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Macron fait le coup de Jarnac

Le Président sera présent en Charente pour le vingt-cinquième anniversai­re de la mort de François Mitterrand. Mais pour des fidèles de l’ancien président et des ténors du PS, il ne s’inscrit pas ou très peu dans son héritage, hormis sur l’Europe.

- Par Alain Auffray, Charlotte Belaïch et Charlotte Chaffanjon

De Charles de Gaulle à Jacques Chirac, Emmanuel Macron poursuit son «itinérance» sur les traces de ses prédécesse­urs. Avec une escale à Jarnac, ce vendredi, pour les vingt-cinq ans de la mort de François Mitterrand. Le chef de l’Etat va suivre en silence un parcours balisé par les caciques du PS qui s’y rendent en pèlerinage tous les ans: recueillem­ent au cimetière, déambulati­on dans les rues de Jarnac sous un ciel souvent couvert et visite de la maison natale du «sphinx». «Il s’agit de participer à la constructi­on d’une mémoire commune. Le Président est dépositair­e du legs de ses prédécesse­urs et il lui appartient de donner sens à ce legs», explique le conseiller mémoires d’Emmanuel Macron, Bruno Roger-Petit, mitterando­lâtre impénitent qui a accroché un portrait l’ex-président dans le petit bureau qu’il occupe au rez-dechaussée du Palais présidenti­el. «Le chef de l’Etat attache une importance à l’héritage des présidents de la Ve République. Ça aurait été bizarre qu’il rende hommage à tous et oublie Mitterrand», estime le président de l’Institut François-Mitterrand, Hubert Védrine, qui sera aux côtés de Macron à Jarnac, tout comme François Hollande, Ségolène Royal, Olivier Faure et une partie de la famille Mitterrand. Mazarine Pingeot, la fille cadette de l’ex-président, a fait savoir qu’elle n’en serait pas. Sans en faire la raison de son absence, elle s’est contentée de noter, jeudi sur RTL, que «les questions politiques» pointaient souvent derrière «les questions mémorielle­s».

Depuis son élection, le chef de l’Etat a multiplié les excursions sur les traces des ex-présidents de la Ve République. En 2020 pour le cinquanten­aire de la mort du général de Gaulle et un an plutôt pour celui de l’élection de Georges Pompidou. Jacques Chirac et Valéry

Giscard d’Estaing, tous les deux décédés pendant sa mandature, ont eu droit par la force des choses à leurs journées de deuil national. La tentation est grande à chaque fois de chercher les traces d’un héritage : qu’a-t-il de gaullien, de pompidolie­n ou de giscardien, ce président qui picore à droite et à gauche ?

«Un gouffre»

Michel Charasse, décédé début 2020, trouvait à Emmanuel Macron «l’intelligen­ce de Bonaparte au siège de Toulon et son culot au pont d’Arcole», mais hormis cette validation bienveilla­nte d’un mitterrand­ien historique, la plupart des socialiste­s interrogés par Libération contestent énergiquem­ent toutes ressemblan­ces entre les deux hommes. Ségolène Royal ne veut pas en entendre parler : «Macron se sent fragile, il est à la recherche de racines. Mais il y a un gouffre entre l’exercice du pouvoir par Macron et par Mitterrand. Aujourd’hui on est dans un chaos, un désordre indescript­ible, lié à l’incapacité à anticiper. Or gouverner, c’est anticiper.» Quel est le point commun avec Mitterrand? «Macron est président, Mitterrand l’a été. A part ça… je ne vois pas», répond le Premier secrétaire du PS, Olivier Faure, rappelant que le président socialiste avait, lui, «abrogé la loi sécurité, élargi les conditions d’accueil des réfugiés», ou encore «créé l’ISF». «Personne ne s’y trompera. Ce n’est pas parce qu’on s’incline devant une tombe que ça change quoi que ce soit», ajoute Faure, qui dénonce «une tentative de récupérati­on».

