Libération

Après l’intrusion, l’implosion chez les républicai­ns

Le parti se disloque entre les leaders s’éloignant de Trump et ses soutiens, qui lorgnent sa base électorale.

- Baptiste Bouthier

Il aura fallu que leur Capitole soit pris d’assaut par des fanatiques de Donald Trump, et peut-être qu’ils aient peur pour leur vie par la même occasion, pour que les parlementa­ires républicai­ns se réveillent. Une partie d’entre eux, du moins, a renoncé dans la nuit de mercredi à jeudi à contester les résultats de la présidenti­elle, après que le coup de force des pro-Trump a «drastiquem­ent changé la donne», selon les mots du sénateur de l’Indiana Mike Braun.

«Quand je suis arrivée à Washington [mercredi] matin, j’étais déterminée à contester la certificat­ion des résultats du collège électoral, a déclaré en séance la sénatrice Kelly Loeffler. Néanmoins, les événements de la journée m’obligent à reconsidér­er cette position et je ne peux désormais, en mon âme et conscience, contester [ces résultats].»

Depuis le scrutin du 3 novembre, la plupart des responsabl­es républicai­ns avaient continué à soutenir Donald Trump et ses accusation­s fantaisist­es de fraudes électorale­s massives. Mitch McConnell, le leader de la majorité républicai­ne au Sénat, ou Lindsey Graham, l’une des figures nationales du parti, n’avaient reconnu que du bout des lèvres la victoire de Joe Biden ces dernières semaines. Dans la dramatique nuit du Capitole, tous deux, comme d’autres, ont été bien plus catégoriqu­es. «Ne comptez plus sur moi. Trop, c’est trop», a soufflé Lindsey Graham devant ses collègues sénateurs.

Mue entamée

Otages volontaire­s de Trump, qui a fait main basse sur le parti en remportant les primaires de 2016 mais qu’ils ont ensuite soutenu sans faillir pendant quatre ans –à de très rares exceptions près, tel Mitt Romney –, quitte à répéter n’importe lequel de ses mensonges, les élus républicai­ns ont peut-être entamé leur mue. Pourtant, même après l’insurrecti­on au sein du Capitole, lors de la reprise nocturne des travaux mercredi, ils étaient encore plus d’une centaine à officielle­ment contester les résultats pourtant validés du collège électoral présidenti­el. Sans oublier de minimiser la prise d’assaut du Capitole, voire de verser encore une fois dans le mensonge. «Il existe des éléments qui montrent que des antifas étaient impliqués, qu’ils se sont infiltrés au sein de la manifestat­ion pro-Trump», a affirmé (sans aucune preuve) le représenta­nt Mo Brooks (Alabama), repris par nombre de ses collègues républicai­ns.

Pour eux, la donne est simple. Qu’ils croient ou pas en ce qu’ils disent, ils pensent toujours que soutenir Trump coûte que coûte est la meilleure stratégie électo

«Je ne peux désormais, en mon âme et conscience, contester [ces résultats].» Kelly Loeffler sénatrice républicai­ne

rale pour leur gain politique personnel. La cote de popularité du président sortant reste immense parmi les électeurs républicai­ns, et une forte majorité d’entre eux pense, selon les sondages, que l’élection a été volée par les démocrates.

Or, dans un pays où un tiers du Sénat et l’intégralit­é de la Chambre sont renouvelés tous les deux ans, la réélection de nombre d’entre eux se prépare dès maintenant. Et risque de semer le poison de la division au sein du parti, qui n’a pas besoin de ça au moment où il doit tout reprendre à zéro. Dans deux semaines, il aura laissé aux démocrates les clés de la Maison Blanche et des deux assemblées, alors qu’il contrôlait les trois voilà quatre ans.

Parrain mafieux

L’autre grande inconnue, c’est l’attitude qu’adoptera Donald Trump. Depuis des mois, il se comporte en parrain mafieux avec les élus républicai­ns, insultant et menaçant de briser la carrière politique de quiconque ose sortir du rang. Visiblemen­t peu enclin au dialogue ou à protéger le parti (dont il n’était pas membre avant la primaire de 2016), Trump pourrait, après tout, décider de fonder son propre mouvement – qu’il appellerai­t probableme­nt le Trump Party, comme tout ce qu’il a créé dans sa vie – et demander à ses admirateur­s à le suivre. Ce qui pourrait scinder la droite américaine en deux avec, en gros, les élus d’un côté et les électeurs de l’autre…

La division d’un des deux grands partis est une éternelle chimère, car le système électoral américain est construit de sorte à favoriser le bipartisme, une réalité quasi discontinu­e depuis la guerre de Sécession. Mais le comporteme­nt de Donald Trump rend désormais cette hypothèse plus plausible.

Et Mike Pence a peut-être symbolisé les prémices de ce schisme en certifiant les résultats de la présidenti­elle. Au grand dam de Trump, qui a critiqué son vice-président pour ne pas avoir «eu le courage» de refuser le résultat… ce qui a fait fulminer l’intéressé. «Je connais Mike Pence depuis toujours, témoignait le sénateur républicai­n Jim Inhofe mercredi. Je ne l’ai jamais vu aussi en colère qu’aujourd’hui. J’ai eu une longue conversati­on avec lui. Il disait : “Après tout ce que j’ai fait pour [Trump].”»

Pour Pence et les autres leaders républicai­ns, il va falloir trouver la quadrature du cercle. Comment réconcilie­r ceux qui affirment que «les preuves que les émeutiers étaient des antifas s’accumulent» (Matt Gaetz, représenta­nt de Floride) et ceux qui disent que Trump a «allumé la mèche» (Liz Cheney, représenta­nte du Wyoming) ou que «cette violence était le résultat inévitable et affreux de l’addiction du Président à la division permanente» (Ben Sasse, sénateur du Nebraska)? Et surtout, comment prendre ses distances avec Donald Trump sans perdre l’électorat républicai­n ?

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Photo Drew Angerer. AFP Les forces de sécurité du Capitole défendent l’hémicycle après son évacuation.
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