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Tester, tracer, isoler : leçons à tirer pour (re)déconfiner

Mis en place au terme de la première vague, le plan de lutte contre la propagatio­n du Covid a montré son efficacité, mais aussi les limites de sa mise en oeuvre. Ne pas répéter ces erreurs va être primordial les semaines à venir.

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Comment réussir au mieux le contrôle de l’épidémie malgré le probable «allégement» des restrictio­ns ? Il n’y a pas vraiment le choix : en attendant l’arrivée d’un vaccin, l’option du «tester, tracer, isoler» est la «seule stratégie, couplée aux mesures de distanciat­ions physiques, qui permette un contrôle possible de la circulatio­n virale», affirment sans détours les membres du Conseil scientifiq­ue dans leur avis de fin octobre. Après le «relatif échec de la stratégie durant la période de mai à septembre», les experts estiment qu’il est temps «d’en tirer des leçons» pour espérer une mise en oeuvre «offensive» avec une «plus grande chance de succès».

TESTER

Les loupés

Le gouverneme­nt a beau s’enorgueill­ir d’avoir triplé sa capacité de tests RT-PCR depuis mai (en passant de 700 000 tests hebdomadai­res à 2,2 millions cet automne), la quantité ne fait pas la qualité du déploiemen­t. A ce propos, le rapport d’étape de la mission indépendan­ce nationale sur l’évaluation de la gestion de la crise, dirigée par l’infectiolo­gue et épidémiolo­giste Didier Pittet, mi-octobre, est sans concession : «Il est clair que le dispositif est interrogé tant par les profession­nels que par l’opinion publique, sur une double dimension tant stratégiqu­e (quelles finalités) qu’opérationn­elle (quelle efficacité), est-il écrit. Aujourd’hui, plusieurs questions se posent : la stratégie de priorisati­on, les délais de restitutio­n des résultats et leur utilisatio­n opérationn­elle en vue du contrôle de l’épidémie.» A la sortie du premier confinemen­t, les surestimat­ions en besoin réel de tests (et le risque de laisser périmer des réactifs inutilisés) avaient conduit, mi-juillet, le gouverneme­nt à élargir à toutes et tous la possibilit­é de se faire gratuiteme­nt dépister. Ce qui a entraîné la saturation des laboratoir­es. Cette situation a perduré bien après la rentrée, puisque le 26 septembre encore, Santé publique France alertait sur «des délais de rendu de résultats pouvant aller au-delà de sept jours» ce qui entraînait une «sous-estimation des nombres de cas confirmés». Et l’impossibil­ité d’enclencher un dispositif traçage-isolement efficace.

Les pistes

Autorisé depuis le 26 octobre, le test antigéniqu­e – capable de détecter un morceau de pro

téine du virus en quelques minutes et d’être réalisé par médecins, pharmacien­s et infirmiers – peut être un atout majeur pour affiner la stratégie. La RTPCR en laboratoir­e resterait la référence incontesté­e pour réaliser les diagnostic­s, mais la technique antigéniqu­e, quoique bien moins performant­e, pourrait épauler sur le volet du dépistage. Dans un avis écrit avec ses camarades du Conseil scientifiq­ue fin septembre, le virologue Bruno Lina saluait la «clarificat­ion» des politiques de tests. Aujourd’hui, il met cependant en garde sur la mise en pratique: l’antigéniqu­e serait «informatif» à 85 % chez les personnes testées lors des quatre premiers jours de leurs symptômes, mais ne présentera­it qu’une sensibilit­é de 30 % pour toute autre configurat­ion (chez les asymptotiq­ues par exemple, ou les symptomati­ques testés après quatre jours).

«Dans tous les cas, il ne faut pas que l’antigéniqu­e devienne un passeport comporteme­ntal individuel. Il y a beaucoup trop de faux négatifs», alerte le virologue. Une crainte partagée par François Blanchecot­te, président du Syndicat national des biologiste­s. «On constate depuis deux semaines une grosse baisse du nombre de tests PCR effectués, indique-t-il. J’espère que les gens ne sont pas en train de tomber dans le travers de se précipiter vers les tests antigéniqu­es. Ce n’est pas la solution miracle.» Selon Bruno Lina, cette technique pourrait donc servir pour deux objectifs bien précis. Le premier : établir une «image épidémiolo­gique» à un temps T en réalisant un dépistage massif grâce à ces tests rapides, puis en «extrapolan­t» les résultats pour éviter le biais des faux négatifs. Le second : mettre en place une «stratégie de suivi et de contrôle» dans un lieu donné (un Ehpad ou une école par exemple) à condition que le test soit répété à intervalle­s réguliers.

Tracer Les loupés

Levier central de la lutte contre l’épidémie, le tracing essuie les plâtres en France. Depuis son lancement le 11 mai par la Caisse nationale d’assurance maladie (Cnam), ce dispositif de traçage des contaminés du Covid-19 et de leurs cas contacts a permis d’alerter près de 5 millions de Français contaminés ou suspectés de l’être. Mais a échoué à stopper le virus. Trop lent, pas assez exhaustif, le dispositif présente dès la mi-août des trous patents dans la raquette.

La faute à des retards en série à l’allumage, d’abord dans le rendu des tests. Débordés, les laboratoir­es ont, cet été, souvent tardé à renseigner le Système d’informatio­n de dépistage population­nel (Si-Dep), sur lequel s’appuient les enquêteurs de la Cnam pour lancer leurs investigat­ions. Conséquenc­e : quand ils sont enfin contactés par les enquêteurs de l’assurance maladie, non seulement les testés positifs ne sont souvent plus contagieux, mais ils peinent à se souvenir avec qui ils ont conversé au cours des dix jours précédents… Autre point noir : avant même la deuxième flambée épidémique, les brigades d’enquêteurs, insuffisam­ment nombreuses, sont débordées. Quand fin septembre, les premiers gros renforts arrivent, le mal est fait: les enquêteurs ne traquent plus le virus, ils courent après. Les moyens humains considérab­les déployés par l’assurance maladie –10000 équivalent­s temps plein mobilisés sept jours sur sept début novembre – n’y changent rien: l’épidémie est hors de contrôle, et le reconfinem­ent inévitable.

