La seconde main forte du confinement
Dopé par les ventes en ligne, le marché de la fripe est en plein essor. Un créneau qui séduit toutes les marques, y compris le luxe.
La tendance était déjà là depuis un moment, mais le confinement la décuple. Vive la seconde main, qui combine plusieurs aspirations : un monde plus écolo, une industrie vestimentaire plus éthique, un ralentissement de la surconsommation. Or on peut aisément négocier, vendre ou acheter confiné depuis son salon. Ça n’a évidemment pas échappé aux marques, bon marché ou parmi les plus luxueuses. En octobre, le site Zalando, leader de la vente de vêtements en ligne en Europe, créait un onglet«Seconde Main» dédié aux produits reprisés. Bocage s’apprête à lancer l’e-shop Comme neuves pour vendre ses chaussures reconditionnées, portées par des clientes ayant souscrit à un abonnement qui leur permet de «changer de paire tous les deux mois». Le 30 avril, ce sera au tour de Kaporal, marque pour enfants et adultes, d’inaugurer un dépôt-vente en ligne où les particuliers seront rétribués en bons d’achat, abondés de 30%, à dépenser… chez Kaporal, sur le modèle de ce que Cyrillus pratique déjà depuis 2017. Et le luxe s’y met aussi : Gucci et le site de revente de produits d’occasion The RealReal ont lancé une plateforme commune où sont vendues, jusqu’à la fin de l’année, des pièces vintage de la maison italienne. L’an dernier, The RealReal avait noué un même partenariat avec Burberry.
Bond du numérique. L’intention est claire : grignoter une part de marché des sites de vente entre particuliers Vestiaire Collective (10 millions d’utilisateurs dans le monde) et Vinted (12,5 millions de membres en France). «En 2010, 15 % de consommateurs ont acheté un produit de mode de seconde main, 40 % en 2019», évalue Thomas Delattre, professeur à l’Institut français de la mode (IFM). Un bond favorisé par le développement du numérique, qui permet désormais aux particuliers de vendre eux-mêmes. «Entre fin février et mai, nous avons constaté une augmentation de 17% du nombre d’annonces mises en ligne sur la plateforme», rapporte Natacha Blanchard, porte-parole de Vinted. L’entreprise, créée en 2008 à Vilnius (Lituanie) et implantée en France depuis 2013, affirme avoir gagné 1,5 million d’utilisateurs depuis le début de l’année. Côté luxe, le site français Vestiaire Collective a vu son activité exploser à l’international. Sa porte-parole Maï-Linh Fray : «Au premier confinement, entre mars et juin, nous avons eu une augmentation de +377% de nouveaux membres. En octobre, nous avons fait + 173 %».
A l’autre bout du spectre, la fripe pas chère de Patatam connaît aussi une envolée. Présente dans cinq hypermarchés Auchan en fépremière vrier, l’entreprise basque d’e-commerce entend en occuper 100 au printemps et ouvrir des boutiques en propre courant 2021.
«Acheter moins cher». Car la fripe gagne aussi du terrain en magasin. Citadium, enseigne de mode urbaine du groupe Printemps, a doublé la surface qu’elle dédie à la seconde main rue Caumartin, à Paris –tout en annonçant la fermeture de trois de ses sites. Sa directrice, Sophie Bocquet : «On touche surtout les moins de 20 ans, une génération adepte d’économie circulaire que ça ne gêne pas de porter une chose qui l’a déjà été, mais je crois qu’ils sont surtout férus d’acheter moins cher.» De fait, selon Thomas Delattre, la motivation des clients de la fripe reste le prix. Diminuer son impact environnemental vient après, ce qui n’est par ailleurs pas toujours garanti. Thomas Ebélé, cofondateur du label de mode responsable SloWeAre, met ainsi en garde contre la «fausse» seconde main, en réalité «une première main qui n’a jamais été portée et même pas commercialisée, ce qui arrive quand une marque surproduit des vêtements et n’a donc pas le temps de les écouler avant l’arrivée d’autres.» Et de regretter : «Le système industriel français de revalorisation des produits textiles reste sous-dimensionné.» Pour que la fripe gagne en fibre éthique, un changement de taille s’impose. •