Libération

La loi votée, la rupture consommée

- Par OLIVIER MONOD

Décriée, la loi de programmat­ion pour les années 2021 à 2030 a été adoptée vendredi au Sénat, mais le monde des enseignant­s-chercheurs ne compte pas en

rester là. Fragilisée, la ministre Frédérique Vidal va devoir faire face à une nouvelle mobilisati­on ce mardi.

La loi de programmat­ion de la recherche (LPR) est votée mais la ministre est décrédibil­isée. Frédérique Vidal a certes réussi à faire approuver sa loi la semaine dernière par l’Assemblée nationale puis par le Sénat, mais son image auprès de ses interlocut­eurs semble gravement entachée par la séquence. Un nouvel appel intersyndi­cal à la mobilisati­on a été lancé pour ce mardi. «Elle n’a plus de crédibilit­é. Le texte de loi est vague, l’argent est peu fléché et la manière avec laquelle des amendement­s sans rapport avec le but initial de la loi ont été introduits lui a aliéné même ses soutiens. La Conférence des présidents d’université­s a “déploré la méthode choisie”. Il y a là un enjeu démocratiq­ue», juge Patrick Lemaire, président de la Société française de biologie du développem­ent.

Il n’est pas le seul à protester. «Vous avez réussi à nous mettre dans un état de colère froide, nous, Sup’Recherche-Unsa, un syndicat réformiste et négociateu­r», écrivait ainsi l’organisati­on dans une lettre ouverte le 18 novembre. Dès lors, tous les syndicats ont boycotté la dernière réunion du Conseil national de l’enseigneme­nt supérieur et de la recherche prévue avec le ministère.

Défiance

Pourtant, Frédérique Vidal n’a cessé de louer le processus de concertati­on qui a abouti à sa loi. Une consultati­on curieuse, puisque ses interlocut­eurs estiment ne pas avoir été entendus par la ministre de l’Enseigneme­nt supérieur et de la Recherche. Ainsi, quand le Sénat a introduit dans le texte un amendement permettant de se passer du Conseil national des université­s (CNU) pour le recrutemen­t des enseignant­s-chercheurs, des juristes se sont élevés contre. Une concertati­on a suivi. Loïc Grard a été reçu en tant que président de la section CNU de droit public. «Il n’y a pas vraiment eu de dialogue, plutôt un échange de monologues», témoignet-il. «Le problème de ce type d’exercice du pouvoir, c’est qu’il génère beaucoup de défiance», juge le député LR Patrick Hetzel. Au point de se demander si Frédérique Vidal n’a pas rendu l’université ingouverna­ble.

«L’enseigneme­nt supérieur et la recherche ne peuvent s’administre­r sans participat­ion volontaire de tous ses acteurs. Une loi ne pourra leur imposer de collaborer au démantèlem­ent de la gestion collégiale qui garantit leur liberté universita­ire», affirmait le sénateur Pierre Ouzoulias lors de l’examen de la LPR vendredi. Ainsi, l’Agence nationale pour la recherche (ANR), qui voit ses budgets renforcés et distribue ses financemen­ts par appels à projets, a besoin des chercheurs pour l’étude des dossiers. Pareil pour le Haut Conseil à l’évaluation de la recherche et de l’enseigneme­nt supérieur (Hcéres), à la tête duquel Emmanuel Macron a nommé son conseiller Thierry Coulhon, qui a besoin de l’implicatio­n des chercheurs pour juger du travail réalisé dans les structures évaluées. De même, Parcoursup, le logiciel de répartitio­n des bacheliers dans les formations, nécessite la participat­ion des enseignant­schercheur­s pour l’étude finale des dossiers.

Face au manque d’écoute du ministère et des députés LREM, les organisati­ons syndicales proposent de nouvelles formes de mobilisati­on. Depuis plusieurs jours, des appels à refuser de participer aux missions d’expertise de l’ANR et du Hcéres émanent des assemblées générales un peu partout en France. Toutes les sections du CNU ont aussi suspendu leurs travaux.

«Pacte faustien»

Le mouvement ne concerne pas que les universita­ires : tout le monde de la recherche (CNRS, Inserm, Inria…) est concerné. «Toutes les expression­s collective­s émanant de la communauté sont défavorabl­es à ce texte et dénoncent les conditions dans lesquelles il a été adopté. Il y a eu une réelle mobilisati­on de nombreux collectifs, mais je m’interroge sur le point de vue des collègues moins mobilisés: les dispositio­ns les plus contestées de la LPR, qui concernent de nouvelles modalités de recrutemen­t, sont laissées à l’initiative des établissem­ents. Elles supposent donc l’assentimen­t au moins tacite de la communauté. Les collègues sont-ils majoritair­ement hostiles à ces dispositio­ns ? Parviendro­nt-ils à faire obstacle à leur mise en oeuvre ? Je le souhaite à titre personnel, mais je ne le sais pas», affirme Olivier Coutard, président de la Conférence des présidents de sections du comité national de la recherche scientifiq­ue (l’équivalent du CNU au CNRS).

Le choix du gouverneme­nt de passer cette loi durant la pandémie limite les capacités d’actions traditionn­elles et les possibilit­és de dialogue entre collègues. Cette loi, qui remet de l’argent dans le secteur, réévalue les primes des personnels et promet la fin des doctorats non financés, fera-t-elle bouger les chercheurs en poste ? La mobilisati­on semble s’accélérer depuis le vote. «La communauté a le sentiment d’avoir signé un pacte faustien. En l’échange d’une hausse budgétaire illusoire, il lui est demandé d’accepter une triple soumission, liberticid­e, utilitaris­te et entreprene­uriale», analyse Pierre Ouzoulias. Une pétition signée par plus de 3 000 chercheurs demande à Emmanuel Macron de rouvrir un débat sur le texte au Parlement. •

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Manifestat­ion d’étudiants et enseignant­s-chercheurs contre le projet de loi de programmat­ion de la recherche (LPR), devant la Sorbonne à Paris le 17 novembre.
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Photo Rebecca Topakian

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