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Virage à droite et mirages de gauche : la macronie fait le bilan

Si Macron avait réussi à convaincre certains électeurs progressis­tes il y a quatre ans, séduits par une approche censée dépasser les clivages partisans, il manque aujourd’hui d’arguments.

- Charlotte Chaffanjon

Pendant la campagne de 2017, Macron corrigeait tout interlocut­eur qui définissai­t sa stratégie comme celle du «ni droite ni gauche»: «Et de droite et de gauche», préférait-il dire, conscient que même si des électeurs désabusés pouvaient être tentés par sa nouvelle maison politique, chacun avait à coeur de retrouver une partie de ses racines. Or en débarquant dans le paysage, l’ambitieux était dépeint comme ancien banquier de chez Rothschild, secrétaire général adjoint d’un socialiste à l’Elysée, certes, mais artisan pour Hollande du CICE, ce dispositif de soutien massif aux entreprise­s, sans contrepart­ie. Pour couronner le tout, il avait rythmé son passage au ministère de l’Economie de petites phrases, évoquant un jour «les femmes employées de Gad, pour beaucoup illettrées», expliquant un autre qu’«il faut des jeunes qui aient envie de devenir milliardai­res».

Malaise.

C’est en cherchant à se différenci­er de son rival Valls qu’il commença à séduire une partie de la gauche, en clamant «son inconfort philosophi­que» avec la déchéance de nationalit­é envisagée à la suite des attentats de novembre 2015. Puis en se rendant à Berlin saluer Merkel pour sa généreuse politique d’accueil en pleine crise migratoire, qu’il qualifiait de mélange de «lucidité, de courage et d’humanité admirable». Son adresse à la banlieue juste avant le premier tour, martelant son refus de «l’assignatio­n à résidence» et sa volonté qu’on «arrête de stigmatise­r les quartiers en n’en parlant que négativeme­nt», achevait, espérait-il, de rééquilibr­er son portrait.

Le soir du premier tour, en tête juste devant Le Pen, Macron implorait ainsi ceux qu’il n’avait pas réussi à convaincre : «Prenez la part du risque qui vous revient pour me rejoindre.» Quatre ans plus tard, le RN est plus haut que jamais dans les sondages et l’hypothèse d’un match retour est crédible. «Si ce scénario se réalise, le comporteme­nt de l’électorat de gauche m’inquiète, explique à Libé Clément Beaune, ministre chargé des Affaires européenne­s et macroniste de la première heure. Les gens n’auront pas envie de faire un choix “contre”, parfois pour la troisième fois de leur vie depuis 2002. Je ne veux pas qu’on se résigne à la présence d’une extrême droite, qui se présente de manière plus chic ou plus sobre mais qui n’a pas changé au fond: brutalité, division, exclusion.» Mais que s’est-il passé pour en arriver là ?

Le choix des hommes, d’abord. Au fil du quinquenna­t se sont succédé à Matignon le juppéiste Philippe et le sarkozyste Castex. Darmanin a suivi une trajectoir­e éclair, du Budget à l’Intérieur. Le Maire tient la barre à Bercy depuis 2017. Les alliés PS et Modem ont été relégués aux seconds rôles et certaines promesses-symboles, telle la proportion­nelle, n’ont pas été tenues. Et les généreux discours de Macron sur l’immigratio­n, qui avait marqué sa différence? Premier ministre de l’Intérieur du quinquenna­t, Gérard Collomb a vite évoqué le «benchmarki­ng» (comparaiso­n pour choisir le pays au système le plus avantageux) que feraient les migrants avant de venir en Europe. Quant à la loi dite «asile et immigratio­n», elle a mécontenté tout le monde. Trop laxiste pour la droite, trop sévère pour la gauche. Et puis, il y a l’intuition qui échappe. Lorsque la crise des gilets jaunes a explosé fin 2018, Macron n’a rien vu venir. Lui qui prônait «l’émancipati­on individuel­le» n’avait pas perçu le malaise collectif qui couvait. Les week-ends de manifs se sont succédé comme les polémiques sur la répression policière. Le chef de l’Etat, qui n’avait pas les questions régalienne­s dans son ADN, a tenté de répondre par un grand débat national qui n’a pas permis de rassurer suffisamme­nt.

Fiertés.

Dans la perspectiv­e de 2022, la macronie répète ses gammes pour corriger le tir. «Nous devons montrer plus clairement que nous n’avons pas perdu notre flotteur gauche et nous avons de quoi le prouver, poursuit Beaune. Par exemple, nous sommes le pays d’Europe qui a accueilli le plus de réfugiés sauvés en mer depuis trois ans. Ce n’est pas du laxisme, c’est notre honneur et je l’assume. De même, le Président a été très clair sur la nécessité de faire plus contre les discrimina­tions ou d’être intraitabl­e avec les cas de violence policière.» Le premier cercle présidenti­el rappelle que la pandémie a prouvé que Macron était partisan d’un Etat fort et redistribu­tif en cas de crise. «Nous sommes l’un des pays du monde qui redistribu­e le plus dans la crise. Le “quoi qu’il en coûte”, c’est l’exception française», estime un conseiller du Président. Et tous égrènent leurs fiertés, la PMA pour toutes, l’augmentati­on du minimum vieillesse, l’accès simplifié aux écoles de la haute fonction publique, le baromètre de l’action publique, la transition écologique… Mais le patron de LREM, Stanislas Guérini, prévient aussi : «Vouloir faire “de gauche”, ça donne le quinquenna­t de François Hollande. Beaucoup de symboles, de lassitude et peu de résultats, ce qui finit par se transforme­r en colère. Pour moi, le danger le plus fort, c’est pas de ne pas faire de droite ou de gauche, mais de ne pas faire envie.»

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