Libération

Impératif

- Par Dov Alfon

C’est une phrase historique que la gauche française a léguée au monde entier, et elle a été scandée par des génération­s entières en espagnol, en grec, en anglais, en hébreu, en allemand ou en italien avec la même ferveur. Léon Blum en donne une première version, plus longue, depuis les bancs de l’Assemblée nationale dans la nuit du 6 février 1934, après la terrible manifestat­ion meurtrière des ligues de droite au coeur de Paris. Il trouve la formule définitive après les contre-manifestat­ions de la gauche unie, et en fait la une de son journal, le Populaire, le 13 février 1934 : «Le fascisme ne passera pas !» S’il y avait un texte sacré de la gauche, une version laïque des Dix Commandeme­nts, ce mot d’ordre y figurerait forcément. Et pourtant, ces derniers mois, de nombreux électeurs de gauche, ceux qui ont voté pour Jacques Chirac puis Emmanuel Macron pour faire barrage à l’extrême droite, déclarent qu’on ne les y reprendra plus : si le deuxième tour de la présidenti­elle de mai 2022 est semblable à celui de mai 2017, ils resteront cette fois à la maison, et que le fascisme passe s’il en a envie. Nous avons cherché à en comprendre les raisons. Elles sont multiples, même si le mépris du chef de l’Etat pour ces électeurs qui l’ont porté à l’Elysée revient dans beaucoup des réponses. Le deuxième thème récurrent, teinté d’une tristesse non dissimulée, est l’incapacité de la gauche à parler d’une seule voix, à se rassembler derrière un candidat commun et des valeurs partagées. C’est pourtant ce qui s’était passé en février 1934, quand les cortèges des deux partis archi ennemis, socialiste et communiste, se sont réunis dans une union sincère et totalement inattendue. Un des manifestan­ts, l’historien Charles-André Julien, l’expliquera par cette phrase : «C’est l’impératif catégoriqu­e que nous imposait le peuple.» A lire notre enquête, il est clair qu’il en va de même aujourd’hui. •

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