Libération

Souvent virus varie

C’est la grande macédoine du Covid-19 avec ces variants cosmopolit­es qui se repaissent de notre identité.

- Par Mathieu Lindon

Si j’ai bien compris, on se pensait tirés d’affaire, on avait quasiment eu la peau du Covid-19 et voilà que ça n’en finit plus, le Covid-19 bis, le Covid-19 ter. On a les variants anglais, sudafricai­n, brésilien, tous ces infâmes virus étrangers qui viennent abreuver nos sinus. Si ça continue, on va avoir droit à tous les pays, lesquels ne cessent d’augmenter avec ces volontés d’indépendan­ce : à quand le variant allemand dans la choucroute, l’italien dans la panna cotta, le suisse qui fait coucou dans le chocolat? Sans compter qu’il y a les variants régionaux, la salade niçoise, les frites à Dunkerque, les champignon­s de Paris –quid de la grande ratatouill­e finale de l’hydre aux mille variants ? D’un autre côté, c’est un peu la même chose avec les vaccins. Avant, on connaissai­t le nom du découvreur, maintenant on nous ressasse celui du laboratoir­e. On attaque le gouverneme­nt parce qu’il n’y a pas de vaccin français, il pourrait se défendre en arguant que, à l’heure qu’il est, il n’y a pas non plus de variant français. On est à la traîne à tous points de vue, ce qui est toujours mieux que d’être à l’avant-garde du carnage. C’est vrai que c’est difficile, ces manoeuvres en godille : il faudrait pouvoir confiner sanitairem­ent sans confiner économique­ment –c’est à ça que se résument les conseils des experts qu’on entend partout. On a l’impression que le Président n’a plus un sparadrap qui lui colle au doigt comme un capitaine bien connu, mais qu’il ressemble plutôt à Toutânkham­on, couvert de sparadrap ou de bandelette­s des pieds à la tête (mais encore vivant et remuant).

C’est dommage que les variants s’imposent là où on n’en veut pas alors qu’ils se font exagérémen­t discrets quand ils seraient bienvenus. Par exemple, la revanche de 2017 qu’on nous promet pour 2022, Emmanuel Macron contre Marine Le Pen, on préférerai­t qu’il y ait autre chose que du réchauffé au menu. Et la réforme des retraites, on va aussi nous la resservir ? Et la lutte contre le Covid, ça va encore être longtemps le passage du couvre-feu au confinemen­t et du confinemen­t au couvre-feu ? Il n’y a pas plus original ? Par exemple, quand les radars gouverneme­ntaux passeront au rouge en cas d’alerte, ne pourrait-on pas déclencher les sirènes et enjoindre les hordes de non-vaccinés de se réfugier à l’intérieur de leurs abris souterrain­s dans un blitz prophylact­ique, pourvu que chacun ait sa cave à soi ? Dans la vie profession­nelle, familiale et sentimenta­le aussi, on ne cracherait pas sur de petits variants : qu’on ne soit plus obligés de faire la bouffe, de s’occuper du ménage, ni d’être aussi efficace en télétravai­l. «Non, monsieur le directeur, je n’ai pas envie.» «Non, je n’ai pas fait les courses, ni torché le môme.» «Non, pas ce soir, mon amour.»

Et pourtant, tout ce qu’on demande, c’est l’absence de variant, retrouver la vie d’avant, la vie en rose, quand les gazelles allaient boire avec les lions en se tapant sur l’épaule. L’époque où on passait sa vie à s’embrasser, à se serrer entre les bras dans une fraternité et une sororité étincelant­es. A ce rythme-là, quand, nonagénair­es, on racontera la bataille du Covid à nos arrière-petits-enfants, peut-être qu’on ne pourra même pas dire : «J’y étais.» Parce que, si j’ai bien compris, on y sera encore. •

Prochain «Si j’ai bien compris…» le 21 mars.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France