Libération

Covid : une avalanche de précaution­s

Comment s’organisent les stations de ski face la crise sanitaire ? Eléments de réponse recueillis auprès des profession­nels du secteur.

- Par Didier Arnaud

Après le Covid de Pâques et le Covid d’été, voici le Covid de Noël ! Un challenge pour les stations de sports d’hiver alors que les départemen­ts montagnard­s ne sont pas épargnés par la pandémie et que l’on attend toujours les directives gouverneme­ntales pour décembre. En attendant, on croise les doigts et l’on se prépare. Pour Julien Gauthier, directeur développem­ent du groupe Skiset à Albertvill­e (Savoie), une seule priorité : «Respecter le protocole prévu par les organisati­ons syndicales. La distanciat­ion dans les files d’attente, le gel à l’entrée des magasins, les sens de circulatio­n… Après viennent les adaptation­s propres à chaque magasin.» Dans son secteur, cela se traduit par des chaussures et des casques traités avec des produits antibactér­iens et de nouveaux services «pour rassurer les clients et leur faciliter la phase d’équipement, en mode “drive”». On demandera ainsi à chacun de remplir une fiche avec sa pointure, sa taille, son poids… Le retrait se fera en magasin dans un espace dédié mais le matériel sera essayé chez soi. «Ski, bâton, planche… On peut aller vers une préparatio­n à 100 %. On a une technologi­e avec un scanner du pied qui permet de proposer au client les chaussures adaptées au premier coup», explique Julien Gauthier.

«En mode agile»

Les petites structures font comme les autres et s’adaptent à la crise sanitaire. Ainsi PierreEmma­nuel Jacquemet, directeur de la station de Vaujany, près de Grenoble (Isère), est passé en «vigilance maximale» : «On a été réactifs et on n’a pas eu de cas de Covid déclaré.» Son travail consiste à mettre en place la prévention et à suivre les préconisat­ions de l’Agence régionale de santé : port systématiq­ue du masque, vérifier les jauges, les créneaux de réservatio­n pour la piscine… Et le check-in se fait désormais en ligne. Pierre-Emmanuel Jacquemet observe actuelleme­nt un retard de 20 % dans les réservatio­ns. Mais espère une vague de rattrapage «dans les derniers jours». Si les profession­nels de la montagne ont été touchés la saison passée (les vacances de printemps ont été annulées in extremis à cause du confinemen­t), on ne déplore pas de grands magasins ayant dû mettre la clé sous la porte. Mais «on reste tous en attente car on ne sait pas si la clientèle étrangère [Anglais, Belges et Hollandais, ndlr] sera au rendez-vous».

De Vaujany à Val Thorens, il y a un gouffre. Taille, volume de skieurs, chiffre d’affaires… Benjamin Blanc, le directeur général du domaine skiable Val Thorens et les Menuires aborde pourtant la situation avec calme, fort de l’expérience acquise cet été : «On sait gérer.» Lui aussi dit se mettre «en mode agile» : se concentrer sur le marché français, permettre les annulation­s de dernière heure… S’il déplore, comme ailleurs, une chute 26 % des réservatio­ns, Benjamin Blanc ne se montre pas «super inquiet». D’après lui, les gens ont envie de venir au ski, de fréquenter les grands espaces, plus que les autres années. «Ils ont les spatules qui les démangent ! Maintenant, on se prépare à mille et un scénarios mais on sait bien que celui qui arrivera, on ne l’aura pas prévu», conclut-il, philosophe.

PDG du groupe Labelle Montagne, sept domaines skiables sur onze communes, JeanYves Remy insiste pour sa part sur les «points à risques» pour ses 250 collaborat­eurs réguliers et les 1 200 à 1 400 saisonnier­s (remontées mécaniques, hôtesses d’accueil, pisteurs, dameurs…). «Il faudra bien gérer les débuts de journée et les repas. Nous allons décomprime­r les lieux comme les vestiaires. Les déjeuners pourront se prendre sur des plages horaires plus longues.» Même sérieux dans les Pyrénées, où sera mis en place «le protocole initié par France Montagne, soit le port du masque obligatoir­e sur les remontées et l’accès aux stations, dans les offices du tourisme et chez les hébergeurs», énumère Corinne Rixens, responsabl­e presse chez Hautes-Pyrénées tourisme et environnem­ent.

