Libération

Les harmonies chamanique­s d’Ignacio Maria Gomez

En écho aux rythmes venus d’Afrique qu’il a découverts au gré de ses nombreux voyages, le musicien argentin sort «Belesia» un premier album initiatiqu­e et apaisant.

- Jacques Denis

Il faut être sinistre pour ne pas percevoir la portée curative du son, qui soigne les corps et les âmes depuis bien avant que la musique ait été gravée sur cire. Et à ceux-là on prescrira d’écouter Ignacio Maria Gomez, dont la douce voix prend des faux airs de malinké ou d’espagnol – d’on ne sait où, pour tout dire. «C’est une langue révélée, quelque chose qui vient à moi, une forme pure que je canalise et transforme en chansons», nous explique le natif de Patagonie, qui y entrevoit comme un écho des icaros, «ces chants de guérison où l’intention qui les provoque, la cause qui les suscite, sont plus importants que les paroles proprement dites». C’est à partir de tels petits mantras qu’il chantait pour lui-même, afin de se guérir, qu’il a composé le répertoire de son premier disque, une dizaine de mélodies qui lui sont venues du ciel entre 2009 et 2019. «Ça fait partie d’une espèce de mémoire sensoriell­e, le sentiment d’avoir vécu dans un lieu où tout était harmonieux, Belesia. Une forme de paradis que je ne peux traduire qu’en musique.»

Nomade.

En fermant les yeux, on se retrouve aussi bien au coeur de la forêt guinéenne, dans le Minas Gerais de Milton Nascimento, sur les contrefort­s de la cordillère andine ou encore non loin de la Bahia de Caetano. Et aussi à Cali, où cet Argentin de 28 ans a pris goût à la salsa, ce dont témoigne le fiévreux Tchen Doró. Cette inspiratio­n nomade aux confins du spirituel n’est que la traduction formelle d’un parcours bien réel qui l’a vu enjamber depuis 2004 frontières et continents, quand, encore gamin, il partit avec sa mère au Mexique. Ignacio Maria Gomez va y fréquenter une communauté d’artistes, dont des Ouest-Africains qui lui font tâter de la percussion. Cette découverte provoque un «bouleverse­ment» qui change le cours de son destin : de retour au pays natal, il fonde un groupe de tambours et devient maître des percussion­s. Une lourde charge pour les jeunes épaules de celui qui sait qu’il lui faut encore prendre bonnes notes des anciens.

Dès qu’il sera en âge de repartir, Ignacio Maria Gomez va se lancer ainsi dans une quête qui après coup ressemble à une recherche d’ADN. Rastafaris­me, batucada, capoeira : chaque registre qu’il aborde est «toujours en lien avec les arts africains». Et c’est en voyant une photo de son père que se confirme son intime conviction : «Une partie de mon patrimoine vient d’Afrique. Il reste des traces de ce peuplement, j’en suis la preuve, même si les Afro-Argentins ne sont pas forcément très noirs. Cette communauté a été noyée dans la masse des migrations successive­s, mais il en reste des éléments culturels, comme l’emblématiq­ue figure du gaucho, un métis, ou encore la chacarera, une musique qui comporte des éléments rythmiques africains.» Voilà pourquoi, après avoir débarqué à Paris en 2016 et suite à l’expiration de son visa touriste, il mettra le cap sur la Guinée, avec «pour mission de rapporter le bombo legüero», le tambour argentin qui figure un lointain cousin du dundun malinké.

Utopie.

Chacun de ses voyages constitue une leçon de musique, pour ce guitariste qui a pratiqué dans la rue, ce «lieu commun qui permet les rencontres». C’est ainsi, au coeur de Paris, qu’il a croisé le violoncell­iste Vincent Ségal ou le trompettis­te Jun Miyake. Ces deux-là ont flashé, et les voilà désormais conviés sur ce disque «initiatiqu­e» qui rassemble les pièces d’un puzzle composite et ressemble à une utopie à l’oeuvre. Au fil des mélodies, il y a aussi Naïssam Jalal dont la flûte invoque le souffle peul, Loy Ehrlich, un vieux routier du son au diapason de ce type d’aventures hors limites. Celles d’Ignacio Maria Gomez se retrouvent dans ce format contraint, premier album réalisé entre Stockholm et Montreuil, où il a bien fallu élaguer pour affiner cet objet parfaiteme­nt abouti. «Mais ce que j’ai de Belesia, c’est bien plus vaste encore !»

Ignacio Maria Gomez Belesia (Hélico).

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J.Notola L’album a été enregistré entre Stockholm et Montreuil.

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