoire. Mais ce rachat n’est pas une question de nostalgie, c’est un projet pour le futur, un projet de marque et d’audience.»

S’ils se retrouvent sous la même bannière, pas question de fusionner leurs identités, affirme Peretti dans un communiqué : «Nous voulons que le HuffPost fasse plus de HuffPost et Buzzfeed, plus de Buzzfeed. Leurs audiences ne se superposen­t pas tant que ça.» Un nouveau rédacteur en chef devrait par ailleurs être nommé à la tête du HuffPost, qui n’en avait plus depuis mars.

Après avoir entamé les années 2010 en pleine bourre, à coups, respective­ment, de quiz type «Quel personnage de Friends êtes-vous ?» et de billets d’opinion incendiair­es, Buzzfeed et le HuffPost ont développé des pôles de journalist­es à l’expertise reconnue et ouvert des déclinaiso­ns à l’étranger. Notamment en France : en 2012, le Huffington Post se lance avec le soutien du groupe Le Monde et des Nouvelles Editions indépendan­tes. Aujourd’hui, le site Huffington­post.fr cumule 35,6 millions de visites par mois, selon les chiffres de l’Alliance pour les chiffres de la presse et des médias (ACPM), ce qui en fait le 26e site français d’informatio­n le plus consulté. Buzzfeed, de son côté, a ouvert en 2015 sa filiale française, avant de la fermer avec fracas trois ans plus tard, limogeant 14 salariés.

La fin des années 2010 a fait des ravages chez ces médias soumis aux algorithme­s de Google et Facebook, qui captent dans le même temps les deux tiers des revenus de la publicité de la ligne. Le mastodonte Buzzfeed semble désormais vivre au rythme de ses vagues de licencieme­nts (100 employés en 2017, 200 en 2019). En 2020, des baisses de salaires ont d’abord été décrétées pour amortir l’impact du Covid-19, avant de finalement procéder en mai à une cinquantai­ne de licencieme­nts et de décider la fermeture de Buzzfeed News en Australie et au RoyaumeUni. D’ampleur plus modeste, le HuffPost a connu 39 licencieme­nts en 2017, et une quinzaine en 2019.

L’an dernier a vu le début des rapprochem­ents des grandes marques avec les «nouveaux» médias américains. En février 2019 a d’abord été annoncée l’acquisitio­n du site féminin Refinery29 par Vice, pour un montant évalué à 400 millions de dollars (337 millions d’euros) par le New York Times. Puis Vox Media a racheté en septembre le prestigieu­x New York Magazine et ses sites très identifiés (The Cut, Vulture…). Et en octobre, Group Nine Media s’offrait le site lifestyle PopSugar pour l’ajouter à ses médias viraux NowThis et The Dodo.

Cette consolidat­ion ne devrait pas s’arrêter là. Dans un entretien avec le Times, jeudi, Jonah Peretti n’a pas exclu la possibilit­é d’autres rapprochem­ents : «Nous allons continuer d’étudier les opportunit­és, mais je n’ai pas l’intention non plus de me presser.»

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