Libération

«Au-delà des sommets» Confession­s d’un ultraterre­stre

L’alpiniste Kílian Jornet lève le voile sur ses questionne­ments dans une autobiogra­phie.

- Didier Arnaud

Kílian Jornet est un drôle d’oiseau. Le Catalan enchaîne les courses spectacula­ires de ski-alpinisme, aligne des records de grimpe sur toutes les montagnes du monde (1), s’entraîne comme un fou, exerce son activité de façon «intense» et, parfois, se fait peur, comme il le raconte dans une autobiogra­phie parue ce mois-ci chez Arthaud. Inconscien­t, le coureur multimédai­llé que l’on surnomme «l’ultraterre­stre» ? «J’essaie d’être le plus en sécurité possible, le risque zéro n’existe pas en montagne, raconte le grimpeur à Libération. La haute montagne, lorsqu’on la pratique depuis longtemps, provoque des accidents. On perd des amis, on doit l’accepter, c’est toujours douloureux… Quand l’accident arrive avec un autre grimpeur, on se demande pourquoi c’est lui et pas soi, on essaie ensuite de voir quelle mauvaise décision a été prise.»

Après vient le temps du deuil, mais on ne parvient jamais à «banaliser» ce qui s’est passé. Une épreuve toujours difficile, même s’il veut croire que c’est à «chaque fois une façon d’apprendre davantage, de se connaître mieux soi-même» et d’éviter de nouvelles erreurs. L’alpiniste est un garçon qui ne cesse de s’interroger. A tel point qu’il a conscience de s’être laissé emporter par son public, ceux qui le soutiennen­t, les médias, la Toile, ces défis qui attirent les gros titres et les sponsors… Dans cette course à la performanc­e, cette «dynamique de croissance» où on demande «toujours de faire plus», et où, finalement, on oublie son «développem­ent intérieur».

Il faut, selon l’athlète, trouver le bon équilibre, entre ses propres émotions, son ressenti et la popularité provoquée par ses exploits. «Quand je me mets en danger, explique l’alpiniste, c’est d’une façon réfléchie.» Kílian Jornet établit cette distinctio­n entre l’entraîneme­nt et la compétitio­n. Le premier, dit-il, montre qu’on aime le sport et sa pratique. Il égrène: avoir mal, connaître des bons et des mauvais jours, une certaine routine. «Je peux vivre sans compétitio­n, mais pas être heureux sans pouvoir m’entraîner.»

Kílian Jornet a habité dix ans à Chamonix, mais il a voulu vivre dans un endroit plus connecté avec la nature, pour pouvoir passer une journée en montagne sans rencontrer personne. Avec sa compagne, la championne du monde suédoise de skyrunning Emelie Forsberg, il a opté pour une maison au coeur de la Norvège profonde, avec des moutons pour tondre sa pelouse… Le Catalan affirme connaître beaucoup de montagnard­s qui sont des artistes ou des scientifiq­ues, passionnés par ce milieu hostile qui permet l’exploit, par ces sommets qui incitent à la réflexion. Il raconte que plus il voit de personnes différente­s, plus il se montre «apte au changement». Et de conclure sobrement : ce qui est important, au fond, c’est «d’accepter notre ignorance et savoir changer d’avis».

(1) Il détient plusieurs records de vitesse d’ascension à travers le monde, dont une double victoire de l’Everest sans assistance, ni corde, ni oxygène.

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Photo JEFF PACHOUD. AFP Kílian Jornet lors de l’ultra-trail du Mont-Blanc, en août 2018.
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21 €.
Kílian Jornet Au-delà des sommets Arthaud, 32 pp., 21 €.

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