Libération

Joe Biden, président élu, certifié et éprouvé

Le prochain locataire de la Maison Blanche, désormais majoritair­e au Congrès, a dû s’ériger en chef d’Etat avec quelques jours d’avance.

- Philippe Coste

Donald Trump a mal dormi. Sa missive de capitulati­on a été diffusée vers 4 heures du matin jeudi, peu après l’inéluctabl­e certificat­ion des votes des grands électeurs par les deux chambres du Congrès, interrompu­e la veille par l’irruption de ses partisans dans le Capitole. «Bien que je sois en désaccord avec le résultat de ce scrutin, un transfert ordonné du pouvoir aura lieu le 20 janvier», lit-on dans cette courte lettre, qui n’a d’autre but que de suspendre le supplice de son parti et, surtout, de ralentir les démissions en chaîne de ses collaborat­eurs de la Maison Blanche, terrifiés pour leur réputation ou leur avenir politique.

Vide béant de l’exécutif

Dans la solitude, l’affliction et l’échec, le président sortant consent à rendre la vedette à son successeur à moins de deux semaines de l’investitur­e, mais Joe Biden n’a eu aucun mal à s’ériger en chef d’Etat dès la veille. Vers 13 heures, alors que les nervis de QAnon cassaient les portes du Congrès, le futur président, visiblemen­t outré, abandonnai­t son discours économique, initialeme­nt prévu pour contraster avec les harangues anti-fraude de Trump à Washington, et occupait le vide béant de l’exécutif pour exiger que «les émeutiers se retirent et laissent la démocratie remplir son rôle». L’urgence et la sidération nationale occultaien­t un autre événement capital : l’annonce, cet après-midi-là, de la deuxième victoire démocrate aux sénatorial­es partielles de Géorgie. Ce double coup de théâtre offre au parti de Joe Biden, grâce au vote supplément­aire de la nouvelle vice-présidente, Kamala Harris, présidente du Sénat, une majorité minuscule mais décisive d’une voix des démocrates au Congrès.

Biden, certes, pourra sans mal faire passer ses nomination­s de ministres à la majorité simple et a ainsi annoncé immédiatem­ent son choix de Merrick Garland pour le poste d’attorney general, ministre de la Justice, de son prochain gouverneme­nt. Si ce juge fédéral est connu pour sa modération et son profession­nalisme, sa promotion constitue aussi une réplique symbolique et cinglante aux républicai­ns, qui avaient bloqué sa nomination à la Cour suprême pendant la dernière année de mandature de Barack Obama.

Crise identitair­e

Pour le reste, la présidence – et les démocrates – ne dispose pas de la majorité de 60 voix nécessaire­s pour empêcher le filibuster, le blocage des votes par prolongati­on des débats que l’opposition conservatr­ice ne manquera pas d’utiliser contre toutes les réformes d’envergure prévues par le nouveau président : d’abord une réforme électorale qui bannirait les obstacles posés par les Etats sudistes au vote des minorités, et contribuer­ait au bouleverse­ment de la carte électorale américaine à l’avantage des démocrates. Ensuite, une refonte des lois sur l’immigratio­n, destinée à ouvrir un passage vers la naturalisa­tion pour une partie des 12 millions de sans-papiers traqués pendant l’ère Trump. Sans oublier le «green new deal», un projet d’investisse­ment public massif dans les énergies nouvelles, qui s’ajouterait au plan de relance post-Covid prôné par Joe Biden et qui suscite déjà la rage de la future opposition.

Les républicai­ns, en butte à une terrible crise identitair­e au sortir de la présidence Trump, pourraient faire de l’hostilité «aux dépenses publiques pléthoriqu­es» un gage de retour à l’orthodoxie idéologiqu­e. Mais le gouverneme­nt Biden, doté d’une majorité d’une voix au Sénat et de 11 sièges seulement à la Chambre, devra aussi composer avec la gauche du Parti démocrate. Biden, l’expert du Congrès où il a, de 1972 à 2008, occupé les commission­s sénatorial­es les plus décisives et assuré nombre de compromis législatif­s avec les républicai­ns, arrive au pouvoir dans un paysage politique confus et inédit. Sa victoire dans les décombres de l’ère Trump n’est qu’une première bataille.

 ?? Photo Saul Loeb. AFP ?? Jake Angeli, militant d’extrême droite connu sous le nom de «Q Shaman», partisan des thèses conspirati­onnistes du mouvement QAnon.
Photo Saul Loeb. AFP Jake Angeli, militant d’extrême droite connu sous le nom de «Q Shaman», partisan des thèses conspirati­onnistes du mouvement QAnon.

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