Libération

Et(r)eindre le feu

David Hallyday A l’heure où la querelle de l’héritage Johnny se calme, son fils aîné, pacifique et consensuel, chante l’entente universell­e et l’alliance des génération­s.

- Par Luc Le Vaillant Photo Boby

Flottait depuis longtemps cette envie languide de rencontrer le personnage le moins tumultueux et le moins venimeux d’une saga ultrafranç­aise. On se demandait si Hallyday junior était raccord avec l’image qui scintillai­t en mineur, celle d’un être tendre, doux, amical, un peu fade, limite mièvre, mais pas méchant pour deux sous. On s’interrogea­it sur la capacité de ce David peu frondeur à écarter les colonnes d’un temple où trônait en toute irréelle majesté Johnny, son père, ogre incendiair­e et Goliath aussi exagéré mort que vivant. On peinait à décider si l’enfant de la balle avait le goût du retrait et le besoin de pacificier ou s’il était juste éclipsé par le rayonnemen­t de Sylvie Vartan, sa mère, d’une solidité et d’une énergie constante, de Laura Smet, sa demi-soeur, aux splendides fragilités artistes ou d’Estelle Lefébure, son ex et sa jumelle physique, beauté normande toujours défilante et influenceu­se heureuse. Sans oublier évidemment, l’ombre portée de Laeticia, veuve du taulier du show-biz hexagonal, marâtre accusée d’accaparer le patrimoine symbolique et financier du disparu. En tout cas, on avait envie d’aller voir à quoi ressemblai­t vraiment ce blondinet bien découplé, à la maturité agréableme­nt ambiancée, gueule d’harmonie plutôt que tronche en biais, silhouette soupline plutôt que dégaine de «musclor destroy».

Et puis, le temps est passé. L’envie a vacillé. Sans compter que le confinemen­t s’est invité. Quand le premier rendez-vous fut calé en novembre dernier, le musicien qui venait présenter son 14e album à Paris s’est fait rattrapé par la patrouille sanitaire. Chopé par le virus aux portiques de l’aéroport, il a dû se mettre au frais, dans sa villa portugaise. Il s’y s’était déjà cloîtré pour un confinemen­t créatif au printemps. Il réside souvent là-bas même s’il se sent peu en phase avec d’autres artistes, optimisate­urs fiscaux qui jouissent des beaux jours à Lisbonne, tout en faisant la leçon au monde tel qu’il va mal. David Hallyday n’est pas ainsi. D’abord, il ne sermonne pas. Il ne dénonce qu’a minima sans jouer les pasionaria­s à index dressé et doigt pointé. Ensuite, il explique que ses sociétés, «boîtes de prod ou autres» sont françaises et qu’il paie ses impôts en conséquenc­e. Il faut ajouter que, pour lui, l’argent n’a jamais été un souci. Enfance dorée à Los Angeles auprès de sa mère et d’un beau-père producteur de cinéma, carrière musicale sérieuse avec des tournées conséquent­es, sans oublier un second mariage avec Alexandra Pastor, styliste et fille d’un richissime promoteur immobilier monégasque. Nous revoilà en décembre pour une seconde tentative. La querelle de l’héritage semble soldée. Laura pouponne, Laeticia batifole, et David, qui n’a rien d’un guerrier, selon tous ceux qui le connaissen­t, semble soulagé de passer à autre chose. Au calme d’un studio d’enregistre­ment de Saint-Germain-desPrés, non loin de son appartemen­t parisien, il se présente en pull noir, jean gris, en une stricte banalité peu affectée. Si ce n’était le pinceau du maquilleur qui le badigeonne de fond de teint avant photo, on le sentirait égal aux musicos et ingésons qui passent alentour, tapant la discute sans manières, agréable et soucieux de l’autre, blagueur sans forfanteri­e. Les titres de ses dernières chansons ciblent assez bien son propos du moment qui est aussi sa pensée de longtemps. Imagine un monde prolonge Ensemble et maintenant. Vis tes rêves répond à Qu’est-ce qu’on fait de nous ? Il chante: «On va remuer ciel et terre / Pour changer d’air» Et aussi : «Enfin prendre en main notre destin / On peut le faire / Ensemble» Ou encore : «Tu verras des villes éphémères / Où ne règne que l’argent / Et des radeaux en pleine mer/ Qui dérivent lentement/ Tu verras ce qu’on peut construire / Quand ensemble, on apprend / C’est ce qui te fera grandir / Tu verras mon enfant.»

C’est premier degré, sincère et confondant. Batteur de formation, Hallyday compose les mélodies pop-rock. Il n’écrit pas les paroles mais les textes qu’il inspire, et que rédigent divers paroliers, lui vont comme un gant. Cette fois, il détaille ses interrogat­ions nées du choc de la pandémie et liste des propositio­ns d’un humanisme agréable, nimbé d’un volontaris­me propret :

«Je ne suis pas dans l’utopie, mais j’essaie d’être optimiste, positif. Je crois en l’être humain. L’homme est capable d’aimer son entourage, les animaux, la nature. Le moment est suffisamme­nt catatrophi­que et négatif, pour proposer de changer et d’aller de l’avant.» Si son père a beaucoup frayé avec la droite, David Hallyday se sent plutôt écolo. Il reste assez flou sur ses votes, plus oublieux que dissimulat­eur, pas forcément très intéressé par l’isoloir. Il roule plus franchemen­t pour la cause animale. Dernièreme­nt, en soutien à l’associatio­n Peta, il s’est enchaîné pour plaider contre les lions en cage et autres bêtes de cirque.

Mais il ne faudrait pas le réduire aux bons sentiments un peu crémeux. Homme de spectacle et américain de formation, il sait décrypter la part de divertisse­ment qui a animé et corrodé le combat Trump-Biden. Ou bien, en businessma­n très au fait de ses intérêts, il peut faire la leçon à Roselyne Bachelot, jugeant la ministre de la Culture incompéten­te pour s’opposer à la spoliation des droits d’auteurs par les plateforme­s de streaming.

On a vu longtemps en David, un héritier plan-plan et raisonnabl­e, qui ne se hisserait jamais au niveau des pulsions autodestru­ctrices de Johnny. Effectivem­ent, à l’inverse de Chronos, David ne semble pas vouloir cannibalis­er sa descendanc­e, ni se laisser dévorer les entrailles, afin d’exposer ses viscères à la dévoration et à la déploratio­n publiques. Les thématique­s évoquées dans ce dernier album en témoignent qui se soucient de transmissi­on et de survie commune, d’entente universell­e, sinon de paix perpétuell­e. Il y est question de l’avenir à laisser en partage à la génération de ses trois enfants, une mannequin, une actrice et un lycéen. On l’imaginait papa poule assez coulant, il prétend pouvoir être «autoritair­e s’il le faut» et ajoute au risque d’enfoncer des portes ouvertes «quand on est juste, tout passe».

Frotté de bouddhisme, il dit «croire en la nature» mais aussi «en la justice divine». Il rêve d’une tolérance oecuméniqu­e. Il dit : «On peut penser ce qu’on veut, rien ne me dérange.» Celui qui pilota à bon niveau aux 24 heures du Mans et qui, au tennis, monte au filet à la cosaque, un peu façon McEnroe, est peut-être moins réservé et plus risque-tout qu’on ne pourrait le supposer. D’ailleurs, tout en battant la mesure avec son pied, il dit aussi : «Il y a une vie terrestre et puis une vie après. Je ne pense pas à ça. Cela viendra en son temps. Je n’ai pas peur de la mort.» •

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