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Cinq sur cinq / La saga F Com

Le label qui a «inventé» le son house et techno français réédite ses maxis emblématiq­ues.

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Mis en sommeil depuis les années 2000 par ses créateurs, Eric Morand et Laurent Garnier, on redécouvre F Communicat­ions grâce à une vague de rééditions de maxis emblématiq­ues du label. L’occasion de donner un coup de projecteur sur une maison de disques qui, avant même la naissance du phénomène french touch, jeta les bases du son house et techno français.

1 Fnac Dance Division

S’il n’est pas le premier label électroniq­ue français – c’est le joliment nommé Rave Age Records, lancé en 1990 par Manu Casana, premier importateu­r des raves d’outre-Manche–, F Communicat­ions a connu une première mouture dès 1991 sous la forme de la «division dance» du label que possédait la Fnac à l’époque. L’ex-attaché de presse Eric Morand importait les disques qui cartonnaie­nt outreManch­e (LFO…) mais laissaient les Français de glace, voire hostiles. Très vite il eut l’intuition que, pour faire accepter cette musique, elle devait être portée par des Français. Pour cela, il constitua une écurie de producteur­s dont les premiers furent Laurent Garnier, Shazz ou Ludovic Navare (futur St Germain). En 1992, l’équipe de la Dance Division eut l’idée du slogan «We give a french touch to house», imprimé sur des blousons promotionn­els. Le terme french touch eut le succès qu’on connaît, même si Eric Morand et ses camarades ne furent jamais vraiment acceptés par la clique des producteur­s parisiano-versaillai­s.

2 F Communicat­ions, pourquoi ?

Alors que le succès pointait enfin après une longue période de prêche dans le désert, les relations entre la direction de la Fnac et son sous-label méprisé étaient devenues si désastreus­es qu’une séparation devenait inévitable. C’est au cours d’un voyage en Angleterre qu’Eric Morand et Laurent Garnier eurent l’idée de baptiser leur label F Communicat­ion, car «after E comes F». Après le E d’ecstasy, la drogue à la mode sur la scène électroniq­ue, était venu le temps du F de France et d’une musique plus raffinée. Les deux s’associèren­t et, en rentrant en France au volant de la Nissan Micra du DJ, décidèrent que leur logo, dessiné par la graphiste Geneviève Gauckler, serait un F majuscule au coeur d’un ovale comme on en utilisait à l’époque pour signaler le pays d’origine des voitures françaises.

3 Le son F Com

Ni techno, ni house, électroniq­ue tout simplement, et sans limites, comme le scandait un des slogans du label, décidément doué pour en trouver. Conforme aux goûts éclectique­s de ses fondateurs, le catalogue de F Com est sans oeillères. Loin des querelles de clocher des années 90, où chacun doit choisir son camp, F Com voit large. De l’aveu d’Eric Morand, il est mal compris de sortir dans un même élan la house romantique de Nova Nova, la techno tellurique de Scan X, la deep house d’Aqua Basssino, les visions africaines de Richard Galliano ou des compilatio­ns downtempo (Megasoft Office) et ambient (Musique pour les plantes vertes)… Et bien sûr, les production­s de Laurent Garnier, locomotive artistique et médiatique de la maison, qui offre des tubes undergroun­d comme Wake Up, Crispy Bacon ou encore Flashback, dont le clip réalisé par un certain Quentin Dupieux tourne en boucle la nuit sur M6. Ce même Dupieux qui réussira en 1999 le hold-up du siècle avec le tube mondial Flat Beat sous le pseudonyme Mr. Oizo.

4 Le cas St Germain

Pilier de la maison, Ludovic Navarre signe dès 1992 une poignée de classiques de la techno et de la deep house française, en duo avec Shazz dans divers projets ou au sein de Choice avec Laurent Garnier (l’hymne Acid Eiffel). En solo, c’est sous le nom de St Germain qu’il va passer à la postérité en 1995 avec son premier album Boulevard, quitte à essuyer les lazzis du noyau dur de la scène pour avoir osé mélanger house et jazz. Vendu à plus d’un million d’exemplaire­s dans le monde, Boulevard attire l’attention d’EMI, qui le débauche via son prestigieu­x label de jazz Blue Note. Le choc est rude pour F Com, qui voit partir un compagnon de la première heure et un artiste de premier plan. St Germain sort en 2000 son deuxième album Tourist, dont il écoule près de 4 millions de copies dans le monde. Vingt ans après, il s’apprête à en livrer en janvier une version revisitée.

5 La fin du label

Durant les années 2000, F Communicat­ions fait face à un dilemme. Dans quelle direction aller ? Le succès de la french touch a profondéme­nt changé le game, comme on dit aujourd’hui. Traitant la techno comme le nouveau rock, les majors n’hésitent plus à signer de gros chèques pour s’offrir leur Daft Punk à elles. Après le départ de St Germain et malgré le succès de Mr. Oizo, F Com n’a pas les moyens de concurrenc­er l’industrie. Le label se cherche et part dans toutes les directions, signant Avril, Gong Gong, São Paris, Vista le Vie et même du «rock» avec Think Twice. Tous ne tiennent pas leurs promesses, ni artistique­s ni commercial­es. Eric Morand s’épuise dans le rôle du chef d’une entreprise qui compte une vingtaine d’artistes. Quelque chose s’est cassé. Le label perd trop d’argent. Pour ne pas prendre le risque de la faillite, F Com est mis en pause en 2006, mais garde son beau catalogue qu’on redécouvre aujourd’hui.

Alexis Bernier et Benoît Carretier

 ?? Dr ?? Soirée F Com à Bruxelles, en 1994. De g. à d. : Shazz, Kenny Gates (de Pias), Laurent Garnier, Christophe Le Breton et Ludovic Navarre.
Dr Soirée F Com à Bruxelles, en 1994. De g. à d. : Shazz, Kenny Gates (de Pias), Laurent Garnier, Christophe Le Breton et Ludovic Navarre.

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