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Au procès «Charlie Hebdo» : «L’accusé doit être présent, et pas au fond de son cachot»

Lundi, au procès des attentats de janvier 2015, les débats ont été vifs au sujet de la récente ordonnance gouverneme­ntale autorisant la comparutio­n en visioconfé­rence. Finalement, la cour a prononcé une nouvelle suspension d’audience, pour permettre au pr

- Par Willy Le Devin

Que diront d’Eric Dupond-Moretti ceux qui, dans cinquante ans, accèderont aux archives du procès des attentats de janvier 2015, filmé en vertu de son caractère historique ? Que penseront-ils de ce garde des Sceaux qui a uni ses confrères d’hier, ahuris qu’un homme ayant passé sa vie en cour d’assises autorise qu’on puisse juger derrière un écran ? «On admettrait donc qu’un homme qui vous gênerait à dégueuler dans le box dégueule dans sa cellule, dans un seau», a raillé Christian Saint-Palais, avocat de l’un des onze accusés, en point d’orgue d’une matinée dévouée à étriller l’ordonnance gouverneme­ntale du 18 novembre.

Cette dernière permet, pour la première fois aux assises, qu’un accusé puisse comparaîtr­e en visioconfé­rence si son état ne lui permet pas d’assister physiqueme­nt à l’audience, et à condition que les débats entre les différente­s parties soient clôturés. Du sur-mesure pour le procès des attentats de janvier 2015, qui est entré dans la phase des plaidoirie­s des parties civiles, mais qui demeure suspendu en raison de l’état de santé du principal accusé, Ali

Riza Polat, renvoyé pour «complicité d’assassinat­s terroriste­s». Ce dernier, infecté par le Covid-19, en est guéri mais souffre d’importants troubles digestifs. Vendredi, une expertise médicale l’avait malgré tout déclaré apte à comparaîtr­e en visio depuis sa cellule. Un scénario cousu de fil blanc, cingle son conseil, Isabelle Coutant-Peyre: «Mon client est l’objet de tous les désirs d’une mauvaise justice. Ce qui s’est passé mercredi au Conseil des ministres [jour de présentati­on de l’ordonnance n°2020-1401, ndlr] est un coup d’Etat factieux contre les lois de la République. C’est la loi qui fixe les règles de la procédure pénale. […] Acquitator [surnom d’Eric Dupond-Moretti] ne sait déjà plus qui il est. Il a oublié que l’accusé doit être présent, et pas au fond de son cachot, pour pouvoir discuter librement, je dis bien librement, avec son avocat.»

«Dignité».

«Nous portons la même robe que la défense, et nous nous retrouvons sur le terrain des libertés fondamenta­les, poursuit sa consoeur de la partie civile Catherine Szwarc. Les victimes des attentats de janvier 2015, que je représente, ont besoin de sécurité juridique. Or l’ordonnance du 18 novembre est déjà attaquée au Conseil d’Etat [deux recours seront examinés ce mardi], et si elle devait être déclarée illégale par cette juridictio­n, cela menacerait la validité de notre procès, que mes clients attendent depuis cinq ans.» Pour

Jean Reinhart, autre conseil de la partie civile, «il est question de sagesse et de dignité». «La sagesse, murmure-t-il, c’est de savoir patienter. Après tant d’années, pour les victimes, une semaine de plus ou une semaine de moins, vous savez… La dignité, c’est de savoir qu’un homme jugé est présent. On ne peut pas changer les règles du jeu.» «S’il faut chercher un précédent à une modificati­on des règles en cours de procédure, rappelle cruellemen­t Antoine Comte, avocat de victimes de Charlie Hebdo, on est obligés de se référer au gouverneme­nt de Vichy et à son garde des Sceaux, Joseph Barthélémy.»

C’est d’ailleurs au nom de l’histoire, saisie en direct, que personne ou presque n’entend céder «aux atteintes graves contre les droits de la défense». «Votre procès doit être historique, et ne peut rester dans la mémoire comme le cercueil de ces mêmes droits», poursuit Antoine Comte. Derrière lui, Richard Malka, l’avocat de la rédaction de Charlie Hebdo, se lève : «On vous demande d’être les premiers magistrats de France à juger un accusé en dehors de sa présence. Mais ce sont nos noms à tous qui vont être associés à cette décision ! Je ne veux pas faire d’Ali Riza Polat une victime. Nous vous demandons donc de laisser à Ali Riza Polat une chance se rétablir. Nous avons le devoir de sauver collective­ment ce procès, tous ensemble.»

«Jusqu’au boutiste».

Invité à s’exprimer à son tour, l’un des avocats généraux du procès, Jean-Michel Bourlès, rappelle «les dizaines de milliers de morts qu’a engendrées la pandémie», ainsi «que la nécessité, pour la justice, de s’adapter». S’il s’érige contre l’idée «que le Parquet national antiterror­iste ait pu quémander l’ordonnance nuitamment au garde des Sceaux», Bourlès assure «que personne n’est jusqu’au boutiste au ministère public : s’il faut suspendre une semaine de plus, il faut que ce soit la dernière, car on ne pourra plus aller au-delà».

Après deux heures et demie de délibérati­on, le président, Régis de Jorna, a annoncé une semaine supplément­aire de suspension de l’audience, évitant au procès d’atteindre le stade ultime d’un clash embarrassa­nt et lourd de conséquenc­es. Mais que se passera-t-il, lundi prochain, si Ali Riza Polat n’est pas rétabli ? •

L’Agence nationale de sécurité sanitaire de l’alimentati­on, de l’environnem­ent et du travail (Anses) tire la sonnette d’alarme: les jeunes Français ne bougent pas suffisamme­nt et passent trop de temps sur leurs écrans. D’après les derniers résultats d’une évaluation des risques sanitaires, publiés lundi, deux tiers des adolescent­s de 11 à 17 ans présentent un risque sanitaire préoccupan­t, et 49 % un risque très élevé. L’inactivité physique et la sédentarit­é favorisent l’obésité, le surpoids, et altèrent la qualité de vie. Selon Paul Jacquin, pédiatre à l’unité de médecine de l’adolescent à l’hôpital Robert-Debré, le problème n’est pas uniquement lié au confinemen­t, mais structurel: «Notre pays est très mal classé. Une étude de 2019 sur l’activité sportive des jeunes menée par l’OMS dans 146 pays mettait la France en 119e position. Ces chiffres demeurent, malheureus­ement, assez stables depuis longtemps. En revanche, [avec le confinemen­t], on a constaté que la situation des jeunes déjà obèses s’aggravait considérab­lement, avec des prises de poids de plus de 10 kilos. Les cas d’obésité morbide augmentent.» Le praticien, qui décrypte pour Libération les résultats de l’étude, observe : «Les adolescent­s sédentaire­s qui ne pratiquent pas de sport conservero­nt le même mode de vie et les mêmes réflexes à l’âge adulte. Les maladies cardio-vasculaire­s commencero­nt à apparaître d’ici une quinzaine d’années.» Conséquenc­e du confinemen­t : un bouleverse­ment des rythmes familiaux et une explosion du temps passé devant les écrans. Paul Jacquin alerte : «Certains jeunes souffrent déjà d’addiction.»

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Photo Marc Chaumeil Les bancs de la défense de la salle d’audience du procès des attentats de janvier 2015, le 27 août.
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