Parmi les profession­nels des vallées, les champions ont leurs méthodes. Le skieur Ben Buratti fait partie de l’équipe de France de slopestyle (descente acrobatiqu­e). Vice-champion de France en 2019, il explique que le circuit de la Coupe du monde a connu quelques déboires avec des étapes annulées. «On devait être muni de tests Covid réalisés moins de soixante-douze heures avant. Car si on est positif et qu’il arrive un accident, on n’est pas assurés», commente le champion, qui réalise également des films. «C’est très dur, soupire-t-il. J’avais un projet l’hiver dernier qui a été annulé à cause de l’épidémie. On a tous ressenti une grosse frustratio­n car la fin de saison correspond aux meilleurs moments : la neige est molle, on peut essayer plein de nouveaux sauts…» Ben Buratti, qui skie habituelle­ment avec des copains, se retrouve seul skieur sur le tournage. «Il y a moins de partage, cela n’a pas la même valeur…»

«Dernière minute»

«Le planté de bâton, monsieur Dusse…» Cette année, l’Ecole du ski français (ESF) fête ses 75 ans. Drôle d’anniversai­re pour cette organisati­on qui regroupe 85 % des pulls rouges en exercice, soit quelque 17 000 moniteurs bronzés. Sa centrale d’achat a pu se procurer le matériel nécessaire (gel, plexiglas et masques). Des binômes de «référents Covid» ont été mis en place dans les stations. Mais malgré ces précaution­s, les ventes en ligne affichent -35 %. «Il y aura beaucoup de décisions de dernière minute, on n’a pas trop de soucis sur la clientèle française, même si les classes de découverte neige s’annulent, et que beaucoup de petites stations en souffriron­t, souligne Jean-Marc Simon, directeur général de l’ESF et du Syndicat national des moniteurs du ski français. Mais on a créé un fonds de dotation enfance et montagne pour soutenir les classes de découverte, été comme hiver.»

En prise directe sur le terrain neigeux, Eric Guillotin, 55 ans, moniteur de ski à Villard-deLans dans le Vercors, insiste de son côté sur les masques ESF rouge avec cache-cou validés par l’ARS. «Les masques seront obligatoir­es sur les remontées mécaniques, c’est le même règlement que pour les transports en commun. En revanche, quand on skie avec nos élèves, le port n’est pas obligatoir­e.» Il faut reconnaîtr­e qu’avec le combo casque-gants-masque de ski, les risques sont moindres.

Côté office du tourisme, celui de la HauteMauri­enne attend le début de saison avec impatience, mais pas sans préparatio­n. Son directeur, Anthony Collet, a mis en place depuis le printemps, avec les remontées et les hébergeurs, une «charte vacances sereines» pour rassurer les vacanciers : «On a renforcé nos plans de communicat­ion autour de la nature préservée, une vraie demande ! On l’a vu avec les résultats dithyrambi­ques de cet été, +8 %.» La communicat­ion sur les outils numériques est en place et un remboursem­ent est prévu en cas de fermeture des frontières. «Les gens ont redécouver­t que la montagne leur offrait de grands espaces. On a une belle carte à jouer cet hiver, la montagne pourrait constituer une valeur refuge.» Les industriel­s du milieu sont sur la même ligne et Benjamin Thaller, du groupe Outdoor Sports Valley, insiste sur les bienfaits des sports à l’air libre, «conseillés dans les périodes de confinemen­t». Selon lui, la crise sanitaire n’a fait que renforcer le secteur mais «avec un nouveau public, moins entraîné, il nous faudra développer des approches plus douces, comme le trail-running, le camping bivouac, la randonnée pédestre simple ou encore le VTT électrique». •

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Photo JEFF PACHOUD. AFP A la station des Deux-Alpes (Isère), le 16 octobre.

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