La potion magique est sur le feu
Mais ce n’est pas tout d’avoir un vaccin, encore faut-il le cuire à point.
Si j’ai bien compris, la fièvre monte sur le front de la recherche anti-Covid-19. Une saine épidémie de vaccins a l’air de se mettre en route. A ce rythme, ce sera bientôt à nous de faire la fine bouche. Est-il est végan, votre vaccin ? Garanti sans gluten ? Est-ce qu’il est local ? Peut-on le prendre par voie orale avec un goût vanille pour les enfants ? Peut-on l’avoir plutôt en bleu ou en jaune ? Est-il moins cher ou au contraire plus pour les personnes à risque (ou gratuit pour tout le monde)? Avez-vous pensé aux pauvres? Car il semble qu’aucun vaccin contre la pauvreté n’ait encore été testé, manifestement on n’a pas dégagé des investissements de même envergure pour sa mise au point. Et ce serait trop injuste que les pays riches raflent toutes les doses et qu’il ne reste rien pour les pays pauvres. Mais qu’eux-mêmes aient la priorité, les pays riches au fond paraissent assez d’accord, comme ça les pays pauvres se frotteront les mains d’avoir à bas prix le vaccin rentabilisé –plus tard, le moment venu. Et puis, est-il vraiment sûr, ce vaccin quel qu’il soit, et y en aura-t-il assez pour tout le monde (paradoxalement, ces deux questions se posent simultanément) ? Pour le coup, les tenants du vaccin à tout prix ne peuvent que se féliciter du prétendu obscurantisme des antivaccins qui diminuent la demande. Y aura-t-il à temps un vaccin franco-français pour qu’on se sente plus en sécurité? Nous cacherait-on un effet secondaire et le vaccin ferait-il grossir (si on en prend trop) ?
Une fois que ce moment béni sera arrivé de déconfinement et campagne de vaccinations cumulés, devra-t-on présenter des attestations dérogatoires de vaccination pour aller au restaurant, au théâtre ou dans tout magasin ayant échappé au dépôt de bilan ? Internet grouillera-t-il de petites annonces telles que «Cherche partenaires en tous genres aimant Brahms et le sexe décomplexé, mineurs et non-vaccinés s’abstenir» ? Est-ce que, pour un vaccin efficace à 90 %, on aura 10 % de remise, 5 % sur celui qui fonctionne à 95 % ? Un vaccin totalement inefficace permettrait d’avoir 100% de réduction, pour un cependant maigre bénéfice tant la santé et l’économie font étrange ménage (ce qui ne vaut rien a ses avantages et ses inconvénients). Sans compter qu’on ne stocke pas un vaccin comme du papier toilette qu’on n’est pas obligé de conserver à des abysses au-dessous de zéro. Et puis, est-ce bien catholique, cette affaire ? Y aura-t-il des manifestations contre le vaccin pour tous ? Bien sûr, nous nous battrons toujours pour défendre la liberté d’expression, que personne ne s’avise de caricaturer notre position. Mais les antivaccins auront-ils droit aux soins, aux voyages, aux embauches, aux restaurants ? D’autant que le vaccin peut être pris pour une arme comme les autres : si c’est dangereux pour le virus, pourquoi ne serait-ce pas dangereux pour moi ?
Peut-être que, grâce à cette perspective, les hôpitaux auront moins de mal à recruter ou conserver leur personnel, s’il est prioritaire pour le vaccin. Mais il ne faudrait pas non plus que des tricheurs se démènent à se fragiliser exprès ou devenir obèses pour passer avant les autres. Vu le doigté déployé avec les tests, on pourrait s’inquiéter de la façon dont les autorités mèneront une campagne de vaccination. Pourtant, si j’ai bien compris, on a fait quelques progrès : personne au gouvernement n’a encore déclaré que ça ne sert à rien, les vaccins. •