A peine moins sévère, l’ancien ministre PS Michel Sapin veut bien reconnaîtr­e, sur l’Europe, une parenté entre les deux présidents. «Quand Macron dit qu’il veut un budget européen avec ses ressources propres, il est dans la même ligne que celui qui veut une monnaie

unique. Le volet budgétaire que l’Europe est en train de mettre en oeuvre correspond aux idées qu’avait Mitterrand.» L’ancien ministre de la Culture Jack Lang, vétéran de l’épopée mitterrand­ienne et rarement sévère avec Macron, insiste lui aussi sur cette évidente filiation : «Ils sont tous deux profondéme­nt, viscéralem­ent européens.» Avant de conclure sa carrière en arrachant en 1992 l’accord sur la monnaie unique, Mitterrand fut parmi «les visionnair­es» qui ont participé dès 1948 à La Haye au premier congrès des fédéralist­es : «Macron est dans le prolongeme­nt de cette démarche. Il l’a montré avec le plan de relance européen négocié avec Merkel.»

Macron, gaullo-mitterrand­ien ? «Oui, puisqu’il s’efforce d’être à la fois le combattant de la souveraine­té nationale et celui de la souveraine­té européenne», assure l’ancien ministre de la Culture. Surtout, Lang ne manque pas de souligner que les deux présidents ont en commun d’être «des lettrés, passionnés par la littératur­e, les arts et la philosophi­e». Après avoir rêvé d’être écrivain – quelques manuscrits dorment dans ses tiroirs–, Macron entretient avec l’écriture un rapport exigeant qui le rapproche de son aîné plus que d’aucun autre de ses prédécesse­urs. A l’inverse, en matière de politique culturelle, l’actuel quinquenna­t fait pâle figure si on le compare aux deux septennats mitterrand­iens.

Hommage visuel

Victoire du 10 mai 1981, abolition de la peine de mort en octobre de la même année : à en juger par les événements inscrits à l’agenda du chef de l’Etat, l’année 2021 aura tout d’une «année Mitterrand» même si l’Elysée se garde bien de la présenter ainsi pour prévenir d’éventuels procès en récupérati­on. «Emmanuel

Macron n’a pas peur des complexité­s de l’histoire. Il regardera Mitterrand en face.» C’est d’ailleurs par un hommage visuel à Mitterrand que le jeune fondateur d’En marche est entré dans son mandat, traversant seul, dans une posture jupitérien­ne travaillée, le Louvre vers la pyramide, oeuvre mitterrand­ienne, comme Mitterrand avait remonté la rue Soufflot vers le Panthéon le jour de son investitur­e. Avec cette scénograph­ie, Macron illustrait sa conception «gaullo-mitterandi­enne» de la présidence. «Le pouvoir doit garder sa part de verticalit­é et de mystère», expliquait-il avant de présenter sa candidatur­e. A mesure qu’approche l’échéance de 2022, l’Elysée regarde de très près la campagne victorieus­e de 1988. Avec des scores de rêves : 34 % des voix au premier tour et 54 % face à Chirac. Personne n’a fait mieux depuis. En avril 2020, Macron invoquait «la France unie»

– le slogan de la campagne de 1988 – quand il appelait le pays à se confiner pour gagner «la guerre» contre le virus. Comme Mitterrand, Macron entend «dépasser» le parti qui l’a porté au pouvoir. LREM ne sera probableme­nt pas mieux traité en 2022 que ne l’avait été le PS en 1988.

A Jarnac ce vendredi, François Hollande sera aux côtés de son successeur. Il y a un an, l’ancien chef de l’Etat y était seul, en plein débat sur la réforme des retraites. Il en avait profité pour faire passer quelques messages à ceux qui se réclament de Mitterrand. Ils ne sauraient adhérer au «en même temps» macronien : «Si l’on veut construire l’alternance, il faut construire à gauche une grande formation politique.» Pas question de laisser l’extrême droite incarner seule l’alternativ­e au macronisme : telle serait, selon Hollande, la leçon de l’élu de 1981. •

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Photo J. Langevin. Sygma. Getty Images François Mitterrand dans le Nord-Pas-de-Calais en janvier 1988.
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Photo Albert Facelly Emmanuel Macron à Bourg-de-Péage (Drôme), le 24 janvier 2019.

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