Joe Biden, les yeux ouverts sur le handicap
Le démocrate sera-t-il le président qui va soigner les Etats-Unis de leurs divisions par l’inclusion de tous, y compris des 38 millions de handicapés ? Dans son premier discours après l’élection, il ne les a pas oubliés, aux côtés des discriminés pour raisons de race, de genre et de religion, dans la reconstitution du rêve américain.
Le 14 octobre, Donald Trump publiait une image représentant Joe Biden en fauteuil roulant au milieu de personnes âgées qui détournait le slogan «Biden for president» en «Biden for resident». Cette caricature est symbolique de la manière dont la mandature Trump a été marquée par les attaques et les moqueries envers les personnes handicapées. Pourtant, on estime qu’un Américain sur cinq est handicapé, ce qui en fait l’une des minorités les plus importantes du pays. Face à Donald Trump, Joe Biden a partagé son expérience du handicap (il bégayait enfant) et n’a jamais hésité à montrer son intérêt pour le sujet. Dans son premier discours de président-élu, il n’a pas oublié de mentionner le handicap aux côtés de la race, le genre et la religion dans la reconstitution du rêve américain.
Joe Biden a affirmé vouloir soigner les Etats-Unis, du Covid-19 tout d’abord, mais aussi de ses divisions, ce qui passe par la promesse de l’inclusion de toutes et tous. Ainsi, il répond aussi à l’enjeu électoral que représentent les personnes handicapées aux Etats-Unis, plus de 38 millions d’électeurs potentiels, soit 16 % du corps électoral, que Trump a délaissés. Le président sortant n’a même pas proposé de programme s’adressant à cette population, là où Joe Biden a choisi, même si cela était tardif, de reprendre parmi les propositions les plus ambitieuses de ses concurrents à la primaire. Il a également soutenu les campagnes en faveur de leur accessibilité aux bureaux de vote. Mobilisées depuis plusieurs années pour rendre le vote plus accessible (accessibilité physique aux bureaux, développement du vote à distance, prolongation des délais pour voter…), des associations nationales, mais aussi des organisations locales gérées par des personnes elles-mêmes handicapées, ont lancé une grande campagne sur les réseaux sociaux avec le hashtag #CripTheVote. Dans des Etats clés comme le Michigan, ces individus représentent un million d’électeurs (environ 20 % de la population de Detroit) ou encore un électeur sur six en Pennsylvanie. Premières victimes de la pandémie, elles n’ont cessé de s’organiser pour faire entendre leur voix et rappeler l’importance de la prise en compte des enjeux de politiques de santé. Une préoccupation partagée par de plus en plus d’Américains : même sur la très réactionnaire chaîne de télévision Fox News, les sondages montrent que plus de 70 % d’entre eux sont favorables à la mise en place d’une couverture santé gérée par le gouvernement. Cette campagne a mis en lumière le potentiel politique de cette frange de la population, souvent rejetée aux marges du débat politique. Or si l’électorat handicapé ne penche habituellement pas d’un côté ou de l’autre de l’échiquier politique (les votants s’identifiant comme tels avaient voté à 45 % pour Donald Trump et 46 % pour Hillary Clinton en 2016), les attaques répétées envers le système de protection sociale et la gestion du Covid-19 semblent avoir fortement fait pencher la balance vers Joe Biden pour cette élection. Les premières estimations le placent à plus de 60 % de votes exprimés en sa faveur. Cette forte mobilisation, relayée également dans les médias (le soir de l’annonce définitive des résultats, le journaliste de CNN Jake Tapper remercie les personnes handicapées pour leurs votes), explique l’intérêt qu’a manifesté Joe Biden à leur égard dès le soir de sa victoire. Cette stratégie s’inscrit plus largement dans sa volonté de faire basculer les Etats-Unis vers un pays plus empathique dans la tradition des politiques sociales étatsuniennes en temps de crise. Mais un Etat et un président compatissants ne suffiront pas à répondre aux défis actuels des Etats-Unis. Pour soigner véritablement le pays, il faut déjà le doter d’un système de protection adapté aux défis du Covid-19 et en particulier l’extension de la couverture santé à plus d’Américains. S’il a assuré renforcer cette protection pour les personnes handicapées rudement touchées par la crise sanitaire et économique, Joe Biden s’est prononcé à de maintes reprises contre l’universalisation de Medicare, l’assurance santé gérée par l’Etat fédéral et réservée aux personnes âgées de plus de 65 ans et certaines personnes handicapées (une réforme proposée par Bernie Sanders et Elizabeth Warren, candidats malheureux à la primaire démocrate). L’empathie et l’inclusion sont un premier pas, mais le pays ne saurait se contenter d’un pansement pour soigner les plaies béantes engendrées par le trumpisme. L’Amérique est malade, du Covid-19, mais aussi des inégalités sociales, raciales, économiques et de nombreux remèdes possibles sont à disposition de Joe Biden, s’il souhaite voir son nom ajouté à la liste des présidents empathiques et ambitieux. •