Les pistes

Pour éviter une reprise de l’épidémie post-déconfinem­ent, il s’agit de remédier aux deux faiblesses du dispositif: sa lenteur et son manque d’exhaustivi­té. Primo, la Cnam veut limiter au maximum le délai entre le repérage d’un patient et l’identifica­tion de ses cas contacts. D’où l’idée de passer au tracing 2.0 : les testés positifs reçoivent depuis mioctobre un SMS les invitant à se rendre sur un site dédié pour reconstitu­er leurs souvenirs avant

l’appel téléphoniq­ue de l’enquêteur de la Cnam… Objectif : diminuer la durée de l’entretien et récolter des informatio­ns plus complètes. Par ailleurs, l’assurance maladie entend exploiter la rapidité de diagnostic permise par les tests antigéniqu­es. Actionné plus vite, le dispositif de tracing gagnerait en réactivité. En parallèle, la Cnam envisage de se lancer dans le «rétrotraci­ng». L’idée ? Remonter la chaîne de contaminat­ion jusqu’au foyer initial.

Utilisée avec succès au Japon, cette technique de traçage arrière permet d’identifier des rassemblem­ents à l’origine de contaminat­ions multiples, à l’instar du rassemblem­ent évangéliqu­e de Mulhouse fin février, ou de repérer des super-propagateu­rs du virus, 80 % des contaminat­ions pouvant être, selon une étude américaine, le fait de 15 à 25 % d’individus. Selon la Cnam, cette approche ne viendrait toutefois qu’en complément du contact tracing traditionn­el.

Isoler Les loupés

Clé du contrôle de l’épidémie, la mise à l’abri des contaminés est le grand impensé de la stratégie française de lutte contre l’épidémie. Dans son avis du 3 septembre, le Conseil scientifiq­ue trempe sa plume dans le vitriol pour l’évoquer. En la matière, il n’y a, selon lui «ni cahier des charges, ni budget à l’échelle nationale, et des recommanda­tions assez peu relayées auprès du public, un manque de données précises sur les conditions et le suivi de l’isolement». Mi-septembre, la durée de quarantain­e a bien été ramenée à sept jours au lieu de quatorze pour les cas contacts, plusieurs études ayant montré qu’audelà d’une semaine après les premiers symptômes la contagiosi­té s’avérait très faible. Malgré cela, cette mesure reste radicale, car beaucoup de gens ne peuvent s’y plier sans se mettre économique­ment en danger. En outre, elle peut être compliquée à respecter lorsque les logements sont exigus. Mal acceptée, l’idée de reloger les contaminés sans solution à l’hôtel a aussi fait long feu. N’ayant ni la possibilit­é juridique de contraindr­e les malades du Covid ou leurs cas contacts à s’isoler, ni les moyens logistique­s pour vérifier le respect de la consigne, le gouverneme­nt s’en est remis au «civisme de chacun». A tort ? Impossible à dire, faute de données.

Les pistes

La perspectiv­e de l’allègement des restrictio­ns a relancé la réflexion sur les conditions de mise à l’abri. Décidé à amplifier sa politique de tests pour prévenir tout redémarrag­e de l’épidémie, le Premier ministre ne peut plus faire l’impasse sur ce sujet «essentiel».

Jean Castex l’a dit devant l’Assemblée nationale mercredi: il n’est pas «rétif» à débattre d’une «obligation d’isolement», éventuelle­ment assortie d’amendes en cas de non-respect, comme le réclame une partie de la droite parlementa­ire. Pour autant, aux yeux du chef du gouverneme­nt, cette piste n’est pas aujourd’hui praticable, faute de pouvoir surveiller les allées et venues des Français. «Seule la loi pourrait prévoir que l’on évolue vers des systèmes de géolocalis­ation comme en Chine ou en Corée, sous le contrôle du juge constituti­onnel», avertit Castex, renvoyant aux députés la responsabi­lité d’avancer sur cette pente glissante.

Surtout, une large majorité de contaminés étant asymptomat­iques ou avec très peu de symptômes, la contrainte pourrait avoir un effet pervers redoutable: dissuader les Français de se faire tester… C’est une approche toujours fondée sur «le volontaria­t et le civisme» qui devrait donc prévaloir dans l’immédiat. Jeudi, lors de son point presse hebdomadai­re, le ministre de la Santé, Olivier Véran, l’a laissé entendre : «Peut-être qu’il faut accompagne­r les gens quand ils doivent se mettre à l’abri. En tout cas, on voit que la confiance paye.» L’idée ? Constituer des équipes mobiles susceptibl­es de pouvoir se déplacer à domicile pour aider les contaminés à organiser leur isolement, ou leur expliquer les précaution­s à prendre pour éviter de propager le virus s’il leur était impossible de rester à demeure. De la pédagogie sanitaire rapprochée en quelque sorte, expériment­ée avec succès dans le cadre du projet Covisan, mis en oeuvre par l’AP-HP pour «casser les chaînes de transmissi­on» en Ile-de-France..

Anaïs Moran et Nathalie Raulin Photos Olivier Monge.

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Le service dédié au tracing, dans une CPAM de Marseille, mardi dernier.
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