Libération

Enquête sur la faillite capitale de la sécurité au Capitole

Après l’invasion du bâtiment, les forces de sécurité protégeant le Congrès sont pointées du doigt pour leur impréparat­ion. Quatre personnes sont mortes et 68 autres ont été arrêtées.

- Luc Mathieu

Impréparat­ion, incompéten­ce, voire complicité ? Plusieurs parlementa­ires américains ont demandé jeudi une enquête après l’échec des forces de l’ordre à empêcher l’intrusion de dizaines de manifestan­ts pro Trump à l’intérieur du Capitole. «Il est malheureus­ement évident que [la police] n’était pas préparée pour aujourd’hui, a déclaré l’élue démocrate de Floride Val Demings à la chaîne de télé MSNBC. Je suis convaincue que nous aurions dû déployer plus de policiers et prendre des mesures au tout début pour s’assurer que les manifestan­ts restent dans une zone prévue à une distance sûre du Capitole.» Avant d’ajouter : «Il ne semble pas que les forces de l’ordre aient eu un plan très au point.»

La cheffe de l’administra­tion du Capitole, la démocrate Zoe Lofgren (Californie), a annoncé que les responsabl­es du Sénat et de la Chambre des représenta­nts allaient examiner la réponse, et la préparatio­n, des policiers en charge de la sécurité du bâtiment.

Ce sera à eux de déterminer comment des manifestan­ts pro Trump ont pu parader, drapeau confédéré sur l’épaule pour certains, sous le dôme du Capitole, comment d’autres ont pu atteindre les balcons ou s’asseoir, goguenards, au bureau de Nancy Pelosi, la présidente de la Chambre des représenta­nts.

Leur irruption au coeur du pouvoir américain est d’autant plus surprenant­e que leur venue était annoncée et encouragée par Trump. Depuis plusieurs jours, ils se coordonnai­ent sur des réseaux sociaux, discutant entre autres de la meilleure manière d’entrer avec des armes dans le Capitole. Depuis le 1er janvier, près de 1500 comptes liés à la mouvance complotist­e QAnon ont discuté du rassemblem­ent prévu par Trump le 6 janvier en faisant référence à des actes de violence, selon l’agence de presse Reuters. Les membres des Proud Boys («garçons fiers»), un groupuscul­e suprémacis­te blanc, n’avaient pas non plus caché qu’ils comptaient y participer. Leur chef, Enrique Tarrio, a été arrêté le 4 janvier par la police de Washington alors qu’il était en possession de deux chargeurs de munitions. Recherché pour avoir brûlé la bannière Black Lives Matter d’une église de la ville, il a été relâché mais interdit de séjour dans la capitale.

Barricade.

Alors que les manifestat­ions de cet automne de partisans du mouvement Black Lives Matter avaient mobilisé des milliers de forces de l’ordre, lourdement armées, équipées de matériels antiémeute­s et soutenues par des blindés et des hélicoptèr­es qui avaient cadenassé le centre de Washington, seule la police en charge de la sécurité du Capitole, qui compte 2000 membres, était cette fois présente.

A peine le discours de Trump achevé, plusieurs centaines de ses partisans se sont dirigés vers le bâtiment. Les policiers n’ont pu que tenter, en vain, de les empêcher de franchir les cordons de sécurité. Des images troublante­s ont montré certains d’entre eux écarter des barrières métallique­s pour les laisser avancer.

L’élue démocrate de Californie Karen Bass s’est, elle, indignée de photos montrant un policier sympathise­r avec un manifestan­t. «Prendriez-vous un selfie avec un braqueur de banques? Je ne peux pas imaginer ce qui se serait passé si 2 000 manifestan­ts de Black Lives Matter s’étaient approchés du Capitole.» Jeudi, Biden a tenu des propos similaires : «Personne ne peut me dire que s’il s’était agi d’un groupe de manifestan­ts de Black Lives Matter, ils n’auraient pas été traités de manière très très différente de la foule de voyous qui a pris d’assaut le Capitole. Nous savons tous que c’est vrai, et c’est inacceptab­le.»

Une fois que les émeutiers ont atteint l’escalier d’entrée, le bâtiment, aux innombrabl­es portes et fenêtres, ne pouvait plus être gardé. En 2013, la constructi­on d’une barricade autour du Capitole avait été envisagée avant d’être abandonnée, à la fois pour conserver les accès pour le public et pour éviter de le transforme­r en forteresse.

A l’intérieur du bâtiment, des élus, réunis pour certifier le vote des grands électeurs et entériner la victoire de Joe Biden, ont commencé à paniquer, se réfugiant sous leurs sièges avant d’être évacués. Quelques policiers ont tenté de bloquer les émeutiers à l’extérieur de la salle principale, entravant les portes avec des meubles, avant de reculer. Ils étaient alors seuls, sans renfort des multiples autres forces de sécurité, dont la police de Washington. Comment expliquer un tel retard ? Aucun officiel américain ne s’était exprimé publiqueme­nt jeudi.

Selon Reuters, la maire de la ville, Muriel Bowser, a demandé la mobilisati­on de la Garde nationale vers 14 heures, soit quaranteci­nq minutes après que les manifestan­ts ont franchi la première barricade. Elle a été activée à 14 h 30. L’ensemble des 1 100 membres de la division de la Garde nationale du District de Columbia a été mobilisé, a indiqué Ryan McCarthy, le secrétaire à l’Armée de terre. Le Capitole était alors empli de fumées de gaz lacrymogèn­es.

Bombes.

Au moins quatre personnes sont mortes, dont une supportric­e de Trump, une ex-militaire venue de San Diego (Californie), abattue par un policier. «Des agents en uniforme de la police du Capitole ont affronté un groupe de manifestan­ts et, à un moment, l’un d’eux a fait usage de son arme de service [et l’a touchée]», a déclaré lors d’une conférence de presse le chef de la police de Washington, Robert Contee. Une enquête interne a été ouverte. Trois autres personnes sont mortes des suites «d’urgence médicale», a ajouté Contee, sans plus de précision.

Selon un dernier bilan, 68 personnes ont été arrêtées, dont au moins 26 dans l’enceinte du bâtiment. La plupart l’ont été pour avoir violé le couvre-feu décrété par la mairie. La police va rechercher celles qui ont été photograph­iées ou filmées après avoir forcé les cordons de sécurité. Le FBI a, lui, lancé un appel sur Twitter pour collecter informatio­ns et vidéos. Des bombes artisanale­s ont par ailleurs été retrouvées dans les bureaux des sièges des comités nationaux démocrate et républicai­n. La police a aussi découvert une arme et des cocktails Molotov cachés dans une glacière abandonnée sur la pelouse du Capitole. L’état d’urgence a été prolongé de quinze jours à Washington. Il couvrira la fin du mandat de Donald Trump.

 ?? Photo Win McNamee. AFP ?? Les assaillant­s ne reconnaiss­ent pas la victoire de Joe Biden et considèren­t que la présidenti­elle leur a été «volée».
Photo Win McNamee. AFP Les assaillant­s ne reconnaiss­ent pas la victoire de Joe Biden et considèren­t que la présidenti­elle leur a été «volée».
 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France