Avec «Survie», Zola passe la seconde
Après «Cicatrices», disque de platine l’an dernier, le rappeur, produit par Kore et sensation des réseaux sociaux, prend de l’assurance sur son nouvel album.
Diplomatie musicale : Zola a déjà dit non aux Américains, qu’il écoute pourtant à la chaîne. C’était il y a deux ans, environ. Kore, son producteur, l’y voyait bien. Une intuition, couplée à une certitude : quelque chose dans son attitude, son rythme, son marcel dans les clips colle évidemment au monde d’outre-Atlantique. Ils ont pris l’avion, rencontré des pros et tenté des choses. Mais la virée fut courte. Kore, près de vingt ans de succès et plus encore derrière lui, avait pourtant fait jouer son répertoire en or et sollicité des collègues réputés : «Ce n’est pas un échec. Au contraire, c’est un élément fondateur, une étape. Là, on a appris à se connaître. Il n’est pas impressionné par les “noms” comme d’autres. Ce qui compte, c’est sa musique et comment il la sent. Il m’a convaincu qu’on pouvait faire les choses à notre façon, entre nous.» Zola, qui n’a pas 20 ans à l’époque : «Je reste deux semaines, mais je n’enregistre rien, zéro titre. J’étais timide, dans mon coin. Et tu connais leur attitude… Certains sont sûrs d’eux, ne prennent pas le temps de comprendre ton délire. Ils font trop les stars, je n’ai pas trop kiffé. Ce n’était pas le moment. Je ne parlais pas trop la langue.» Le récit de résistance et d’autarcie se cale à la perfection avec les faits. Cicatrices, son premier album de 2019, est disque de platine. Survie, le second, sorti le 17 novembre, y prétend.
Instinct brut.
On a croisé l’artiste métis à Paris, une demi-heure, et chaque question est une loterie. La réponse peut être un commencement de confidence. Ou de rien du tout. Elle peut être un éclair de pudeur, de tristesse et d’insolence. Ou vraiment rien du tout. Son équipe le promeut à l’occasion en captures d’écran et nombre de followers, érigés en preuves irréfutables. Sur Twitter, par exemple, il trône tout en haut quand l’un de ses titres est en instance de livraison. Drôle de curseur. Mais curseur incontournable – les réseaux sociaux sont nos geôliers. Survie est un projet nerveux, aux titres courts, flirtant sous la barre des trois minutes et minimisant les chances d’ennui. Au vrai, il est semblable à un bouquin qui n’a pas été épuisé par les réécritures et les complexes de son auteur vis-àvis de ses confrères. Il ne tombe pas facilement des mains. A contrario, il pousse à le goûter jusqu’à la fin avant de se faire un avis définitif. De le rejeter poliment ou d’y voir un sucre artistique. On croit aisément Kore quand il décrit des textes grattés et posés à l’instinct brut, ce qui les immunise en partie contre la pandémie décimant le rap français: «On donne ce que le public veut, les gens aiment ça.» Zola a donné ce que lui veut et aime, et ça en ferait presque un punk au regard de l’époque prévisible. Diplomatie intérieure : à l’occasion, il dirait également non à Kore aussi, sans gêne aucune. Ce dernier ne s’en offusque pas: «L’ennemi d’un album peut être la mainmise et l’influence totales d’un producteur avec un “nom”.»
Aurélien N’Zuzi Zola est né en 1999 à Evry, dans l’Essonne. Une enfance au rez-de-chaussée au quartier du Parc aux Biches (pas un coupegorge), un déménagement dans le centre-est de la France à l’adolescence (les parents sont séparés), une passion pour les bécanes (discipline olympique dans les quartiers populaires) et un bac littéraire (pour faire plaisir à sa mère, qui possédait une 2 CV, apprend-on dans une séquence vidéo).
La vie dans la ruralité profonde – il la dépeint comme ça, sans livrer de lieu précis – est compliquée pour la musique. «Je reviens d’archi-loin, mais je ne me souviens pas de tout, j’ai une mauvaise mémoire.» Il y a quand même cette affaire de pompes : l’un de ses amis vend sa paire de baskets pour payer une séance de studio. «Là-bas, il fallait aller dans les grandes villes pour enregistrer. Ma mère ne pouvait pas me donner d’argent ; moi, je ne pouvais pas travailler. Et il fallait aller dans les grandes villes.» C’est touchant quand il s’appesantit : «On se levait à 6 heures du matin pour aller à Strasbourg, par exemple. Il fallait prendre un train, un bus, un train, un tram, un train… Avec un sac de sport. Ensuite tu dois faire la même chose au retour. Pourquoi je dis 6 heures du matin ? C’était 4 heures.» Le lycée terminé, il rentre vivre dans l’Essonne. Son grand frère et son cousin gèrent sa carrière. Et Evry bombe le torse. Encore un rappeur-mine d’or sorti de ses murs – cette préfecture a des allures de maisons de disque à ciel ouvert.
Infini musical.
Kore donne une clé pour comprendre cette génération qui amende sans pression les codes classiques du rap français par le chant, le vocodeur et autres fantasmes violents chantonnés en saccadé: YouTube, en l’occurrence l’infini musical à portée de doigts. Des gamins ont grandi en piochant le kif où il se trouve, de Grigny à Lagos, de Chicago à Londres. Sans trop savoir qui est qui, et qui interprète quoi. En passant à autre chose très vite sans se poser de questions existentielles quant à leurs goûts. Ça désacralise tout et ne sacralise rien. Ni les héritages ni le temps. Sur un canapé, le rappeur, désormais parfaitement bilingue, défendra Survie en évoquant l’usure : «Je pense déjà à la prochaine baffe musicale que je peux mettre. Je pense à l’après. Limite, j’en ai déjà marre de cet album, je l’ai trop écouté.»
«Je reviens d’archi-loin, mais je ne me souviens
pas de tout, j’ai une mauvaise
mémoire.» Aurélien N’Zuzi Zola
Zola Survie
(Truth Recordings /AWA).