Joe Biden, président élu, certifié et éprouvé
Le prochain locataire de la Maison Blanche, désormais majoritaire au Congrès, a dû s’ériger en chef d’Etat avec quelques jours d’avance.
Donald Trump a mal dormi. Sa missive de capitulation a été diffusée vers 4 heures du matin jeudi, peu après l’inéluctable certification des votes des grands électeurs par les deux chambres du Congrès, interrompue la veille par l’irruption de ses partisans dans le Capitole. «Bien que je sois en désaccord avec le résultat de ce scrutin, un transfert ordonné du pouvoir aura lieu le 20 janvier», lit-on dans cette courte lettre, qui n’a d’autre but que de suspendre le supplice de son parti et, surtout, de ralentir les démissions en chaîne de ses collaborateurs de la Maison Blanche, terrifiés pour leur réputation ou leur avenir politique.
Vide béant de l’exécutif
Dans la solitude, l’affliction et l’échec, le président sortant consent à rendre la vedette à son successeur à moins de deux semaines de l’investiture, mais Joe Biden n’a eu aucun mal à s’ériger en chef d’Etat dès la veille. Vers 13 heures, alors que les nervis de QAnon cassaient les portes du Congrès, le futur président, visiblement outré, abandonnait son discours économique, initialement prévu pour contraster avec les harangues anti-fraude de Trump à Washington, et occupait le vide béant de l’exécutif pour exiger que «les émeutiers se retirent et laissent la démocratie remplir son rôle». L’urgence et la sidération nationale occultaient un autre événement capital : l’annonce, cet après-midi-là, de la deuxième victoire démocrate aux sénatoriales partielles de Géorgie. Ce double coup de théâtre offre au parti de Joe Biden, grâce au vote supplémentaire de la nouvelle vice-présidente, Kamala Harris, présidente du Sénat, une majorité minuscule mais décisive d’une voix des démocrates au Congrès.
Biden, certes, pourra sans mal faire passer ses nominations de ministres à la majorité simple et a ainsi annoncé immédiatement son choix de Merrick Garland pour le poste d’attorney general, ministre de la Justice, de son prochain gouvernement. Si ce juge fédéral est connu pour sa modération et son professionnalisme, sa promotion constitue aussi une réplique symbolique et cinglante aux républicains, qui avaient bloqué sa nomination à la Cour suprême pendant la dernière année de mandature de Barack Obama.
Crise identitaire
Pour le reste, la présidence – et les démocrates – ne dispose pas de la majorité de 60 voix nécessaires pour empêcher le filibuster, le blocage des votes par prolongation des débats que l’opposition conservatrice ne manquera pas d’utiliser contre toutes les réformes d’envergure prévues par le nouveau président : d’abord une réforme électorale qui bannirait les obstacles posés par les Etats sudistes au vote des minorités, et contribuerait au bouleversement de la carte électorale américaine à l’avantage des démocrates. Ensuite, une refonte des lois sur l’immigration, destinée à ouvrir un passage vers la naturalisation pour une partie des 12 millions de sans-papiers traqués pendant l’ère Trump. Sans oublier le «green new deal», un projet d’investissement public massif dans les énergies nouvelles, qui s’ajouterait au plan de relance post-Covid prôné par Joe Biden et qui suscite déjà la rage de la future opposition.
Les républicains, en butte à une terrible crise identitaire au sortir de la présidence Trump, pourraient faire de l’hostilité «aux dépenses publiques pléthoriques» un gage de retour à l’orthodoxie idéologique. Mais le gouvernement Biden, doté d’une majorité d’une voix au Sénat et de 11 sièges seulement à la Chambre, devra aussi composer avec la gauche du Parti démocrate. Biden, l’expert du Congrès où il a, de 1972 à 2008, occupé les commissions sénatoriales les plus décisives et assuré nombre de compromis législatifs avec les républicains, arrive au pouvoir dans un paysage politique confus et inédit. Sa victoire dans les décombres de l’ère Trump n’est qu’une première bataille.