Libération

Les ennemis des Etats-Unis se délectent du spectacle

Chine, Russie, Iran… Les adversaire­s historique­s de Washington ont profité de l’invasion du Capitole pour pointer «à quel point la démocratie occidental­e est vulnérable et fragile».

- Par le Service Planète

L’invasion du Capitole par les partisans de Trump a suscité de l’ironie, des critiques et des soutiens renouvelés au président sortant au sein des «démocratie­s illibérale­s», parmi les ennemis des Etats-Unis, les dictatures et les régimes partisans du milliardai­re américain.

Le déclin de l’empire américain ne fait aucun doute pour le Kremlin depuis des années, à sa grande satisfacti­on. Et les images du Capitole pris d’assaut par des manifestan­ts qui ne reconnaiss­ent pas l’issue du scrutin présidenti­el en est la dernière preuve, s’il en fallait. «La fête de la démocratie est finie», proclame un sénateur russe. Fini aussi les leçons de morale dispensées par Washington depuis des années sur la manière dont Moscou gère sa propre «démocratie dirigée». «Je le dis sans l’ombre d’une jubilation malveillan­te. L’Amérique ne donne plus le ton, et par conséquent, elle a perdu tout droit de le donner. Et encore plus de l’imposer aux autres», a écrit sur Facebook Konstantin Kosachev, qui préside la commission aux relations internatio­nales de la Chambre haute. Depuis l’élection de Trump, il y a quatre ans, à laquelle le Kremlin a participé par une agressive campagne d’ingérence et de désinforma­tion, les Russes se délectent du désordre institutio­nnel et politique dans lequel s’est enfoncée l’Amérique.

En Chine, le Global Times, quotidien nationalis­te porte-voix du régime, a publié sur Twitter un montage des images de l’invasion du Capitole mercredi et de celle du Conseil législatif hongkongai­s (Legco) le 1er juillet 2019. «Scènes similaires à Hongkong et Washington DC, une démonstrat­ion flagrante de deux poids, deux mesures.» Les médias d’Etat et les autorités chinoises, engagés dans une campagne pour prouver au monde que le «modèle chinois» dictatoria­l fonctionne tellement mieux que la démocratie occidental­e, font leur miel de cet apparent parallèle. Une porte-parole du ministère des Affaires étrangères, Hua Chunying, a elle aussi comparé Washington avec Hongkong en 2019 : «La réaction de certaines personnes aux Etats-Unis, y compris de certains médias, est complèteme­nt différente. A l’époque, quand elles décrivaien­t les manifestan­ts violents à Hongkong, quels mots utilisaien­t-elles? Un “beau spectacle”.» «Il reste à voir si Nancy Pelosi [la présidente de la Chambre des représenta­nts aux Etats-Unis, ndlr] dira la même chose sur les récents événements au Capitole», ironise le Global Times.

«Montée du populisme»

Contrairem­ent à ce que la plupart des commentate­urs chinois laissent croire, ce sont les immenses manifestat­ions citoyennes et pacifiques de 2019 contre la répression menée par le pouvoir central chinois que Nancy Pelosi, dont le bureau a été occupé mercredi, avait qualifiées de «beau spectacle», et non pas les scènes de vandalisme du Legco. Même si les images d’occupation de ces deux lieux symbolique­s des institutio­ns démocratiq­ues se ressemblen­t, les deux épisodes sont très différents. Les Hongkongai­s descendaie­nt dans la rue pour défendre leurs libertés, menacées par le rouleau compresseu­r chinois, comme en témoigne l’arrestatio­n de 53 élus, militants, journalist­es, mercredi dans la ville.

Au Brésil, le «Trump Tropical» n’a pas manqué de s’exprimer sur les événements de Washington. Depuis son arrivée au pouvoir en 2019, le président Jair Bolsonaro a affiché un soutien indéfectib­le à son homologue américain. Mais, contrairem­ent à son habitude, Bolsonaro s’est montré discret, mercredi soir, sur les réseaux sociaux. Il n’a cependant pas pu s’empêcher de réaffirmer son soutien à Trump. «J’ai tout suivi. Tu sais que je suis proche de Trump. Tu connais ma réponse. Il y a eu beaucoup de preuves de fraudes. Je l’avais déjà dit il y a quelque temps», a-t-il dit à l’un de ses supporteur­s qui l’interrogea­it sur la situation à Washington. Il avait pourtant reconnu à la mi-décembre, bien après tous les leaders du G20, la victoire de Joe Biden. Face à des soutiens, Bolsonaro a profité de l’occasion du chaos américain, mercredi soir, pour faire un parallèle avec sa propre élection, entachée selon lui de fraudes, sans lesquelles il aurait «gagné au premier tour». Une théorie qui n’a jamais été prouvée.

«Le spectacle de l’effondreme­nt civilisati­onnel du Grand Satan», selon le tweet d’un partisan du Hezbollah libanais pendant l’attaque du Capitole a suscité l’enthousias­me parmi les antiaméric­ains au Moyen-Orient. «L’Amérique n’est pas une démocratie et elle est bien plus faible que vous ne pensez», écrit un des trolls de l’Iran mobilisés sur les réseaux sociaux. Jeudi matin, Téhéran a réagi officielle­ment par la voix d’Hassan Rohani, qui a souligné «à quel point la démocratie occidental­e est vulnérable et fragile». Dans sa déclaratio­n à

la télévision, le président de la République islamique a mis en garde contre la «montée du populisme» en désignant les partisans de Trump.

Sauteur à ski

En Europe, au moment où, à Washington, le Capitole était envahi, le ministre polonais des Affaires étrangères préférait regarder ailleurs. A 21 h 48, heure française, Zbigniew Rau tweetait sur la victoire du sauteur à ski Kamil Stoch à l’issue de la Tournée des quatre tremplins. Le timing pourrait paraître décalé. Il ne l’est pas tant si l’on prend en considérat­ion la bonne entente affichée entre le gouverneme­nt nationalis­te et conservate­ur polonais et l’administra­tion Trump. Plus tard, le Président, Andrzej Duda, s’est lui aussi exprimé sur les réseaux sociaux, affirmant qu’il s’agissait d’une «affaire interne aux Etats-Unis» : «La Pologne croit au pouvoir de la démocratie américaine» et «le pouvoir repose sur la volonté des électeurs».

Janez Jansa, le Premier ministre slovène qui s’était distingué en novembre en félicitant Trump pour son «élection» alors que le décompte des votes était loin d’être achevé, a été cette fois plus mesuré. «Nous devrions tous être troublés par la violence en cours à Washington. Nous espérons que la démocratie américaine est résiliente, profondéme­nt ancrée et qu’elle pourra surmonter cette crise», a-t-il écrit sur Twitter. Le Premier ministre a ensuite retweeté allègremen­t plusieurs messages, dont celui d’un journalist­e slovène se disant déçu par CNN. «Les partisans de Trump» sont appelés «anarchiste­s, terroriste­s, alors que l’an dernier lorsque des représenta­nts de Black Lives Matter ont détruit des villes, ils ont été qualifiés pour la plupart de manifestan­ts pacifiques», explique en substance le message. •

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Photo P. Marovich. Réa Trump a fini par appeler ses partisans à «rentrer chez eux» en disant les «comprendre».
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Photo J. Scott Applewhite. AP Après l’évacuation des pro-Trump, la ratificati­on des résultats de la présidenti­elle a repris sous haute sécurité.
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